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Comment la Silicon Valley est en train de perdre la bataille des voitures sans chauffeurs au profit des bons vieux constructeurs automobiles
©Reuters

Manque d'autonomie

Malgré leur détermination sans failles et la publicité qu'ils font autour des voitures autonomes, les grands noms de la Silicon Valley (Apple, Google, Tesla, Uber) sont confrontés à la concurrence des constructeurs automobiles traditionnels, et à la difficulté liée à la technologie d'autonomie de ces voitures.

Mathieu Flonneau

Mathieu Flonneau

Mathieu Flonneau est historien et universitaire à Paris I Panthéon-Sorbonne (SIRICE, CRHI), spécialiste d’histoire urbaine, des mobilités et de l’automobilisme. Récemment, il a co-dirigé et publié en 2016 Choc de mobilités. Histoire croisée au présent des routes intelligentes et véhicules communicants aux éditions Descartes&Cie, Vive la Route ! Vive la République ! Essai impertinent aux éditions de L’Aube, et L’automobile au temps des Trente Glorieuses. En majesté, l’automobilisme pour tous aux éditions Loubatières.

 

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Atlantico : Alors que les plus grosses entreprises de la Silicon Valley (Apple, Google, Tesla, Uber) fondent leurs espoirs sur la création de voitures totalement autonomes, elles semblent néanmoins perdre la bataille au profit des constructeurs de voitures traditionnelles comme Volvo, qui compte lancer d'ici l'an prochain une flotte de 100 véhicules autonomes sur les routes pour test,ou General Motors et BMW qui prévoient un début de commercialisation d'ici 2021. Comment expliqueriez-vous cette situation ?

Mathieu FlonneauAu cours des dernières années et des derniers mois, l’immense mérite du dynamisme des entreprises 3.0 (et plus encore !) que vous citez aura été de relancer l’objet automobile et d’en rajeunir l’image. Une vraie fontaine de jouvence ! Pour autant, la révolution annoncée n’a pas eu lieu. Dans la chaîne de valeurs, l’automobile traditionnelle, celle des car guys, et certaines des entreprises centenaires qui continuent de dominer le secteur, demeurent engagées dans la course et résistent en première ligne. En un sens, ceci peut paraître rassurant car prétendre faire fi de la culture automobile et de sa patiente sédimentation, même pour des nouveaux entrants très puissants et ambitieux, n’est tout simplement pas possible.

La résilience et l’adaptabilité de l’automobilisme a été prouvée, à d’autres époques également, mais certains espoirs purement spéculatifs ont été déçus. Les marges sont bien moindres dans les productions industrielles lourdes comme l’automobile, que celles obtenues dans l’univers du software et des smartphones. Sans doute peut-on même pronostiquer quelques surprises de taille après le quasi abandon d’Apple dans la quête en solitaire de l’I-car. Revenir sur terre paraît aussi nécessaire devant la complexité de l’écosystème routier. Il y a un prix à payer en amont, en infrastructures et, en aval, en termes de libertés publiques, pour parvenir à la disruption rêvée par certains que nos sociétés ne semblent manifestement pas encore prêtes à payer.  

Selon Raj Raikumar, un expert sur la technologie de la conduite autonome de l'université de Carnegie-Mellon, "les compagnies de la Silicon Valley estiment que les disruptions technologique et financière inhérentes à l'industrie automobile ne sont pas faciles". A quels limites les constructeurs de voitures autonomes de la Silicon Valley sont-ils confrontés ? La technologie actuelle de ces voitures leur permet-elle d'être vraiment autonome et de répondre à leurs objectifs ?

Remarquons que l’historien est parfois expert en ironie de l’histoire : après tout, le temps n’est pas si loin où la route et l’automobile étaient encore des objets ringards regardés avec condescendance par les tenants de la loi de Moore, dont les objets connaissent eux-mêmes une obsolescence bien plus considérable.

Dans ces écosystèmes prétendument neufs et aux horizons de croissance apparemment illimités – alors que la Cop 21 a pris quelques engagements sur la foi d’un monde limité… - des chemins de dépendance existent. Les mondes de l’automobilisme, pleins d’inerties, en ont rappelé à tous l’existence.

Nous pensons que parvenus à mi-chemin d’une science-fiction parfois délirante ou inquiétante, et des authentiques solutions opératoires pour lesquelles le deep learning et l’intelligence artificielle ont une utilité légitime, il est encore possible de sauver la "privacy" associée à l’automobilisme dit traditionnel, et qu’il est indispensable de préserver l’idéal immarcescible du plaisir de conduire.

Le prix du risque intrusif et de la perte de contrôle a peut-être été largement sous-estimé par les acteurs de cette nouvelle économie. Le lissage du grain routier et la déréalisation du paysage sont des obstacles qu’un retour de réel pourrait bien réactiver. Un périmètre mental et sentimental est à défendre : la fin du lâcher-prise responsable, difficilement définissable, que peut représenter la conduite d’un objet sensationnel – susceptible de produire des sensations  – n’est tout simplement peut-être pas souhaitable. On peut percevoir l’arrivée de la voiture autonome comme étant inévitable. 

L'engouement pour ce genre de voitures que les gros noms de la Silicon Valley ou des constructeurs automobiles souhaitent lancer répond-il à une vraie demande de la part du public ? Vers quel type d'automobiles nous dirigeons-nous dans un futur proche selon vous ?

Vouloir imposer ce que j’appellerais le "tempo Tesla" à l’ensemble de l’univers automobile, tant du côté des producteurs généralistes que des consommateurs, du reste pas toujours demandeurs de produits à la pointe du "progrès" et donc très chers – alors même qu’au contraire le low cost se développe -, n’est tout simplement pas réaliste. Y compris pour les productions d’Elon Musk !

L’automobilisme et la route, conçus comme un écosystème solidaire et cohérent, offrent un emplacement d’observation idéal pour bien prendre la mesure de la déstabilisation/reconfiguration contemporaine liée à la nouvelle civilisation numérique aux allures parfois prononcées de brave new world. En définitive, l’autopilotage et les futures robotmobiles ne font finalement peut-être pas tant rêver que cela.

Pour autant, et nous avons commencé par là, leur rôle, et donc leur présence dans un salon d’importance capitale comme le Mondial de l’automobile  – qui ouvre la semaine prochaine – est indispensable : montrer que l’automobilisme n’est pas le monde archaïque et rétif aux questions environnementales que certains se complaisent à décrire est une nécessité salutaire.

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