Contrôle des loyers : l’expérience américaine grandeur nature qu’aurait dû méditer le gouvernement avant d’y recourir<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Contrôle des loyers : l’expérience américaine grandeur nature qu’aurait dû méditer le gouvernement avant d’y recourir
©JOEL SAGET / AFP

Effets pervers

Une expérience grandeur nature de contrôle des loyers a eu lieu dans les villes de Saint-Paul et de Minneapolis, deux grandes villes américaines d'une même agglomération. Après avoir fait passer une loi pour contrôler les loyers, les permis de construction ont chuté de 84% à Saint-Paul, au profit de Minneapolis.

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

Voir la bio »

Atlantico : Dans le Minnesota, Saint Paul et Minneapolis sont les deux grandes villes d’une même agglomération. Saint Paul a passé une loi pour contrôler les loyers, pas Minneapolis. Quelles ont été les conséquences de cette décision ? Qu'observe-t-on entre les deux villes ?

Marc de Basquiat : Sans se perdre dans le détail des dispositions techniques, on ne peut qu’être frappé par le graphique publié par le MinnPost, commenté par le journaliste Bill Lindeke. La ville de Saint Paul mettant en place un contrôle des loyers a vu une division par trois du nombre de mise en chantiers, alors que sa voisine choisissant une politique plus souple a observé un doublement des chantiers de construction de nouveaux logements.

Figure 1 - Moyenne roulante sur 6 mois du nombre de permis de construire d'immeubles collectifs – Source : U.S. Department of Housing and Urban Development

Tous les économistes rêvent de rencontrer des cas réels aussi évidents, prouvant que l’idée d’un contrôle des loyers va à l’encontre des effets recherchés et de tout bon sens économique. 

Au fait, quelle étaient les motivations de Saint Paul pour se lancer dans une politique paraissant si désastreuse ? Disons-le tout net : ce n’était pas un projet porté par le maire Melvin Carter, mais le résultat d’une action militante menée par le collectif HENS (Housing Equity Now Saint Paul), qui a obtenu une majorité sur une proposition très simple

En substance, leurs motivations – très louables – étaient les suivantes : « la pénurie actuelle d'unités locatives résidentielles et les niveaux de loyer en vigueur ont un effet néfaste sur la santé, la sécurité et le bien-être d'un nombre important de résidents de Saint Paul, en particulier les personnes appartenant à des ménages à revenus faibles ou modérés ». L’essentiel de la mesure votée en novembre 2021 tient en peu de mots : « Aucun propriétaire ne peut exiger une augmentation de loyer supérieure à 3% par an du loyer mensuel existant ». Aucune exception n’a été admise pour les rénovations et constructions neuves, ni les logements loués après être restés vacants. 

Avec une inflation américaine dépassant allègrement les 3% depuis un an, les propriétaires ont vu chuter la valeur de leurs biens immobiliers, supprimant toute motivation pour la construction de nouveaux logements destinés à la location. Comment s’en étonner ?

Dans quelle mesure les résultats observés dans les deux villes montrent-ils les effets pervers du contrôle des loyers de manière plus générale ?

L’idée de bloquer les loyers fait partie des serpents de mer des politiques économiques, qui opposent les tenants d’un Etat autoritaire à ceux qui proposent de réguler plus délicatement les marchés, afin de ne pas se priver de leur vertu d’auto-ajustement entre la multiplicité des offres et des demandes. Comme la mesure mise en place à Saint Paul est simpliste, elle illustre sans ambiguïté sa nocivité. Peut-on nuancer l’analyse en reconnaissant des vertus à d’autres formulations plus subtiles ? 

C’est le cas en particulier de la ville de Paris, où Anne Hidalgo a imposé en 2019 un dispositif d’encadrement articulant trois montants (en euros par mètre carré) selon un quadrillage de la ville en 80 quartiers. Par ailleurs, l’actualisation des loyers entre les baux suit obligatoirement l’indice de référence des loyers (IRL). Peut-on partager une lecture positive de cet ensemble de règles ?

Faire apparaître un « loyer de référence » est certainement vertueux, informant tant le propriétaire que le locataire d’une norme réputée fiable (le loyer médian observé dans le quartier), les aidant dans leur négociation. De même, la présentation d’un « loyer minoré » (de 30%) donne un rationnel lorsque les parties choisissent – pour des raisons qui les regardent – de fixer un prix inférieur à la norme recommandée. La loi définit également un « loyer de référence majoré » (de 20%) qu’il est interdit au propriétaire de dépasser sous peine de sanctions. 

L’économiste considère positivement un dispositif pas trop contraignant (moins de 10 amendes prononcées par an), qui contribue à réduire l’asymétrie d’information entre le locataire et le propriétaire. Le danger serait de le faire évoluer vers un outil de pilotage du niveau des loyers, en instaurant un contrôle politique du « loyer de référence majoré » pour chacun des 80 quartiers et en renforçant les sanctions. Ce faisant, la rentabilité économique des investissements immobiliers deviendrait tellement incertaine que beaucoup d’acteurs se détourneraient du secteur, qui se trouverait à moyenne échéance en panne de financeurs. 

Bruno Le Maire a déclaré "Nous mettons en place un bouclier loyer (...) Les loyers n'augmenteront pas, pendant un an, de plus de 3,5%". Dans quelle mesure cette décision, faite pour répondre à l’inflation, va-t-elle avoir des effets différents de ceux escomptés si l’on en croit l’exemple du Minnesota (et tant d’autres) ?

En toute rigueur, il semble difficile de prétendre combattre ainsi l’inflation, indice statistique calculé par l’INSEE à partir d’un panier de biens et services où les loyers ne pèsent que pour 6 %. Alors qu’il est difficile de maîtriser les effets en chaîne de la hausse des prix de l’énergie, le gouvernement cherche des moyens d’atténuer les conséquences pour les plus fragiles. Les quelques 40% de ménages locataires de leur résidence principale sont à l’évidence plus impactés que les propriétaires qui ont vu leurs patrimoines gonfler pendant les deux années Covid-19. La proposition du Ministre du Finances est donc d’abord un moyen de cibler le soutien public sur les ménages modestes. 

Ensuite, quelle serait la modalité concrète de cette limite de 3,5% d’augmentation des loyers ? S’agit-il d’instaurer un pilotage politique de l’indice des revenus locatifs (IRL) ? L’IRL est jusqu’ici établi simplement, « à partir de la moyenne, sur les 12 derniers mois, de l'évolution des prix à la consommation hors tabac et hors loyers ». L’IRL serait-il désormais fabriqué dans un bureau à Bercy, en lien avec Matignon et l’Elysée ?

Comme pour l’encadrement des loyers à Paris, la déclaration de Bruno Le Maire illustre la tentation que peuvent avoir les responsables politiques de décréter les indices économiques désirables, pour les imposer aux agents économiques, au lieu de les laisser prendre des décisions rationnelles à la marge des tendances macro-économiques. 

Le professeur Yoland Bresson le disait souvent lorsque nous évoquions le montant souhaitable de la redistribution dans un pays tel que la France : lorsqu’on s’écarte des fondamentaux, « l’économie se venge ! ». On le voit à Saint Paul dans le Minnesota. Evitons de déclencher le même genre de correction à l’échelle de Paris ou du pays. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !