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Crise migratoire : cette violence que les demandeurs d'asile essayent de fuir et qu'ils reproduisent dans le pays d'accueil
©Reuters

Cause à effet

Depuis 2009, une équipe de 4 professeurs en Economie s'intéressent de façon empirique à l'impact des guerres sur le niveau de violence des demandeurs d'asile. Ceux qui ont effectivement éprouvé, directement ou indirectement, les violences d'un conflit dans leur pays d'origine ont 40% de chance en plus que les autres de commettre des violences dans leur pays d'accueil.

Mathieu Couttenier

Mathieu Couttenier

Mathieu Couttenier est professeur-assistant d'Economie à l'université de Genève. 

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Atlantico : Dans une récente étude menée entre 2009 et 2012 et réactualisée il y a peu à l'aune de la crise migratoire, vous constatez que la propension à commettre des actes de violence chez les demandeurs d'asile est presque deux fois supérieure (1,75) chez ceux qui ont souffert eux-mêmes de violences, directement ou indirectement, dans leur pays d'origine, que chez ceux qui n'ont pas éprouvé cette violence. Comment interprétez-vous ce résultat ? Quels sont les ressorts de cette causalité ? 

Mathieu Couttenier Avant de répondre à votre question, je tiens à souligner que l'étude à laquelle vous faites référence a pour objectif principal d'améliorer la compréhension des déterminants des guerres civiles et plus particulièrement de leur récurrence. Pourquoi, dans le monde, plus de 60% des nouvelles guerres civiles éclatent-elles dans des pays ayant déjà connu des conflits dans le passé ?

Au-delà d'études très spécifiques et d'anecdotes, il est extrêmement compliqué d'isoler un effet causal de l'exposition directe ou indirecte des individus à la guerre sur leurs futurs comportements violents. La raison principale est que, dans la grande majorité des cas, les individus restent dans l‘environnement dans lequel ils ont été initialement exposés au conflit. Ainsi il devient délicat de distinguer entre  l’effet de reproduction de la violence au niveau individuel et les éléments contextuels favorisant l’émergence des conflits,  tels que de faibles institutions, la présence de ressources naturelles ou encore de tensions ethniques.

Deux grandes raisons expliquent pourquoi des individus ayant été exposés à des conflits deviennent plus violents. D’une part, l'exposition directe à la guerre, qui se caractérise notamment par un traumatisme psychologique lié au fait de subir soi-même la violence ou de l'observer (notamment à travers la violence envers les proches). D’autre part, l'exposition indirecte à un contexte de guerre, via une baisse drastique des revenus du ménage, l'impossibilité d'un accès à l'éducation, à la santé ou encore l’érosion des valeurs civiques et morales.

Dans notre étude nous nous intéressons à la criminalité violente de la population des demandeurs d'asile politique en Suisse en nous focalisant sur ceux ayant été exposés à des guerres civiles dans leur pays d'origine. Clairement notre étude fait écho à l’actualité de la crise migratoire dans le reste de l’Europe. Nous observons qu'en moyenne, les requérants d'asile qui ont été exposés, directement ou indirectement, durant leur enfance (1 à 12 ans) à des conflits civils ou à des génocides ont 40% plus de chance d'être violents que leurs co-nationaux qui sont nés après la dernière année de guerre civile dans leur pays. Par ailleurs, nous démontrons que la mise en place de politiques d'accueil intégratives permet de réduire cette reproduction de la violence, mais nous y reviendrons plus en détails. 

Votre étude va encore plus loin, précisant que cette violence est d'autant plus importante chez les personnes atteignant leur 20ème année, et chez les hommes. Ainsi, on aurait un "profil type" du demandeur d'asile commettant des actes de violence dans le pays d'accueil : avoir connu un contexte de guerre (et donc avoir subi, directement ou indirectement, les violences associées), avoir 20 ans et être un homme. N'y-a-t-il pas là le risque que certains pays européens mettent en place des restrictions particulières à l'égard de ce type d'individu ? 

Votre question fait référence à des faits bien connus en criminologie: les jeunes hommes sans emploi sont plus prompts à la violence et cette propension décroit fortement avec l’âge. Dans notre étude, nous ne  détectons pas de différences de violence entre les jeunes individus (18-21 ans) exposés aux conflits durant leur enfance et ceux qui n’y ont pas été exposés. En revanche, nous constatons que les individus exposés aux conflits durant leur enfance voient leur niveau de violence baisser beaucoup moins rapidement avec l'âge que les individus non exposés. De fait, notre étude n'apporte en aucune manière une preuve tangible de l'utilité de la mise en place de restriction à l'égard des jeunes hommes migrants. Une conclusion en ce sens ne serait que pure spéculation.

Plus généralement, ne pourrait-on pas craindre une réappropriation des résultats de votre recherche par certains partis populistes européens et par certains pays européens afin de durcir encore plus leurs politiques migratoires ? 

C'est effectivement un risque auquel nous nous exposons en l'absence d'une lecture rigoureuse et honnête de notre étude. Celle-ci démontre que l'exposition aux conflits, pour les raisons susmentionnées, a un impact fort et persistant sur le comportement de violence des individus et que cet impact peut être totalement contrebalancé par la mise en place d'une politique publique d'accompagnement et d'intégration au marché du travail. 

L'actualité a mis en lumière plusieurs actes de violence commis par certains réfugiés/demandeurs d'asile à l'encontre des populations locales (cf. les incidents de Cologne lors de la soirée du Nouvel An par exemple). Pourtant, vos recherches montrent que la violence a lieu essentiellement entre les demandeurs d'asile eux-mêmes, et notamment entre ceux d'une même nationalité. Comment s'explique cette violence entre demandeurs d'asile ? Qu'en est-il de celle à l'encontre de la population du pays d'accueil ? Qu'est-ce qui motive cette dernière ? 

En effet, un résultat important de notre étude porte sur la nationalité des victimes des violences commises par les demandeurs d'asile. Au risque d'aller à l'encontre du message véhiculé par de nombreux partis populistes en Europe, nous démontrons que l'essentiel de la violence des demandeurs d'asile a lieu entre demandeurs d'asile, et n'est pas dirigé majoritairement contre la population du pays d'accueil. Nous émettons deux hypothèses pour expliquer ce phénomène. Tout d'abord un effet de réseau social qui veut que les demandeurs d'asile fréquentent essentiellement d'autres demandeurs de la même communauté, notamment dans les "centres d'accueil". Deuxièmement, ces individus migrent, en très grande majorité, pour fuir leur pays en guerre. Ils  peuvent donc se retrouver confronter, à nouveau, à des co-nationaux contre lesquels ils étaient en guerre dans leur pays d'origine. Ces deux mécanismes soulignent l'importance de la politique d'accueil et de la compréhension des raisons qui poussent les individus à migrer en temps de guerre.

Vos travaux révèlent que l'accès au marché du travail pour les demandeurs d'asile permettrait de réduire significativement cette violence. Dans quelle mesure ? Est-ce réalisable en l'état ? 

C'est une des conclusions majeures de notre étude: la mise en place d'un accueil décent, de qualité, avec des opportunités d'intégration, notamment par un accès au marché du travail, crée des incitations à même de réduire totalement l'effet de l'exposition aux conflits. Le fait d’offrir des perspectives d'intégration future limite fortement le risque d'une augmentation de la violence des réfugiés. Ainsi, notre étude ne conclue, en aucun cas, de la nécessité de la mise en place de politiques migratoires encore plus restrictives, bien au contraire.

Par conséquent, au regard de la crise actuelle des migrants et des conclusions de notre étude, nous appelons à une mise en place d'une politique d'asile généreuse pour les trois raisons principales suivantes:

  • Les demandeurs d'asiles fuient leur pays en guerre et ont besoin de protection.
  • L'accueil des migrants n'augmente en rien la criminalité si des politiques d'accueil de qualité sont mises en place.
  • L'accueil des demandeurs d'asile contribue également à stopper les cycles de violences que de trop nombreux pays connaissent. Le refus des pays européens d'accueillir les migrants, et au-delà, l'abandon de générations entières, ne feraient qu'augmenter le risque de conflits civils futurs. 

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