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François Heisbourg : "On ne peut pas parler de ‘guerre’ contre le terrorisme, on ne va pas bombarder Molenbeek ni Saint Denis"
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Mauvais thème

Suite à la sortie de son livre "Comment perdre la guerre contre le terrorisme", François Heisbourg revient sur les défaillances de la France dans l'exploitation du renseignement et la gestion de la crise au moment des attentats du 13 novembre. L'occasion également d'évoquer les problèmes soulevés par la thématique guerrière exploitée par le gouvernement.

François Heisbourg

François Heisbourg

François Heisbourg est président de l’International Institute for Strategic Studies (IISS), basé à Londres, et du Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP).

Il est conseiller spécial à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS).

Il a été membre du Centre d'Analyse et de Prévision du ministère des affaires étrangères (1978-79), premier secrétaire à la représentation permanente de la France à l’ONU (1979-1981. 

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Atlantico : Dans votre dernier livre "Comment perdre la guerre contre le terrorisme", vous dressez un bilan accablant de l'action des services de renseignement et de la gestion de crise des autorités françaises avant, pendant, et après les attentats de 2015. Quelles ont été les principales erreurs commises selon vous ?

François Heisbourg : Je ne dresse pas un bilan accablant de l'action des services de renseignement. Je note au contraire qu'à peu près tous les auteurs d'actes terroristes en 2012 ou en 2015 avaient été dûment fichés. Le radar avait à peu près bien fonctionné. En revanche, ce qui a été fait par la suite du renseignement, c'est à dire la façon dont il a été entretenu et exploité, pose problème. 

La gestion de la crise n'a pas été ce qu'elle aurait pu être notamment au Bataclan. Quant à la communication de crise, elle a été extraordinairement défaillante au moment des attentats et après. 

Comment la France devrait-elle ajuster, voire réformer, son dispositif d'anticipation et de gestion des attentats terroristes ? De quels pays pourrait-elle s'inspirer ?

Il ne s'agit pas vraiment de s'inspirer d'un pays X ou Y mais de faire le travail le mieux possible. On peut regarder les bonnes et les mauvaises pratiques des pays voisins mais chaque état est différent : l'Allemagne a un système fédéral, le Royaume-Uni est composé de plusieurs pays, les Etats-Unis de 50 états. Il est difficile d'extrapoler d'un pays à l'autre des modèles d'organisation. 

Revenons à ce qu'il conviendrait de faire. Tout d'abord, il faut remonter le dispositif de renseignement dit "de proximité" que Nicolas Sarkozy a supprimé. D'autre part, il faut intégrer la gendarmerie, qui est une machine à collecter du renseignement très impressionnante, dans le premier cercle de la communauté du renseignement. Il faut également  accroitre très fortement les moyens du renseignement intérieur (humains et financiers). Le cas échéant, il faut revoir les moyens de droit en fonction des évolutions de la technique. A cet égard, la récente loi sur le renseignement est bien faite et ce dernier aspect est probablement le moins urgent. 

Pour ce qui est de la gestion, il faut d'abord essayer de comprendre ce qui s'est passé : ce qui n'a pas fonctionné comme ce qui a fonctionné le 13 novembre. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé très tôt, dès le mois de décembre, la formation d'une commission nationale d'enquête, commission dont le gouvernement n'a pas voulu. Si on n'a pas une idée très claire de ce qui s'est passé au Bataclan, il sera difficile de mettre en place les réformes nécessaires. Cela vaut à tous les étages : à l'étage "exploitation du renseignement" comme à celui de la communication. Je mets l'accent sur la communication car le terrorisme est différent d'autres formes de la criminalité dans la mesure où il cherche la communication par la violence. Le succès ou l'échec des groupes terroristes se joue en grande partie à travers la bataille de la communication. Le soir du 13 novembre, il n'y avait aucune plateforme (télévisuelle, réseaux sociaux, Internet) pour donner aux populations (et notamment aux Parisiens) des consignes de comportement. Les populations ne pouvaient se référer à aucun centre de crise alors que c'est une chose très basique et qui se fait chez nos voisins y compris chez nos voisins belges que l'on se plaît pourtant à critiquer. 

Enfin, il faut se focaliser sur des mesures de lutte contre le terrorisme et non pas sur des mesures de gesticulation politique. Des mesures comme celle de la déchéance de nationalité répondent à d'autres préoccupations que la lutte contre le terrorisme. 

Au-delà de ces défaillances stratégiques, vous pointez les erreurs idéologiques du gouvernement qui, au lendemain des attentats, a adopté une posture très martiale et s'est déclaré en "guerre contre le terrorisme". Pourquoi une telle appellation n'est-elle pas pertinente selon vous ? S'il ne s'agit pas d'une guerre, comment qualifier la période que nous vivons actuellement ?

Un seul pays a déclaré la guerre au terrorisme : les Etats-Unis de George W.Bush. Les autres pays qui ont été touchés (Espagne, Russie, Royaume-Uni) n'ont pas déclaré la guerre au terrorisme non pas par faiblesse, mais pour une raison basique : les terroristes ne sont pas des combattants. Ce ne sont pas des guerriers, ce ne sont pas des gens qui par foi font quelque chose d'assez noble (défendre une patrie ou des idées). Ce sont des criminels. On ne peut pas parler de la lutte contre les bandits, contre les criminels de la même façon que l'on parle de faire la guerre. Pour Daech, c'est formidablement motivant d'être considéré comme une armée, comme des combattants. La campagne de communication de la France sur le thème de la guerre sert les intérêts de Daech. 

