Crise sur la loi immigration : la France fonce-t-elle vers un nouveau 1958 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron à l'Elysée, le 7 décembre 2023
Emmanuel Macron à l'Elysée, le 7 décembre 2023
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Crise politique

Sept sénateurs et sept députés doivent se réunir ce lundi en commission mixte paritaire à partir de 17h, à huis clos, pour négocier un compromis sur le projet de loi immigration

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Au regard de la crise politique actuelle liée au projet de loi immigration et de l'enlisement de la majorité présidentielle, la France fonce-t-elle vers un nouveau 1958 ? Le climat politique actuel ressemble-t-il aux errements de la IVe République ? 

Maxime Tandonnet : Oui, il existe des ressemblances entre la crise actuelle et celle de 1958. Au cœur de tout, un grave problème identitaire : à l’époque comme aujourd’hui, les Français sont confrontés à la question de l’identité de la France. La décolonisation et la guerre d’Algérie ont été un profond bouleversement pour les Français de ce temps. Pour eux, c’est-à-dire l’immense majorité des Français jusqu’au tournant gaulliste de 1959, la France se concevait difficilement sans son empire et sans ses départements algériens du sud de la Méditerranée. La France sans l’Algérie, dans les mentalités dominantes de l’époque, n’était plus la France qu’ils avaient connue. Aujourd’hui, nous avons un problème identitaire inversé qui est celui de l’immigration. Une vaste partie de l’opinion se montre profondément inquiète face aux changements démographiques entraînés par les mouvements migratoires et l’importance que prend la religion musulmane sur le territoire français et plus généralement en Europe occidentale. Et dans les deux cas, l’Algérie et la décolonisation d’une part, l’immigration d’autre part, l’Etat se révèle profondément impuissant à apporter des réponses crédibles aux inquiétudes. Les crises et autres gesticulations des politiciens ne sont que le masque de leur indécision ou incapacité à traiter les problèmes. La classe politique se fragmente en une multitude de partis politiques qui eux-mêmes sont déchirés et le pays semble s’enfoncer dans le chaos.

La France n’est-elle pas dans un climat politique alarmant et presque plus délicat que lors de la période de 1958 ? La figure de l’homme providentiel incarnée par De Gaulle en 1958 semble actuellement faire cruellement défaut à la France…

En apparence, la situation n’est pas aussi tragique : la guerre d’Algérie fut un conflit sanglant qui a fait des dizaines de milliers de morts et de disparus. Nous n’en sommes évidemment pas là en termes de sang versé, malgré la violence qui se banalise sur le territoire à l’image des émeutes de juin 2023. Pour autant, le climat politique est en effet pire aujourd’hui qu’en 1958. D’abord en 1958, une grande majorité de Français croyaient encore en la politique et en la démocratie. Aux élections législatives, la participation atteignait 80% (contre 46% aujourd’hui). Or, ce « peuple citoyen », fondement de la démocratie, a aujourd’hui quasiment disparu. Il a laissé place à un profond scepticisme et indifférence envers la chose publique – d’où l’abstentionnisme vertigineux et la montée de l’opinion aux extrêmes qui agitent davantage les passions qu’ils n’apportent de réponse crédible aux difficultés. Par ailleurs, en 1958 la France comptait une poignée d’hommes d’Etat quelles que soient leurs convictions, qui voulaient œuvrer pour le bien public et croyaient en la France : de Gaulle, bien sûr, mais aussi le président Coty, PMF, Pflimlin, Pinay, Debré, Pompidou, Guichard, Soustelle, Bidault etc.  Désormais, on voit bien que, pour l’essentiel (et sauf exception), l’horizon des politiques se limite désormais à la course à des considérations de calcul personnel ou de vanité. En 1958 existait chez les responsables publics une capacité à faire des choix, à décider, à prendre le risque de la rupture pour tenter de reconstruire. Aujourd’hui, la logique dominante est celle de l’indécision ou l’immobilisme – sous le masque des gesticulations – pour s’incruster le plus longtemps possible. Alors, évidemment, nous n’avons plus de Gaulle, mais en outre nous n’avons plus de PMF, Coty, Pinay Pflimlin, Debré, Pompidou, etc. La Ve République, et c’est là sa grande faiblesse par rapport à la IIIe et la IVe, n’a pas su former d’hommes d’Etat dignes de ce nom.  

Le macronisme et l’exercice du pouvoir par l’actuel chef de l’Etat a-t-il fragilisé la démocratie ? 

En vérité, il n’a fait que porter à son paroxysme un mode de fonctionnement de la politique française déjà en cours, mais auquel sa personnalité se prêtait particulièrement. L’actuel chef de l’Etat élu en 2017 à la faveur d’un scandale politique, s’est présenté en Jupiter – dieu de l’Olympe – en promettant le « renouvellement » et la « transformation » de la France. Une énorme déception – probablement inévitable – s’est ensuivie. Le premier quinquennat, comme le début du second, s’est traduit par un envahissement de la communication autour d’un « récit personnel » destiné à couvrir l’abîme entre la promesse et la déception. L’actuel président incarne ainsi, mieux que quiconque, le tandem impuissance/personnalisation à outrance, qui caractérise le régime politique français notamment depuis l’adoption du quinquennat se traduisant par la concentration du pouvoir à l’Elysée – ou plutôt de l’illusion du pouvoir.  Il n’est pas le seul responsable. La crise politique actuelle procède du comportement indigne de nombreux politiciens qui se sont reniés en 2017 comme en 2022 ralliant le pouvoir jupitérien par opportunisme. Ces défections expliquent une bonne part de la dégradation de l’image de la politique en France et l’affaiblissement de la droite LR, privant le pays d’un espoir d’alternance possible et favorisant l’abstentionnisme comme le vote aux extrêmes. De même la responsabilité d’une grande partie des médias et de nombreux prétendus « intellectuels » est évidente quand ils ont sombré dans l’éblouissement et la courtisanerie envers le pouvoir jupitérien et ainsi renoncé à leur mission de gardiens de la vérité et de l’esprit critique. 



Un accord avec Les Républicains sur le projet de loi immigration pourrait-il dénouer le sentiment de crise politique dans lequel le pays est plongé ? Ou le mal est-il plus profond à cause de la politique et de la stratégie d’Emmanuel Macron et de l’art du « et en même temps » ?

Le résultat de la commission mixte paritaire ne changera vraisemblablement pas grand-chose à la crise politique actuelle quel qu’en soit l’issue. Il est illusoire de penser que le projet de loi actuel même tel qu’il est débattu par la CMP issu du Sénat comporte des mesures qui vont changer en profondeur la situation migratoire de la France notamment en permettant la mise en œuvre des OQTF ou la protection de la frontière européenne face aux passeurs esclavagistes ou encore une maîtrise de l’asile. La droite LR, dans cette affaire a certes permis d’éviter la mise en place d’un dispositif de régularisation de plein droit après trois ans de séjour irrégulier qui eût aggravé l’impuissance de l’Etat. Mais depuis deux mois, la disproportion entre les gesticulations politiques autour de ce projet et le résultat à en attendre sur le plan de la maîtrise de l’immigration est considérable. « Beaucoup de bruit pour rien » comme dirait Shakespeare. Donc la crise politique, la montée de l’abstentionnisme et celle du RN dans les sondages ont de bonne chance de se poursuivre. La mal politique français est beaucoup plus profond. Il procède du décalage entre l’esbroufe politicienne et l’impuissance dans tous les domaines, pas seulement l’immigration, mais aussi la dette, l’école, la sécurité, le chômage, la pauvreté, le logement, le pouvoir d’achat, etc. Le grand-Guignol des uns et des autres pour couvrir l’impuissance est largement perçu comme tel. S’ajoute à cela l’incapacité des hauts dirigeants à trancher, à décider, à prendre des risques personnels pour vider l’abcès comme une dissolution ou un référendum engageant la poursuite du mandat présidentiel. Souvent, les coups de menton ne font que couvrir l’indécision. Le fond du problème, c’est que le peuple est beaucoup plus lucide que ne l’imaginent les dirigeants politiques. Dans l’ensemble, il se rend bien compte de tout cela. L’avenir de la politique française dépend de la capacité à trouver les mots et les gestes d’une réconciliation avec le peuple et du retour de la confiance. Mais c’est tout le contraire qui se produit en ce moment. 

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