COP21 : une première journée prometteuse mais sans garantie sur la transformation de l’essai<!-- --> | Atlantico.fr
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Le 30 novembre se tenait le premier jour de la COP21.
Le 30 novembre se tenait le premier jour de la COP21.
©Reuters

Paroles, paroles, paroles...

La COP21 a débuté lundi 30 novembre. 150 chefs d'Etat se sont exprimés à l'occasion d'un discours d'entrée particulièrement long, mais soulignant avec insistance les enjeux politiques et humains du changement climatique. Un bilan plutôt positif, mais sur lequel plane l'ombre de nombreux obstacles.

François Gemenne

François Gemenne

François Gemenne est chercheur en sciences politiques, au sein du programme politique de la Terre. Il est enseignant à l'université de Versailles-Saint Quentin, et à Sciences Po Paris.

Spécialiste du climat et des migrations.

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Atlantico : Le 30 novembre se tenait le premier jour de la COP21. Les 150 chefs d'états présents se sont tous exprimés tenant un discours jugé "volontariste" par Le Monde. Quel bilan peut-on faire de cette première journée ?

François Gemenne : Faire venir les chefs d'Etat le premier jour de la COP21 m'apparaît comme une bonne idée. Traditionnellement, ils sont plutôt présents à la fin. Cela contribue, à mon sens, à donner une certaine impulsion politique. Parmi les discours auxquels on a pu assister, certains étaient très forts. Je retiens notamment que de nombreux chefs d'Etats ont insisté sur la dimension humaine du changement climatique. Il était temps qu'on réalise que le changement climatique ne peut pas être considéré uniquement comme un problème environnemental : c'est avant tout un problème d'ordre politique, déterminé par des choix collectifs. Il est primordial de le comprendre.

Pour autant, entre les déclarations de bonne intention et les actions il y a un véritable gouffre à franchir. Je crains que l'optique "photo de famille" qui a eu lieu aujourd'hui persiste et qu'on cherche une espèce de consensus visant à contenter tout le monde, à satisfaire l'ensemble des intérêts. Or, dans l'ensemble, ces intérêts sont profondément conflictuels, contradictoires. Satisfaire tout le monde, c'est ne rien décider. C'est pourquoi c'est une bonne idée de faire cette photo de famille d'entrée de jeu : j'espère qu'elle ne sera plus réalisable à l'issue de la COP21. Si elle réalisable, c'est que nous ne serons arrivés à aucun accord contraignant. Pour le moment, cela à l'air plutôt bien engagé.  Plusieurs signaux sont actuellement au vert (le discours de François Hollande, particulièrement politique réussi, qui insiste beaucoup sur la dimension politique et humaine du changement climatique ; ainsi que l'attitude globale de la Chine sur le sujet depuis quelques mois) , mais ma grande crainte concerne la société civile. Cette dernière a, malheureusement, été un peu muselée, évincée même. Il est dangereux de mettre la société civile sous cloche, dans la mesure où il est absolument indispensable qu'elle puisse faire entendre sa voix. C'est elle qui connecte les négociations avec la réalité du changement climatique. Sans elle, les négociations s'enferment dans une bulle (on l'a vérifié à Copenhague en 2009), et aboutir à un accord devient irréalisable. En outre il existe encore d'autres obstacles comme, en premier lieu, l'attitude du Sénat et du Congrès américains, loin d'être prêts à ratifier un protocole contraignant. C'est une difficulté de taille conséquente qu'il faudra surmonter.

Tous les acteurs sont-ils traités de la même façon ? François Hollande a diné avec Barack Obama ce 30 novembre au soir. Qu'est-ce que cela peut-il traduire de l'impact et de l'importance de tout un chacun au sein de cette COP21 ?

Il est évident que la négociation est profondément inéquitable, dans son organisation comme dans son fonctionnement. Certains acteurs sont, bien entendu, plus importants que d'autres. On sait dorénavant que les clefs d'un accord sur le climat tiennent largement dans les mains de la Chine et des Etats-Unis. De facto, ce seront donc deux acteurs essentiels, traités avec plus d'égards que d'autres. Malheureusement, les pays en développement sont souvent mis de côté dans ces négociations, en dépit du fait qu'ils soient concernés au premier chef.

Cette inégalité indéniable se retrouve également dans la taille des délégations. Les Nations-Unies financent deux délégués par pays. La Belgique rejoint les négociations avec 160 délégués, quand la République Centrafricaine est attendue avec deux délégués seulement. Tous les pays n'ont pas les moyens d'ajouter des délégués à ceux déjà financés par l'ONU et la taille des délégations n'est pas limitée. De ce fait, chaque délégation ne peut pas mobiliser la même expertise.

L'ensemble des discours menés étaient assez consensuels, à l'exception de celui de la Russie. Dans quelle mesure cette "photo de famille" est-elle une réussite diplomatique ? Que peut-on dire de cette posture "chevalier blanc" adoptée par Poutine ? 

Je pense que l'on peut aborder le discours de François Hollande, qui a probablement été l'un des meilleurs de son mandat. Le discours de Barack Obama a impressionné une bonne partie de l'assistance, à l'aide de son sens de la rhétorique. Néanmoins, son discours entre en contradiction avec les politiques climatiques qui sont mises en œuvre dans son pays, en dépit de rares signaux positifs. Barack Obama s'avance donc beaucoup et il sait que le Sénat américain – majoritairement républicain et climato-sceptique – ne signera jamais un traité contraignant. Déjà en 2009, Barack Obama avait prononcé un discours qui avait bluffé tout le monde, mais l'expérience de Copenhague rappelle pourquoi il convient de ne pas crier victoire trop tôt. Des déclarations d'intention aux actions réelles ; et particulièrement quand les Etats vont réaliser l'effort réel, le choix collectif que cela implique ; demeure un vrai gouffre. Nous allons probablement déchanter, après les grandes ambitions annoncées par certains.

L'idée est la suivante : au début de la conférence, personne n'est fâché. Puisque l'ensemble des participants sont contents, volontaires, tout le monde affiche de bonnes intentions. Cela étant, la véritable réussite diplomatique se constate dans l'impulsion politique que cela peut donner à la conférence. Savoir que les chefs d'Etat donnent ce genre d'instructions à leurs négociateurs (souvent extrêmement timides, se sentant pris dans un carcan dû à leurs politiques nationales) pourrait peut-être les libérer.

Enfin, la posture adoptée par Vladimir Poutine ne doit tromper personne. Elle est uniquement possible grâce à un tour de passe-passe : la Russie compare ses émissions au niveau de 1990 (choisi par l'ONU), or en 1991, l'URSS s'est effondrée. Aussitôt, les émissions de gaz à effet de serre se sont effondrées, virtuellement. Et pour cause : chaque République qui prenait son indépendance emmenait avec elle sa part d'émissions. C'est la raison de la chute drastique des émissions russes, de la capacité du pays à être bien deçà des objectifs du protocole de Kyôto, et d'afficher des objectifs bien supérieurs aux autres nations aujourd'hui. Pour autant, la Russie reste très largement réticente à un accord international sur le sujet : elle freine même des quatre fers, traditionnellement.

Fondamentalement, la société civile manque-t-elle au débat ? L'interdiction des marches a-t-elle eu un vrai impact ?

On en aura la confirmation sur le long-terme, mais jusqu'à présent, il est certain que la société civile n'a pas été très présente, notamment parce que la présence de chefs d'Etat cadenasse ce genre de choses. L'interdiction des marches, dans le contexte post-attentat, me paraît compréhensible. Néanmoins, il faut éviter la mise sous cloche de la société civile. Il s'agirait d'une véritable catastrophe autant que d'un très mauvais signal : les négociations se tireraient littéralement une balle dans le pied en se coupant des réalités du changement climatique. En outre, l'état d'urgence ne doit certainement pas être utilisé à museler les opposants et les militants. Ce serait un vrai dévoiement de l'état d'urgence.

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