Le deuxième problème avec le thème de la guerre c'est qu'il ne correspond pas à la réalité : les terroristes que l'on a vus en France étaient français ou belges, ce n'était pas des gens venus d'ailleurs. Leurs principaux lieux d'opération et de planification (en dehors de quelques stages en Syrie) étaient à Bruxelles ou dans la banlieue parisienne (Molenbeek, Saint Denis, Paris intramuros). On ne va pas bombarder Molenbeek ni Saint Denis. Si on fait la guerre, on fait la guerre civile. Il faut dont beaucoup réfléchir avant de tenir ce genre de langage. 

Enfin, la guerre implique dans l'imaginaire des gens des changements profonds dans la société. Par exemple, pendant les guerres mondiales, le tour de France n'avait pas lieu. Il est difficile d'expliquer que l'on fait la guerre et de justifier dans le même temps la prolongation de l'état d'urgence sous prétexte qu'il faut absolument organiser l'Euro 2016. On ne peut pas faire à la fois la guerre et la paix. 

Nous sommes le seul pays (en dehors des Etats-Unis de George W.Bush) à avoir exploité cette thématique guerrière. Je ne suis pas sûr qu'elle produira des résultats plus heureux que ceux qu'ont connus les Américains en la matière. Parler de guerre implique de se lancer dans des actions que ne sont pas forcément raisonnables, l'exemple de la guerre d'Irak de 2003 est là pour le rappeler.

Dans une tribune parue publiée par Le Monde, vous déclarez : "Il y a urgence à en finir avec les 'petits calculs sordides' du 'machiavélisme présidentiel' destinés à 'servir la soupe politique et idéologique au Front national'." En quoi les différentes mesures instaurées ou débattues au lendemain des attentats (état d'urgence, déchéance de nationalité) risquent-elles davantage d'alimenter le terrorisme que de le vaincre ? Si les autorités ne prenaient pas la mesure de l'urgence de réviser la politique menée jusqu'à présent, quelles en seraient selon vous les conséquences pour la France ?

C'est la déchéance de nationalité qui m'a fait écrire la phrase que vous rappelez. Cette mesure ne sert à rien dans la lutte contre le terrorisme, le président de la République en a fait lui-même l'aveu il y a quelques jours dans une interview donnée au journal allemand Bild. La déchéance de nationalité a profondément divisé : elle a monté la droite contre la gauche, une partie de la gauche contre une autre partie de la gauche et une partie de la droite contre une autre partie de la droite. La façon dont François Hollande l'avait proposée lors du Congrès à Versailles le 15 novembre 2015 reprenait point par point les propositions du Front national. Marine Le Pen, qui est une femme intelligente lorsqu'il s'agit de mener sa propre barque, a tout de suite compris ce qu'il se passait et n'a pas dénoncé le président de la République, contrairement à Nicolas Sarkozy dont le premier réflexe a été de refuser la thématique de l'union nationale. François Hollande a créé la confusion et a semé la zizanie avec cette thématique pendant 4 mois. Au cours de ce débat sans fin, les 4 millions de Français binationaux se sont surement senti un peu moins français que leurs 60 millions de concitoyens. Cette opération était mesquine. C'était exactement ce que Daech souhaitait que nous fassions.

Pour l'état d'urgence, c'est un peu plus compliqué. Il était indispensable de le déclarer le 13 novembre : pour prévenir d'autres attentats, il fallait absolument se donner tous les moyens nécessaires. 

Mais l'état d'urgence est un état d'exception : pendant l'état d'urgence le droit et la démocratie reculent. A l'image de la stratégie, de temps en temps, il faut faire retraite, céder du terrain à l'ennemi afin de pouvoir contre-attaquer. L'état d'urgence est une forme de retraite par rapport à nos valeurs et au type de société dans lequel nous voulons vivre. Faire de l'exception l'habituel, c'est confirmer l'avantage des terroristes car ils ne demandent qu'une chose : que nous cessions d'être les sociétés ouvertes et libres que nous sommes. 

L'autre problème de l'état d'urgence est instrumental : c'est un couteau dont la lame s'émousse très rapidement. Les terroristes s'adaptent aux conditions nouvelles, ils rentrent plus facilement dans la clandestinité, prennent davantage de précautions. Comme le rappelle Vladimir Poutine, ce n'est pas parce que la Russie a des lois très dures, qu'il n'y a pas de terrorisme. Le général Franco à la tête de l'Espagne pendant la dictature faisait face aux terroristes de l'ETA. Le fait d'être en état d'urgence permanent n'empêchait pas l'opération des terroristes. Autrement dit, l'état d'urgence donne ses meilleurs résultats lorsqu'il arrive de façon inopinée et lorsque les terroristes n'ont pas eu l'occasion de se préparer. C'est pour cela qu'il va falloir le lever. D'autant plus que dans le cadre de l'Euro 2016, nous envoyons un mauvais signal à l'étranger : la prolongation de l'état d'urgence est le témoignage de notre nervosité et non le témoignage de notre confiance dans notre capacité à assurer notre sécurité pleinement pendant cet immense rassemblement populaire. 

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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