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Corneille violé par une femme…Derrière le chanteur, une agression taboue beaucoup plus répandue qu’on ne le croît
©Capture d'écran / France 2

Si les femmes s'y mettent aussi...

Parmi les tabous qui demeurent encore dans nos sociétés réside le phénomène de la pédophilie féminine. Trop souvent sous-estimé, il est pourtant plus fréquent qu'on ne le croit, comme en témoigne le récent témoignage du chanteur Corneille, victime d'agression sexuelle de la part de sa tante à l'âge de six ans.

Philippe Genuit

Philippe Genuit

Philippe Genuit est psychologue clinicien au Centre Ressource pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (Criavs) de Midi-Pyrénées à Toulouse.

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Atlantico : Dans son autobiographie sortie ce jeudi, le chanteur Corneille évoque les abus sexuels dont il a été victime de la part de sa tante étant alors âgé de six ans. Un témoignage qui révèle, une fois de plus, qu'il s'agit là d'un phénomène plus fréquent qu'on ne le croit. Pour quelle(s) raison(s) la pédophilie féminine est-elle autant sous-estimée (en comparaison notamment avec la pédophilie masculine) ? 

Philippe GenuitIl existe plusieurs raisons à cette sous-estimation. Commençons par les raisons sociologiques : à partir du moment où la femme est conçue dans une sorte de minora politique, et même si elle a acquis de nombreux droits ces dernières décennies, certaines choses perdurent du fait de cette ancienne  position. Par ailleurs, biologiquement, la femme n’a, bien évidemment, pas les mêmes attributs sexuels que le mâle auxquels on associe l’agressivité et l’agression sexuelle dans nos pré-requis.

L’autre raison qui découle de celle-ci afin d’expliquer la sous-estimation de la pédophilie féminine, c’est le fait que l’on va moins chercher du côté de la femme dans les affaires de pédophilie.

Ensuite, il faut savoir qu’une procédure est instruite que si on est sûr d’aller au bout. Dans les cas de pédophilie féminine, c’est très rarement le cas.

Enfin, je terminerai sur l’éprouvé sexuel. Celui-ci a fini par être mis en avant publiquement, mais cela a pris du temps. En Allemagne, le processus commence à peine : pour prouver que la personne victime d’une agression sexuelle n’était pas dans le consentement, il faut des preuves de cette absence de consentement. Pour consentir, il faut généralement être en position de majorité : par exemple un mineur, ou une personne vulnérable comme un patient psychiatrique, sont considérés comme ne pouvant pas consentir ; la femme n’est pas non plus capable de consentir. Là-dessus, l’éprouvé d’une agression par un homme est aujourd’hui entendu, on se le représente, on l’accepte, même si l’agression n’a pas eu lieu par le sexe mais par des objets. La mauvaise représentation de l'abus fait qu'il n’est pas forcément vécu comme tel au moment où il a lieu. Si l’on prend le cas de Corneille, bien que je ne le connaisse pas, on pourrait imaginer qu’à l’âge de six ans, au moment où il a vécu cet abus, il ne devait pas y penser selon les représentations que l’on s’en fait actuellement. Il lui a fallu le temps de l’élaboration pour se rendre compte qu’il a été abusé. Dans certains cas, lorsque cela provient d’une femme de la famille, l’enfant victime d’abus peut apparenter cela à une forme de soins, bien que déplacés. Il y a trente ou quarante ans, ces choses-là n’étaient pas dites, elles n’étaient pas entendables socialement. Il y a un effet entre le psychologique et le sociologique : on se représente les choses psychologiquement parce qu’elles sont entendables socialement ; parce qu’elles n’étaient pas entendables avant, elles n’étaient donc pas entendues. Dans les années 1970, lorsqu’on a commencé à accepter le viol de la femme et à le pénaliser, on s’est rendu compte, à travers la parole de ces femmes violées, que celles qui l’avaient été en tant qu’adultes l’avaient également été, dans la plupart des cas, étant enfants. C’est alors qu’on a commencé à envisager le viol des enfants/mineurs, à en faire un crime, et à permettre aux personnes ayant été victimes d’abus sexuels en tant qu’enfant de porter plainte dix ans, puis vingt ans actuellement après que les faits aient été perpétrés.

Il ne faut pas non plus sous-estimer le sentiment de honte quand on est un garçon de dire qu’on a été victime d’une agression sexuelle. D’ailleurs, le mot "victime" est féminin et il était encore synonyme de "femme" dans certains dictionnaires il y a cinquante ans environ.

On voit donc bien à quel point le social et la question de la représentation jouent un rôle important. J’ai eu des patients, hommes et femmes, qui se sont rendus compte qu’ils avaient été abusés après avoir eux-mêmes abusés. C’est une manière de se représenter ce que ces personnes ont subi alors que cela n’était pas très bien formalisé au moment où elles ont subi l’abus.

Pour revenir sur l’aspect sociologique évoqué plus haut, on pourrait également considérer la place de la femme dans la société et son rôle de mère. Bien que la mère a toujours été considérée comme une victime potentielle, cette figure a également souvent été suspectée. Le terme de "mauvaise mère" apparaît dans les tribunaux à la fin du XIXème siècle ; dans les années 1960/70/80, on pouvait parler de "mère pathogène" dans l’univers psychiatrique ; et surgit actuellement, sans doute, la "mère incestueuse". Mais tout cela remonte à bien plus longtemps : il n’y a qu’à lire Sophocle pour s’en apercevoir. Dans la Grèce antique, ce n’est pas l’inceste dans sa représentation actuelle qui posait problème  - d’ailleurs le terme n’existait même pas – mais le fait qu’il était inconcevable de pouvoir toucher la mère. Toutefois, on se rend compte que la femme était déjà suspectée dans le monde antique, ce que révèlent notamment les dictionnaires latins où le terme "incestus" apparait et est associé à l’adultère féminin. 

Malgré le tabou que représente la pédophilie féminine, existe-t-il des estimations du nombre de victimes en France ? Quelles sont les recours qui s'offrent à elles ? 

En France, vous n’aurez que les statistiques de la Justice, qui ne portent que sur les personnes sanctionnées et condamnées. Chez les Anglo-Saxons en revanche, pour les enquêtes d’opinion menées, les données quantitatives sont rentrées, ce qui peut donc permettre de faire ressortir la pédophilie féminine. Du fait que les femmes sont très rarement condamnées en France pour ce genre d’acte, cela explique qu’il existe très peu de statistiques sur ce phénomène qui tend alors à être sous-estimé. Toutefois, au niveau de la Justice, on peut constater le nombre de personnes mises en cause et le nombre de condamnations : on s’aperçoit alors, comme l’avait révélé dans un travail européen Coline Cardi, professeure en sociologie, qu’il y a une très grande perte entre la mise en cause et la condamnation au niveau de la population féminine contrairement à la population masculine.

Pour toute victime de pédophilie, qu’elle soit féminine ou masculine, la personne ayant été victime peut porter plainte jusqu’à ses 38 ans. Elle a donc désormais le temps de la maturation alors qu’avant, cet âge était porté à 18 ans. Il faut savoir que ce n’est pas une démarche simple. La majorité des affaires de pédophilie (90%) se passent dans la sphère domestique. Ainsi, dans ces cas, lorsque vous portez plainte, vous risquez de vous mettre à mal le reste de la famille; une situation qui pourrait raviver ou créer des tensions. 

Y-a-t-il des pays plus en avance sur la perception et le traitement de la pédophilie féminine ? 

Je ne sais pas si l’expression "en avance" est celle qui correspond le mieux. Ce qui est certain, ce que les Anglo-Saxons traitent cela différemment de nous, en raison notamment de leur système juridique lié à la Common Law. Compte tenu la situation actuelle, je dirais plutôt que la France est dans la mouvance. Il faut aussi tenir compte du fait que la place de la femme n’est pas la même d’un pays à l’autre : par exemple, en France, la femme travaille beaucoup plus qu’en Allemagne. De ce fait, la femme étant plus indépendante en France, celle-ci se trouve alors confrontée aux devoirs et aux responsabilités associés à leur autonomie ; puisqu’elles ont désormais une place, il est possible de leur poser des questions qu’on ne leur posait pas avant. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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