Conférence de presse présidentielle : François Hollande ou le "discours circulaire" <!-- --> | Atlantico.fr
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Le discours de François Hollande est "circulaire".
Le discours de François Hollande est "circulaire".
©Reuters

La boucle est bouclée

François Hollande a tenu lundi 7 septembre sa conférence de presse semestrielle. L'occasion de faire un état des lieux des procédés verbaux fréquemment utilisés par le Président.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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François Hollande peut être un bon orateur. Il l’a prouvé lors des primaires socialistes de 2011 et tout au long de la campagne de 2012. On se souvient du discours du Bourget et du débat de second tour avec Nicolas Sarkozy : la fameuse anaphore du "Moi président" avait laissé son adversaire, qui n’est pourtant pas le premier venu en art oratoire, bouche-bée, dépité et défait. Nul doute que cette supériorité rhétorique a été un atout décisif et longtemps sous-estimé de son succès.

Mais voilà : depuis son élection, on a beau chercher, on reste sur sa faim. Sauf lors des cérémonies commémoratives. Non pas tant le discours du Panthéon si attendu, si minutieusement préparé, si fébrilement corrigé par le président lui-même, qui n’a abouti qu’à un résultat convenu et rapidement oublié, à cause de son erreur de registre : on ne met pas la Résistance au service de la parité et de la réforme du collège ! Plutôt le discours de Colleville, lors des cérémonies du 6 juin 2014 pour l’anniversaire du Débarquement : l’absence d’enjeux intérieurs et la présence du champion du monde toutes catégories de la rhétorique politique, Barack Obama, expliquent que François Hollande ait, à la fois, pu et dû se "lâcher". Il y a, de fait, appliqué à la lettre les préceptes canoniques du bon discours : création d’emblée d’un "nous" commun avec l’auditoire ("nos deux peuples confondus dans un même combat"), utilisation intensive du storytelling, appel à l’imaginaire et refus de l’abstraction, variété des figures rhétoriques, dont sa préférée (à juste titre) est le rythme ternaire ("transpercés, mutilés, massacrés"), auquel s’est ajouté, depuis le "moi président" victorieux, un recours systématique à l’anaphore ; enfin et surtout une thèse et un message clairs, rendus crédibles par la personnalité (histoire et valeurs) de l’orateur, son ethos : "la France et les Etats-Unis ont été depuis deux siècles les champions de la liberté" (thèse) ; "La Normandie où je suis né a été le théâtre privilégié de cette alliance en 1944" (ethos); "donc nos deux pays doivent s’unir contre les menaces qui pèsent sur elle aujourd’hui (message)". La même clarté - on ne parle pas ici de pertinence! - avait caractérisé le discours du Bourget : "Je n’aime pas l’argent. J’aime les gens" (ethos) "notre ennemi, c’est la finance" (thèse): donc je vais faire payer les riches et réformer les banques (message).

>>> Lire aussi - Conférence de presse présidentielle : existe-t-il encore un scénario dans lequel François Hollande pourrait sauver son quinquennat (et sa potentielle candidature à un suivant) ?

C’est précisément cette clarté du candidat et du maître de cérémonies (voilà pourquoi ils les aiment tant !) qui fait défaut à François Hollande en tant que premier responsable politique du pays, en tant que président actif. De ces innombrables interventions, interviews, émissions, aucune n’a fait mouche, sans même parler de quelques moments désastreux comme l’épisode de la "boîte à outils" en mars 2013 ou la rencontre avec les Français en novembre 2014.

La raison en est triple : la contrainte qui pèse en démocratie d’opinion de parler à "tous les Français" : celle de rassembler la gauche, profondément divisée ; enfin et surtout la difficulté d’une parole politique confrontée à de très mauvais résultats. D’où autant de formulations qui tombent "à côté de la plaque" comme disait le Général : truismes ("nous sommes attaqués ; il faut donc nous protéger") ; généralités pour ne "stigmatiser" personne, comme ce "terrorisme" prudemment dépourvu de tout qualificatif; engagements hypothétiques ("baisse des impôts… si la croissance le permet"), suivis, parfois très vite, de contradictions ("baisse des impôts, quoi qu’il arrive !") ; jeu sur les mots (baisse des "impôts" ne veut pas dire baisse des "taxes" !) etc…

La forme de ce discours à double sens est naturellement celle du balancement rhétorique : "d’un côté de l’autre" ; "s’il est vrai que, il n’en reste pas moins que…" ; "il faut faire ceci sans oublier cela etc.". L’un des tics de François Hollande est le "TOUT EN" : "réformer TOUT EN en préservant notre modèle" ; "protéger TOUT EN en respectant les libertés". Véritable discours circulaire où les deux membres de la phrase sont parfaitement interchangeables. Ce qui donne : "préserver notre modèle tout en le réformant", "respecter les libertés tout en protégeant" etc… En fait, sous le Président des années 2010, c’est l’énarque des années 1970 qui ressort, à travers ce véritable habitus rhétorique acquis dans le Sciences Po de l’époque (qui a heureusement bien changé depuis !). Mode de raisonnement pauvrement binaire marqué par la "prudence" de la conclusion, faux-nez d’une vraie démission de l’intelligence et du caractère (leçon qui vaut également pour certaines personnalités de droite !). L’on comprend que, placé dans l’embarras par la dureté des temps, François Hollande se réfugie dans ses vieux réflexes. Comme l’on comprend la lenteur frappante de son dépit, donnant l’impression de buter à chaque mot : le président parle souvent à la faible vitesse de 120/130 mots par minute ; ce chiffre peut baisser encore pour se rapprocher dangereusement du "record" en la matière : les 90 mots/minute d’Henry Kissinger, le contre-exemple absolu. Mais Kissinger n’avait pas à convaincre les masses et sa lenteur calculée était une arme de diplomate. Plus grave encore chez François Hollande, la multiplication des "euh", faute de collégien en matière d’art oratoire, qui heurte, même inconsciemment, un peuple amateur de "beau parler".

Un peuple également amateur de "parler vrai". Et ce, quoiqu’en disent les demi-habiles de la politique et certains spin doctors qui vantent les mérites de "l’ambiguïté" dont, c’est bien connu, "on ne sort qu’à ses dépens" : phrase du cardinal de Retz répétée à l’envi dont il faudrait un jour s’aviser qu’elle a conduit son auteur, qui s’est pris les pieds dans le tapis de ses infinies complications, à un échec politique retentissant. Certes, mais François Mitterrand, le grand modèle de "François II", ne fut-il pas le "prince de l’équivoque" ? C’est oublier que le premier François, sur des enjeux fondamentaux comme la peine de mort ou l’Europe, sut trancher publiquement. C’est oublier qu’un bon discours n’est pas un discours qui cajole et qui plaît mais qui inspire et convainc. Sinon le Général de Gaulle n’aurait jamais parlé le 18 juin 1940 à une France ultra-pétainiste et F. Mitterrand n’aurait rien dit en 1981 contre une peine de mort majoritaire dans l’opinion. Et c’est enfin oublier la vérité première prêtée au grand communicant de ce dernier, Jacques Pilhan : "on ne peut pas communiquer quand on n’a rien à dire" !

Car, loi implacable de la rhétorique, un discours confus, des énoncés contradictoires, et pire encore des contre-vérités factuelles du genre "la croissance est là", rejaillissent sur l’éthos de l’orateur, dont ils minent la crédibilité. N’est-ce pas ce qui est en train d’arriver à François Hollande ? Pire encore : le thème du "mensonge", que développe de plus en plus la droite à son encontre, pourrait être dévastateur, comme on le voit dans l’effondrement de la "cote de sincérité" (25%) du Président dans l’opinion publique. La sanction mortelle en rhétorique est bien proche pour le président actuel : devenir purement et simplement inaudible.

On objectera la "réussite" des conférences de presse, son exercice favori, auquel il va à nouveau recourir ce lundi. A ceci près que l’exercice en question est en Vème République particulièrement "bordé".  L’on connait le jugement sévère de la presse étrangère (qui a d’ailleurs peu voix au chapitre en ces occasions) sur ce rite français si monarchique, où brillait encore plus le Général de Gaulle. Seule règle absolue, valable pour tout discours : ne pas attaquer frontalement l’auditoire, en l’occurrence les journalistes. On sait ce qu’il en a coûté à Nicolas Sarkozy pour l’avoir enfreinte !

A moins que le président n’ait l’intention de profiter de ces conditions si favorables pour faire un diagnostic honnête de la situation et annoncer un changement de cap. Ce qui l’obligerait, la distinction entre fond et forme n’ayant aucun sens dans l’ordre du discours, à procéder à une révolution de sa rhétorique personnelle. C’est-à-dire à énoncer une thèse et un message enfin clairs, qui ne peuvent en retour qu’améliorer son image. Un mea culpa, comme celui qu’il vient d’amorcer, est toujours préférable à un déni. Et aux ruses trop visibles de quelques spin doctors, on opposera la leçon d’Aristote, qui s’y connaissait un peu en la matière :

"C'est le caractère moral (de l'orateur) qui amène la persuasion, quand le discours est tourné de telle façon que l'orateur inspire la confiance. Nous nous en rapportons plus volontiers et plus promptement aux hommes de bien, sur toutes les questions en général, mais, d'une manière absolue, dans les affaires embrouillées ou prêtant à l'équivoque.Il faut d’ailleurs que ce résultat soit obtenu par la force du discours, et non pas seulement par une prévention favorable à l’orateur. Il n’est pas exact de dire, comme le font quelques-uns de ceux qui ont traité la rhétorique, - que la probité de l’orateur ne contribue en rien à produire la persuasion ; mais c’est, au contraire, au caractère moral que le discours emprunte je dirai presque sa plus grande force de persuasion."

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