Confidences hara-kiri : ce PS que François Hollande voulait liquider au profit d’un parti du Progrès… mais à quoi aurait ressemblé la gauche que le président n’a finalement pas eu le courage de réinventer ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
François Hollande souhaiterait en finir avec le Parti socialiste.
François Hollande souhaiterait en finir avec le Parti socialiste.
©Wikipedia / Kunikazu Utagawa (歌川 国員)

Nouvelle donne

Selon les confidences recueillies par les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, François Hollande souhaiterait en finir avec le Parti socialiste et le remplacer par une autre formation après 2017. Reste à savoir à quoi pourrait ressembler cette "nouvelle gauche", tant le flou idéologique et l'impopularité de François Hollande rendent l'équation difficile à cerner.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »
Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »
Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

Voir la bio »

Atlantico : A en croire les révélations des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, François Hollande souhaiterait supprimer le PS et le remplacer par un "parti du Progrès". Compte tenu de la vision de François Hollande sur des thèmes comme l'économie, l'islam ou l'immigration, à quoi pourrait ressembler cette "nouvelle gauche" ? Comment la situer sur l'échiquier politique français ? Au-delà d'une nouvelle gauche dotée d'une réelle idéologie, la doxa de ce nouveau parti ne correspondrait-elle pas plus simplement à François Hollande lui-même ?

Christophe Bouillaud : Il faudrait tout d'abord se demander quelles sont les convictions réelles de François Hollande. L'histoire malheureuse de la déchéance de nationalité semble montrer une très forte variabilité de ses convictions en fonction de l'intérêt électoral du moment. Une fois dit cela, on peut considérer qu'il s'est toujours situé dans la mouvance libérale du Parti socialiste (aile droite), comme l'a d'ailleurs montré l'un de vos confrères journalistes dans un livre sur François Hollande dans les années 1980. On peut donc supposer que le parti que fonderait François Hollande s'il en avait la possibilité serait sans doute un parti du centre, très fortement marqué par une vision libérale et européiste des choses.

Il est évident qu'une refondation d'un Parti socialiste autour de la personne de François Hollande serait bien sûr un moyen pour lui d'avoir un instrument partisan entièrement à sa dévotion. Cette hypothèse lui permettrait probablement par ailleurs de se débarrasser définitivement de ce qu'il reste des militants de gauche au sein du Parti socialiste. Mais je dois dire que cette hypothèse me parait extrêmement peu probable, tant François Hollande est peu populaire dans l'opinion.

Sylvain Boulouque : Sans mauvais jeu de mot, cette nouvelle gauche fantasmée par François Hollande ne sera ni plus ni moins qu'une gauche hollandaise. Concrètement, cela signifie que "sa" gauche serait une gauche qui évolue en fonction de l'actualité. C'est une gauche évidée de toute sa volonté politique, qui ne réfléchit à ses positionnements qu'en fonction des thématiques portées par l'actualité, la presse et selon les réactions qu'elle perçoit (ou croit percevoir) dans l'opinion publique. Fondamentalement, on pourrait parler d'une gauche sondagière, davantage qu'une gauche idéologique.

Bien évidemment, quelques fils conducteurs persisteraient si cette gauche fantasmée par le président de la République devait voir le jour. On retrouverait très certainement les notions de solidarité, le rejet de la xénophobie ; l'accent serait également mis sur l'économie de partage… mais en dehors de cela, au-delà de ces points, il ne resterait rien. La gauche de François Hollande n'affiche plus du tout la volonté de redistribuer, de repenser le monde ou l'économie. C'est une gauche très gestionnaire, mais pas de la même façon que ne pouvait l'être la gauche portée par Michel Rocard : celle-là n'a pas le moindre projet. C'est une gauche creuse, d'apparat, dont il ne reste guère que la posture. Il n'y a pas de fond.

Pourtant, il se réclame effectivement de quelques reliques du passé de la gauche. Dans les faits, néanmoins, il ne s'inscrit plus dans la lignée et dans l'héritage historique du socialisme. Il est même assez critique de la plupart de ce que la gauche revendique comme ses acquis et son histoire, qu'il s'agisse de l'action du Front Populaire, de la peine de mort ou des 35 heures. Il n'y a plus vraiment, dans la gauche que fantasme François Hollande, de réelle continuité historique et c'est clairement établi quand il invoque la "mélancolie de la gauche" pour mieux se présenter en gestionnaire, capable – par comparaison à ceux qui restent ancrés dans cette mélancolie – à réformer le pays. Cependant, derrière ces propos, une fois les mots prononcés, il n'y a plus rien, pas le moindre projet et encore moins un projet novateur. S'il fallait faire une comparaison à l'échelle européenne, on pourrait dire de François Hollande qu'il incarne une gauche à la Tony Blair en Angleterre ou à la Gerhard Schröder en Allemagne.

Pour autant, la position sur l'échiquier politique de François Hollande n'est pas claire, pas plus que celle de la gauche qu'il aimerait. Il est possible de le positionner aussi bien au centre-gauche qu'au centre-droit. Il n'y a pas chez lui, comme il pouvait y avoir chez les chrétiens de gauche, une défense de l'Europe particulière. En fait, il n'y a plus aucun pour continuer de l'ancrer à gauche. Si la critique se voulait acerbe, on pourrait dire de François Hollande (et de sa gauche idéale) qu'il ne s'agit ni plus ni moins d'un technocrate gestionnaire. Mais s'il n'a plus les caractéristiques de la gauche, il n'a pas non plus celles de la droite : c'est, somme toute une espèce d'hybride assez bâtard qui cherche à gérer l'entreprise France et ses salariés au gré de ce qu'il pense et estime à l'instant T. Et la doxa de son parti idéalisé doit refléter sa pensée du moment dans une forme de cohérence à l'Hollandaise.

Au final, François Hollande n'est plus vraiment de gauche. Il l'est, certes, mais uniquement en miroir de la droite. Il n'en a plus les marqueurs identitaires et "sa" gauche non plus. Pour la forme, il a récemment formulé quelques touches critiques sur son quinquennat mais il apparaît néanmoins très content de lui, dans l'autosatisfaction.

Eric Verhaeghe : En fait, cette nouvelle gauche ou ce nouveau parti existent déjà: il s'agit des radicaux de gauche, cette vieille famille politique à laquelle François Hollande se rattache assez naturellement, et donc il constitue même une forme de résurgence assez impressionnante. Souvenons-nous que les radicaux de gauche sont, sur le plan sociétal, plutôt favorables à des évolutions fortes comme le mariage homosexuel, et sur le plan économique marqués par un attachement relatif au libéralisme, ou à une forme d'acceptation du marché. C'est bien ainsi que Hollande se caractérise, même s'il est marqué par l'étatisme et par une forme de goût pour l'économie administrée. Ce dernier goût provient d'ailleurs plus d'une sorte d'incompétence, ou d'incompréhension pour les lois de l'économie, que de tout autre chose. En réalité, et comme Jacques Chirac lui-même, Hollande le Corrézien est à l'aise dans cette famille politique des radicaux de gauche qui est si puissante dans le sud-ouest français, et qui exprime bien la vision locale de la politique. Il ne s'agit donc surtout pas d'une nouvelle gauche, mais bien d'une ancienne gauche, très puissante qu'on le veuille ou non, au Parti Socialiste. A de nombreux égards, le PS est d'ailleurs devenu, sous Hollande, un parti radical-socialiste, avec une minorité interne de contestation formée dans les rangs du marxisme.

La "synthèse hollandienne" et le souci du compromis permanent pourraient-ils marquer cette nouvelle formation de leur empreinte ? Alors que François Hollande peut mettre en place la loi El Khomri et le sauvetage étatique d'Alstom-Belfort dans la même année, ce "flou" idéologique peut-il se retrouver dans la nouvelle gauche pensée par François Hollande ? Comment comparer cette "nouvelle gauche" avec "l'autre gauche" incarnée par Arnaud Montebourg ou la vision, encore peu assumée, d'Emmanuel Macron, ou encore, celle de Manuel Valls ? 

Christophe Bouillaud : Ce flou idéologique correspond plutôt à des considérations électoralistes qui, effectivement, l'amènent à sauver Alstom car nous sommes à un an de l'élection présidentielle. Mais je ne crois pas que l'on puisse fonder un parti sur ce flou. Un parti qui se regrouperait autour de François Hollande serait nécessairement un parti qui assumerait complètement la loi El Khomri, et donc ne pourrait que repousser l'ensemble des sympathisants et militants de la gauche traditionnelle.

Il me semble que c'est surtout une gauche qui serait complètement dans l'adaptation au réel et qui aurait abandonné toute perspective minimalement révolutionnaire. Or, je pense qu'un tel message d'aplatissement sur le réel ne peut en aucun cas avoir un attrait auprès des militants. Selon moi, la personnalité même de François Hollande ne permet pas d'envisager une reconstruction de quoi que ce soit autour de lui. Alors que toutes les autres personnalités évoquées (Manuel Valls, Emmanuel Macron, voire des gens qui ne sont pas nécessairement des frondeurs mais qui en ont été proches, comme Martine Aubry) peuvent toujours proposer aux militants un refus du réel tel qu'il est.

Eric Verhaeghe : La synthèse hollandienne ne repose pas sur une cohérence idéologique, qu'elle ne cherche d'ailleurs pas. Elle est plutôt le parti de "ceux qui font avec" et qui cherchent en permanence des solutions avec leur "boîte à outils" comme avait dit François Hollande en 2013. On pourrait d'ailleurs qualifier cette gauche de gauche "boîte à outils". C'est une gauche de bricolage et de solutions de fortune, qui repose sur l'idée qu'il exprime assez bien dans son interview dans "Le nouvel Obs", selon laquelle être de gauche, c'est vouloir le bien ou plus de progrès social, plus de droits pour les salariés, sans forcément avoir une vision "cortiquée" de ces droits. Avec la loi El-Khomry, Hollande est par exemple convaincu d'avoir clarifié le droit du licenciement. C'est une logique boîte à outils, puisque l'apport de la loi El-Khomry au droit du licenciement est minuscule. Je voudrais d'ailleurs qu'on me cite un seul cas devant les prud'hommes où la loi a le moindre impact, favorable ou défavorable, sur le déroulement de la procédure. La loi El-Khomry bricole deux ou trois choses. Il en va de même de la création de 60.000 postes à l'Education Nationale, qui n'ont d'ailleurs pas eu lieu intégralement sous cette forme. Hollande a bricolé des créations de postes, mais il n'a aucune idée sur la réussite des élèves, la lutte contre les inégalités effectives à l'école, ni sur l'amélioration du niveau. Il s'est occupé des apparences, des détails. Il a mis en oeuvre des slogans sans véritablement modifier le cours de la réalité. De ce point de vue, il paraît beaucoup moins assumé et structuré qu'un Arnaud Montebourg, dont les options souverainistes et post-marxistes sont plus claires, ou qu'un Macron, dont la référence au libéralisme économique est plus forte.

Une dissolution du PS et son remplacement par un nouveau parti serait-il cohérent avec l'état de la gauche aujourd'hui ? Doit-on s'attendre, si ce projet aboutissait réellement, à voir certaines figures socialistes ne pas rejoindre François Hollande et ses soutiens ? Avec quelles conséquences à prévoir ?

Christophe Bouillaud : Effectivement, je doute beaucoup que les partisans de Martine Aubry par exemple, qui sont finalement très modérés, soient prêts à rejoindre François Hollande dans une telle aventure. Je pense au contraire que l'après-2017 verra un recentrage vers la gauche du parti, avec justement une condamnation sans doute très ferme de ce qu'a été la présidence Hollande. Les gens attendent que le "cadavre politique" de François Hollande passe le long de la rivière pour régler les comptes qui doivent l'être.

Eric Verhaeghe : Le Parti Socialiste est une invention de Mitterrand et du Congrès d'Epinay pour prendre le pouvoir. L'opération, qui date de 1971, a assez bien fonctionné. S'il a fallu 10 ans à Mitterrand pour réaliser son rêve, il a en revanche structuré un appareil durable, qui a permis à des écuries d'élus de se former et de gagner des élections. L'intérêt du PS est de fabriquer des élus. Son fondement n'est pas idéologique mais politique, au sens électoral du terme. C'est à la fois le terreau et le tombeau du PS. Son terreau parce que le PS est une immense machine à affronter les scrutins, à donner un cadre à des candidats pour être élus dans de bonnes conditions logistiques et juridiques, avec des militants pour faire campagne. Son tombeau parce que la seule chose qui cimente le PS aujourd'hui, c'est l'élection. C'est un parti d'élus, de gens qui fabriquent des listes, des campagnes électorales. La préoccupation électorale y passe bien avant le programme politique ou la vision des solutions, qui sont souvent très différentes selon les candidats. Je ne crois pas qu'un seul homme, surtout d'aussi faible stature que François Hollande, puisse remplacer cette puissante machine désincarnée par une autre. Dans la pratique, le nouveau parti de Hollande n'aurait pas plus de cohérence idéologique, et il serait moins efficace pour porter des listes aux élections. Je vois donc mal qui le rallierait. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !