Dans la tête des lycéens français : ce qu’ils disent ouvertement et ce qu’ils disent en creux de la société française<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Dans cette étude, on apprend en effet que la proportion de lycéens qui comptent se diriger vers les filières scientifiques baisse avec l’âge : 42% à 15 ans, 33% à 16 ans, 26% à 17 ans, 24% à 18 ans et plus.
Dans cette étude, on apprend en effet que la proportion de lycéens qui comptent se diriger vers les filières scientifiques baisse avec l’âge : 42% à 15 ans, 33% à 16 ans, 26% à 17 ans, 24% à 18 ans et plus.
©MARTIN BUREAU / AFP

Parcoursup

Une étude montre, entre autres, que Parcoursup constitue désormais un moment décisif dans l’orientation, alors même que la majorité des élèves obtient le bac. Ce qui modifie les enjeux pour les lycéens.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

Voir la bio »

Atlantico : En ces temps de Parcoursup, les décisions sur les écoles et universités auxquelles candidater sont importantes. A quel point l’ambition et la confiance en soi jouent-elles un rôle important dans les choix faits par les lycéens ?

Vincent Tournier : On a tendance à penser que la motivation joue un rôle décisif dans la réussite. Il faut pourtant nuancer cette vision un peu romancée, basée sur le principe je veux donc je peux. C’est une vision qui est promue par les écoles privées et les divers acteurs du coaching personnel pour attirer des clients, mais cela ne correspond pas à la réalité.

En fait, l’ambition et la confiance sont rarement des facteurs décisifs. La réussite découle avant tout d’une combinaison de facteurs sociaux et génétiques qui ne sont affectées que marginalement par la confiance en soi. Une trop grande confiance peut même représenter un obstacle : l’apprentissage suppose non de l’arrogance, mais plutôt une certaine modestie, sans tomber évidemment dans la totale dévalorisation de soi. Les élèves qui réussissent sont souvent stressés et humbles. Ils ont tendance à douter d’eux-mêmes, tout en ayant quand même un certain ego. Par conséquent, ils cherchent dans les résultats scolaires de quoi se rassurer. C’est pourquoi la confiance est plutôt une conséquence qu’une cause de la réussite. C’est logique : pour réussir, il faut accepter de faire des sacrifices, de s’investir fortement dans le travail et la concentration. Les moteurs de la réussite sont donc plutôt à rechercher du côté du stress et du doute. Ceux qui vont le plus loin dans les études (comme les médecins, les ingénieurs ou les « bêtes à concours ») sont souvent des gens réservés et anxieux.

Dans une étude pour Delta Business School, "L’ambition a-t-elle un genre ? Enquête auprès des lycéen(e)s sur la confiance en soi dans le cadre scolaire et professionnel", l’IFOP s’intéresse justement à ces qualités. Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?

Le principal enseignement de cette étude est d’abord que les lycéens ne sont pas en manque total de confiance en eux, même si seule une minorité affirme se faire totalement confiance (21%). La majorité (54%) dit avoir plutôt confiance. De surcroît, on ne sent pas une démobilisation de la part des lycéens face aux études : au contraire, la plupart disent qu’ils ont des ambitions, notamment en ayant pour projet d’accéder à l’enseignement supérieur. La majorité s’affiche même désireuse d’accéder aux grandes écoles, ce qui rappelle au passage que ces dernières restent une référence. Un autre intérêt de l’étude est de montrer que les différences entre les sexes sont assez limitées, même s’il y a des différences sur lesquelles on reviendra.

Au-delà des résultats eux-mêmes, l’intérêt de cette étude réside dans l’étude elle-même. Elle montre que Parcoursup constitue désormais un moment décisif dans l’orientation. Il fallait s’y attendre : puisque la majorité des élèves obtient le bac, et que les universités ont gagné la possibilité de mieux choisir leurs étudiants, les enjeux se déplacent. Les familles doivent désormais reconsidérer leurs stratégies car la bataille décisive se joue au moment des vœux. La pression sur les élèves est presque plus forte en janvier qu’au moment de passer le bac. Et elle est d’autant plus forte que l’obtention du bac n’est plus perçue comme une étape décisive.

Que nous apprennent les différenciations par âge, sexe ou catégorie sociale ?

Globalement, les écarts en fonction de ces différents critères sont assez limités, ce qui était prévisible car les sujets analysés dans cette étude ne sont pas très clivants. On observe cependant quelques résultats intéressants. Le principal écart entre les sexes concerne la confiance en soi. La majorité des élèves, garçons et filles, ont certes confiance en eux, mais il y a quand même une différence significative puisque 28% des garçons disent avoir totalement confiance en eux contre 14% des filles. A l’autre bout, 36% des filles disent n’avoir pas confiance en elles, alors que seulement 13% des garçons sont dans ce cas.

Une interprétation trop rapide inciterait à conclure que les filles sont désavantagées dans leurs études puisqu’elles se dévalorisent excessivement. Pourtant, ce n’est pas si simple. On sait en effet que les filles obtiennent de meilleurs résultats scolaires que les garçons. Cela nous ramène à la précédente remarque sur la confiance, à savoir que le manque de confiance n'est pas forcément un handicap pour les apprentissages, alors que l’excès de confiance peut en être un. En tout cas, on note par exemple que les lycéennes sont plus nombreuses que les garçons à se dire « certaines » de continuer leurs études dans le supérieur (71% contre 62% des garçons). La moindre confiance ne leur interdit donc pas de se projeter vers la réussite.

Un autre résultat sur lequel on peut s’arrêter concerne une opinion qui était proposée aux lycéens : « les femmes ne doivent pas forcément courir après la réussite professionnelle ». Peu de lycéens approuvent cette idée (35%) mais il est intéressant de voir qu’elle est plus souvent acceptée par les filles (38%) que par les garçons (31%). Les féministes diront que c’est la conséquence d’une société qui décourage la réussite des femmes, mais cette explication n’est guère convaincante étant donné que le discours ambiant est très favorable aux femmes. De plus, cette explication n’est pas cohérente avec le fait que le taux d’approbation augmente avec l’âge : 31% des lycéens de 15 ans pensent que les femmes ne doivent pas courir après la réussite professionnelle, puis 34% à 16 ans, 42% à 17 ans et 47% au-delà. De plus, cette opinion sur la réussite des femmes comme passage obligé est le plus soutenue aux deux bouts de la hiérarchie sociale, aussi bien par les filles de milieux aisés que par les filles de milieux populaires. On constate aussi que les lycéennes qui pensent être « très belles » sont plus nombreuses à approuver le fait que les femmes ne doivent pas courir après la réussite professionnelle, ce qui incite à penser que plusieurs paramètres interviennent ici.

Sur un certain nombre d’indicateurs (se qualifier de très ambitieux, avoir confiance en elles, vouloir faire une grande école), les lycéens et lycéennes issus des professions intermédiaires sont bien moins positifs que ceux issus des CPIS ou des employés et ouvriers. De quoi cela témoigne-t-il ?

Ces différences sont en effet étonnantes. Elles sont peut-être dues à un défaut d’échantillonnage, même si l’IFOP est un institut très rigoureux. Si ce n’est pas le cas, on peut alors se demander s’il ne s’agit pas d’un effet plus général lié à la situation des classes moyennes, lesquelles ont le sentiment d’être délaissées par les pouvoirs publics au profit des catégories aisées et des classes populaires. Si cette interprétation est confirmée, elle signifierait que le mal-être des classes moyennes se répercute sur leurs enfants en fragilisant leurs espoirs quant à leur avenir. Ce ne serait pas complétement étonnant. On voit en effet que la société française est en train de se polariser de manière croissante autour de deux pôles : un pôle élitiste avec le parti du président de la République, centré sur les classes urbaines diplômées, et un pôle populaire autour du RN et de LFI. Cette situation laisse ainsi un vide béant pour les classes intermédiaires, qui sont en manque criant de représentation. Les enfants des classes moyennes voient alors que la vie sociale et politique a tendance à les ignorer, ce qui ne les encourage pas à développer des projets de réussite et d’ascension sociale. De plus, une partie de ces jeunes réside dans la France périphérique, loin des universités et des grandes écoles prestigieuses, ce qui augmente fortement le coût de leurs études, sans qu’ils puissent toujours bénéficier des aides publiques.

Que nous apprend cette étude de la vision de leur avenir des lycéens ?

L’étude ne traite pas vraiment de l’avenir, mais elle permet néanmoins de questionner un enjeu important : l’avenir des filières scientifiques. On apprend en effet que la proportion de lycéens qui comptent se diriger vers les filières scientifiques baisse avec l’âge : 42% à 15 ans, 33% à 16 ans, 26% à 17 ans, 24% à 18 ans et plus.

Cette baisse n’est pas très étonnante dans la mesure où, au cours de leur cursus, les élèves prennent progressivement conscience des difficultés de l’apprentissage scientifique. Toutefois, on peut aussi y voir un effet du manque de valorisation des sciences, lesquelles font aujourd’hui l’objet d’un discours relativiste et dévalorisant en raison de leur responsabilité présumée dans beaucoup de maux, notamment la pollution, ce qui est une erreur : non seulement les sciences ne sont pas responsables du climat, mais ce sont elles qui vont pouvoir nous aider à trouver des solutions.

L’enjeu actuel doit donc au contraire nous inciter à réhabiliter fortement les sciences et à encourager les élèves à opter pour ces filières. Mais une difficulté survient alors : c’est que les filles sont nettement moins attirées par les sciences que les garçons. C’est d’ailleurs ce que confirme la présente étude de l’IFOP : les filles sont nettement moins nombreuses à vouloir se diriger vers les filières scientifiques ; elles préfèrent se tourner vers la médecine, les lettres ou le social. Cette différence n’est pas un problème en soi, sauf pour le néo-féminisme qui considère que les filles doivent impérativement suivre les mêmes parcours que les garçons. Or, ce culte de la parité pousse inexorablement à dévaloriser les sciences : on préfère laisser les sciences s’effondrer plutôt que de valoriser un domaine qui est supposé participer à la discrimination entre les sexes. C’est une très mauvaise stratégie. Il serait plus logique d’admettre simplement que les garçons et les filles n’ont pas toujours les mêmes préférences. Et plutôt que de vouloir à tout prix pousser les filles vers des filières qui ne les intéressent pas, il serait plus productif d’encourager les garçons qui sont tentés par les sciences.

Que nous dit, en creux, cette étude sur la société française et sur le système éducatif français ?

Cette étude confirme que, avec Parcoursup et les récentes réformes du bac, les modalités d’entrée dans l’enseignement supérieur ont considérablement changé. Non seulement le bac n’est plus un moment aussi déterminant qu’autrefois, mais de plus les universités ont acquis un pouvoir de sélection à l’entrée.

Or, cette situation modifie l’équilibre du système, tout en augmentant considérablement l’angoisse des élèves puisque ceux-ci sont placés dans une situation d’indétermination et que leur avenir dépend, non pas de leurs choix, mais de l’acceptation de leurs choix par les universités. Ce ne sont donc pas leurs résultats au bac qui vont être essentiels, mais leurs résultats depuis la classe de première ainsi que leurs capacités de constituer un bon dossier. De ce fait, les fameuses lettres de motivation prennent une grande importance, de même que les expériences extra-scolaires comme les stages qui vont permettre aux élèves de personnaliser leur CV. Les inégalités sociales vont probablement s’accroître car toutes les familles n’ont pas les mêmes ressources pour construire un beau parcours. En tout cas, la pression sur les élèves augmente, ce dont témoigne indirectement cette étude réalisée par l’IFOP, dont le commanditaire n’est autre qu’une école privée qui espère manifestement se faire connaître auprès de familles inquiètes pour l’avenir de leurs enfants.

Cette situation de forte pression est d’autant plus problématique que le contexte actuel est déjà très anxiogène, entre la guerre, le covid, l’islamisme et le réchauffement climatique. Peut-être faudrait-il réfléchir à une manière de compenser cette anxiété permanente et généralisée par un discours plus optimiste sur l’avenir de manière à ne pas produire une générations de jeunes tétanisés par la peur.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !