Covid : l’analyse des eaux usées est bien plus efficace (et moins chère) que les tests pour traquer les contaminations et pourtant la France y a totalement renoncé <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
L'analyse des eaux usées, notamment à Marseille, a permis d'anticiper et de mesurer l'ampleur des contaminations à la Covid-19.
L'analyse des eaux usées, notamment à Marseille, a permis d'anticiper et de mesurer l'ampleur des contaminations à la Covid-19.
©Christophe SIMON / AFP

Atout majeur

La surveillance des eaux usées a permis de traquer le Covid-19 lors de la crise sanitaire. Cette méthode peut permettre de limiter l'impact des épidémies.

Vincent Maréchal

Vincent Maréchal

Vincent Maréchal est Professeur de Virologie à Sorbonne Université, où il dirige l’UFR de Sciences de la Vie depuis 2015. Vincent Maréchal est co-fondateur de plusieurs initiatives de recherche sur le COVID-19 dont le réseau OBEPINE (suivi du SARS-CoV2 dans les eaux usées dans le cadre d’un plan de lutte intégrée contre le COVID-19), l’initiative COVID-IA. Il est également activement impliqué dans la recherche de nouveaux antiviraux actifs contre le SARS-CoV2, notamment dans le cadre de stratégies de repositionnement médicamenteux.
Voir la bio »

Atlantico : Pendant l’épidémie de coronavirus, la France s’est surtout reposée sur les tests PCR pour identifier le degré de contamination du pays. Pour autant, il aurait aussi été possible de se reposer sur l’analyse des eaux usées… laquelle constitue une solution peut-être plus efficace encore pour identifier la réalité de l’évolution virale sur une zone donnée. Comment cela fonctionne-t-il, exactement ?

Vincent Maréchal : En pratique, l’analyse des eaux usées présente de nombreuses différences avec l’analyse individuelle, à laquelle la France a eu beaucoup recours à travers les tests PCR. Les agents pathogènes qu’il est possible de rechercher sont nécessairement limités, puisqu’ils doivent être détectables soit dans les selles, soit dans les urines. Nous pensons aussi qu’il serait possible de détecter des virus présents sur la peau et libérés lors de lavages corporels, voire des virus salivaires. On ne peut donc pas tout détecter, mais il reste possible d’en voir beaucoup. 

Dans les faits, s’il fallait entrer dans le détail, je me dois de préciser que ce ne sont pas les agents pathogènes eux-mêmes qui sont détectés : ce sont leurs génomes respectifs. Cela permet de différencier la présence d’un virus dans le système immunitaire et son caractère infectieux.  

La première question qui se pose, me semble-t-il, est celle des endroits où il nous est possible de chercher. Les toilettes étant raccordées à un réseau d’assainissement, il est possible de regarder l’évolution d’un virus à la sortie d’un bâtiment tel qu’un Ehpad, une prison ou une résidence universitaire par exemple. Dans ce cas de figure, on se place très près de la source d'excrétion, ce qui peut poser certains problèmes de pertinence : plus on est près d’un bâtiment, plus l’on sera sujet aux variations des fluents qu’il peut y avoir dans la journée. Pour contourner ce problème, nous installons des collecteurs automatiques dans les réseaux d'assainissement. Il s’agit de petits automates qui vont collecter des eaux usées pendant 24 heures. 

À Lire Aussi

Covid-19 et analyse des eaux usées : mais pourquoi cette grande timidité des pouvoirs publics face aux solutions innovantes ?

Bien sûr, il est aussi possible de s’intéresser aux eaux usagées trouvées dans des égouts de plus ou moins grande taille. Dès lors que l’on s’éloigne de la sorte, on peut obtenir une moyenne et une image plus globale (et donc de plus en plus précise, de plus en plus pertinente) de ce qu’il se passe. 

Enfin, il est également possible de se pencher sur les eaux que l’on retrouve dans les stations d’épuration. C’est là que l’on collecte les effluents des habitations et, dans certains endroits, des effluents en provenance de l’industrie. Il faut donc faire preuve de vigilance pour que de telles perturbations ne viennent pas fausser les résultats. Cela étant dit, selon la taille de la collectivité raccordée, il devient possible d’analyser l’équivalent de quelques milliers de personnes jusqu’à plusieurs millions.  

Le choix de la station d’épuration permet donc l’obtention d’une analyse territoriale plus ou moins étendue. 

Quels sont les avantages que présente une telle méthode, par rapport au dépistage clinique utilisé notamment en France ?

Le premier intérêt des eaux usées correspond à ce que je décrivais précédemment : selon l’endroit où l’on cherche, on peut obtenir une représentation plus ou moins ciblée ou plus ou moins élargie ou ciblée d’un territoire. 

De plus, l’analyse des eaux usées présente un autre avantage ! Les autorités ne sont pas tributaires d’une campagne d’échantillonnage sur une population ciblée. Les tests individuels présentent un atout clair : ils permettent d’en savoir plus sur la capacité d’autrui à transmettre la maladie. En revanche, ils sont aussi victimes de deux biais majeurs, observés notamment en France.  

À Lire Aussi

Analyse des eaux usées : voilà ce à quoi elle pourra nous servir après la pandémie

D’abord, il faut évoquer le calcul du taux d’incidence, lequel s’appuie sur des valeurs qui dépendent énormément de la population visée. La représentativité statistique s’en retrouve forcément impactée, puisqu’elle dépendra grandement de la façon dont aura été menée la campagne. 

Ensuite, il faut forcément parler du coût ! Pour déduire des courbes de tendance, dans le cas du SARS-CoV 2, l’analyse des eaux usées s’avère 5000 fois moins chère que le test clinique individuel. Les résultats, pourtant, sont comparables. Le rapport bénéfice-coût est donc sans comparaison, même s’il n’est pas possible d’en savoir autant sur l’individu malade. 

Dans les faits, le choix de l’analyse des eaux usées ou du test clinique individuel revient à opposer l’épidémiologie individuo-centrée (soit l’acquisition de données sanitaire à échelle de l’individu) à la macro-épidémiologie (c’est-à-dire la photographie, à instant T, beaucoup plus globale et beaucoup plus robuste sur le plan statistique). 

Il faut aussi évoquer un autre problème induit par le test clinique individuel : le reporting se fait sur la base de l’adresse de la carte vitale. Bien sûr, cela n’a l’air de rien, mais dans les faits cette adresse ne correspond pas toujours au lieu où l’on travaille et certainement pas au lieu où l’on passe toutes ses vacances. Dès lors, durant les périodes de congés, le reporting des cas se fait sur une adresse administrative plus que réelle. Ce n’est pas le cas avec l’analyse des eaux usées. 

Dès lors, comment expliquer que la France ne se soit pas emparée de cet outil pendant la crise sanitaire ?

À Lire Aussi

Sécheresse en vue : Pourrait-on utiliser les eaux usées issues des lavabos ou de la douche pour des usages domestiques ?

Votre question est particulièrement complexe, cependant, il serait malhonnête de dire que la France ne s’est absolument pas saisie de l’analyse des eaux usées. Le réseau Obépine, que je dirige, a été le premier à montrer qu’il y a une corrélation entre les quantités de charges virales que l’on trouve dans les stations d’épuration et les indicateurs épidémiologiques classiques (dont le plus robuste, à l’époque, correspondait au taux d’hospitalisation). C’était d’ailleurs une première internationale. 

Nous avons commencé ces travaux dès février 2020. Par la suite, tous les pays occidentaux se sont saisis de cet outil. Nous avons d’ailleurs été soutenus, à partir du mois de juin de la même année, par le Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation pour développer un réseau sentinelle. En deux ans, nous avons suivi 200 stations d’épuration en France, soit l’équivalent de 40% de la population en France métropolitaine. Les outils existent, nous avons prouvé scientifiquement l’intérêt de cette approche. Elle a même conduit l’Europe à émettre à l’attention de sous États membres une recommandation à développer un système comparable, dès avril 2021. 

Pendant le printemps et l’été 2021, la France a donc été sommée de proposer une solution institutionnelle, laquelle s’est traduite par la création d’un autre réseau visant à agréger tous les dispositifs existant. Il s’agit d’un réseau qui existe encore : le réseau Sum’Eau, qui a été placé sous la tutelle de l’Anses et de Santé-Publique France. 

Dès lors, et pour des raisons budgétaires, nous avons arrêté le suivi des données épidémiologiques par analyse des eaux usées en avril 2022. On nous a garanti que Sum’Eau prendrait la relève. Dans les faits, l’organisme n’a pas encore produit de données à l’attention du grand public. 

Tout cela pose évidemment question : pourquoi ne pas avoir utilisé le travail du réseau Obépine ? Nous avons produit un système efficace. La réponse est simple : en France, il faut distinguer ce qui relève de la recherche - ici, Obépine - de ce qui relève de la surveillance - ici, Sum’Eau. La question que cela pose est structurelle : faut-il vraiment maintenir cette distinction ? Je n’en suis pas convaincu, particulièrement au regard de l’exemple des Pays-Bas (où de nombreux autres pays dont la solution est l’exacte inverse) qui semble bénéficier de systèmes plus efficients. 

En France, le l’articulation entre la recherche (qui relève du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation) et la surveillance (qui relève du Ministère de la santé) ne se fait pas bien. 

Du reste, me semble-t-il, le problème est culturel. Bien sûr le concept d’étude des eaux usées en épidémiologie n’est pas nouveau en soi… Cependant, il n’y avait jamais eu d’analyse aussi poussée par le passé. Or, de nombreux épidémiologistes traditionnels ont considéré que cette approche ne pouvait pas avoir la même pertinence qu’un test individuel. Ils sont nombreux, désormais, à revenir sur ce dogme, d’ailleurs démenti par le succès de l’opération.  

Peut-on penser que l’analyse des eaux usées a un grand avenir devant elle, en épidémiologie ?

Je suis convaincu que l’analyse des eaux usées est en train d’acquérir ses lettres de noblesse. L’expérience du SARS-CoV 2, en France et à l’international, ne permet plus de le discuter. 

Dorénavant, les choses peuvent évoluer dans deux directions, me semble-t-il. D’un côté, il y a le développement du même type d’approche pour d’autres types de pathogènes : nous travaillons actuellement, au sein d’Obépine, sur des virus transmis par voie sexuelle comme le papillomavirus. Il serait d’ailleurs possible de suivre l’efficacité des campagnes vaccinales à travers les eaux usées. 

D’autres projets s’orientent, pour leur part, vers les arboviroses. Il s’agit des maladies transmises par les arthropodes… comme les moustiques. Cela comprend le zika, le chikungunya ou la dengue, par exemple. 

A Paris, nous avons aussi montré que nous étions en mesure de détecter le MonkeyPox dans les eaux usées. Nous nous intéressons aussi à l’ensemble des pathologies respiratoires, comme la grippe, qui peuvent être quantifiées grâce à ces analyses. Ce panel, qui n’a rien d’exhaustif, montre bien que nous allons largement plus loin que le seul virus du Covid. Toutefois, pour que cela fonctionne, il faudra les bons outils pour détecter et quantifier les virus.  

Le dernier volet concerne les territoires où il n’existe pas de station d’épuration, ce qui bloque certaines de nos mécaniques d’approche. Dans ce cas précis, il nous faut cibler des bâtiments spécifiques et développer des outils d'échantillonnage in natura, qui nous donneront (espérons-le) le même type de résultat que l’analyse d’une station d’épuration.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !