Comment Marc Francelet a réconcilié deux monstres sacrés : Jean-Paul Belmondo et Alain Delon<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Paul Belmondo et Alain Delon (R) assistent à l'inauguration du musée dédié à l'œuvre de Jean-Paul Belmondo, à Boulogne-Billancourt, le 14 septembre 2010.
Jean-Paul Belmondo et Alain Delon (R) assistent à l'inauguration du musée dédié à l'œuvre de Jean-Paul Belmondo, à Boulogne-Billancourt, le 14 septembre 2010.
©PATRICK KOVARIK / AFP

Bonnes feuilles

Marc Francelet a publié « L’Aventurier » aux éditions Le Cherche Midi. La vie de Marc Francelet est d'une intensité romanesque qui devrait rendre jaloux tous les auteurs du genre. Son destin bascule en 1963 grâce à un scoop époustouflant sur le général De Gaulle. De la Madrague de Bardot aux palais de Saddam, l'auteur nous entraîne derrière les figures françaises des cinquante dernières années ainsi que dans les coulisses ambiguës de la Ve République. Extrait 2/2.

Marc Francelet

Marc Francelet

Journaliste, auteur de scoops sensationnels, homme d'affaires au quatre coins du globe, ami des Johnny, Belmondo, Sagan... Marc Francelet a eu une vie absolument romanesque.

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Delon et Belmondo enfin réunis! Une gageure, un grand défi au printemps 1997.

Après Borsalino, tourné en 1970, rien à faire  : les deux stars jouent à « Je t’aime, moi non plus » avec un entêtement réciproque… Plus d’un quart de siècle déjà à s’éviter; le résultat d’une querelle au long cours pour une histoire de préséance à l’affiche.

Entre-temps, Delon a beaucoup donné dans la panoplie « flic story » en tout genre ; Belmondo a multiplié les tournages labellisés : L’As des as, Le Marginal ou Le Magnifique…

À chacun ses succès, parfois des triomphes.

C’est alors qu’Agathe Godard, plume avisée du « people » à Paris-Match, m’appelle :

– Tu connais Christian Fechner?

– Le producteur? Non, connais pas… Enfin, je sais qui il est, bien sûr.

– C’est mon meilleur ami. Il voudrait déjeuner avec toi.

Deux ou trois jours plus tard, nous nous retrouvons dans un restaurant de Boulogne. Comme l’on peut s’y attendre, ce n’est pas juste pour les plaisirs de la table que Fechner, via Agathe, amie commune, a monté notre rencontre.

D’entrée, il attaque :

– Monsieur Francelet, vous êtes l’homme de confiance de Jean-Paul Belmondo.

– Plutôt son ami.

– Très bien. Je lui ai adressé un synopsis il y a trois semaines. Il n’a pas répondu. Ce n’est pas dans son habitude.

– Écoutez, ça tombe bien, je dîne chez lui ce soir… Et ce synopsis?

– Je voudrais réunir Delon et Belmondo, vingt-sept ans après Borsalino. Je sais que ce n’est pas simple.

Je refrène un sifflotement du bout des lèvres, un rien stupéfié :

– Pas gagné, c’est un peu mission impossible !

Fechner insiste :

– Il s’agirait d’un film dont le troisième personnage est Vanessa Paradis, très aimée du public des jeunes. J’ai choisi Patrice Leconte comme réalisateur. On se l’arrache; il vient de triompher avec Ridicule. Je connais les réticences de Jean-Paul à tourner avec Delon, mais sachez qu’Alain, lui, est d’accord. Pas de « veto » de son côté.

– Je vous rappelle demain.

Le soir, je retrouve Jean-Paul chez lui, rue des Saints-Pères.

Tout en faisant tourner mon whisky, je lâche le morceau d’une traite.

Sur le coup, Jean-Paul se cabre :

– Fechner me prend pour un con. Tu crois que je n’ai pas deviné qui était le deuxième mec pour partager l’affiche ? Tu sais très bien que j’ai tiré un trait sur Delon. Je ne retournerai jamais un film avec lui.

Un court silence. Il me fixe et, l’air contrarié :

– D’ailleurs, je ne comprends même pas que tu aies poursuivi la conversation…

Moi, plutôt serein :

– Ne t’emballe pas; il y a un élément que tu ne connais pas…

– Lequel?

– Fechner m’a dit qu’avec ton cachet, il y a un million de plus, « au chocolat »…

– Ah bon? Eh bien écoute, s’il en met un de plus, je suis d’accord.

Je retourne voir Fechner dans ses bureaux design à Boulogne. Je le tutoie et, tout de suite, entre dans le vif du sujet :

– Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle  : la bonne, Jean-Paul est d’accord pour faire le film avec Alain; la mauvaise…

Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase que Fechner me coupe :

– Il en veut un de plus, c’est ça ?

Et, se marrant…

– Mais j’l’avais prévu!

Retour chez Belmondo, déjà converti à l’art du « Oui… mais » :

– S’il en met un de plus, c’est bon, j’le fais. Appelle-le. Passe-le-moi…

Je sors le téléphone portable, sachant trop que, dans ces moments-là, il faut aller vite :

– Allô, Christian? Je te passe Jean-Paul.

Bientôt le tournage d’Une chance sur deux peut commencer : le scénario repose sur une sorte de polar « à la carte ». Du sur mesure pour Belmondo (alias Léo) et Delon (alias Julien), qui taisent – opportunément – de vieilles inimitiés pour voler au secours d’Alice (Vanessa Paradis), petite voleuse de voitures enlevée par la mafia russe… Leconte a visé juste.

Il tourne près de Pontoise. Tout va pour le mieux. Ou presque. Fechner a bien fait les choses, installant les caravanes des stars quasiment côte à côte et dans des conditions de confort identiques.

Un jour, je débarque en hélico. Un de mes copains avait besoin de multiplier les heures de pilotage. À vol d’oiseau, il y en avait bien pour une bonne heure aller-retour, plus le temps de pause, depuis l’héliport d’Issy-les-Moulineaux, pour étoffer son carnet de vol.

Mon arrivée fait évidemment sensation, mais ce n’est rien à côté de ce qui m’attend.

Je suis censé rejoindre Jean-Paul, or c’est Delon qui me guette. D’un signe de la main, il m’invite à le rejoindre sur-le-champ. Jean-Paul suit la scène à distance, un rien étonné. Et là, stupeur, Alain, très remonté, me balance :

– Je quitte le film (on est presque à six semaines de tournage !). Leconte nous prend pour des cons. Il n’en a que pour Vanessa. Il la prend et reprend sous tous les angles. Les plans n’en finissent pas. Ce que Jean-Paul et moi devrions faire en vingt minutes dure une heure à chaque fois. Marre. Je file. Vois avec Belmondo.

Jean-Paul s’impatiente. J’accours pour le tenir au courant de ce spectaculaire coup de théâtre. Il m’accueille d’un cinglant :

– Qu’est-ce qu’il t’voulait, Alain?

– Il quitte le film. Il ne supporte pas que Leconte vous fasse attendre une heure et demie entre les prises consacrées à Vanessa.

Belmondo ne se le fait pas dire deux fois :

– Il a raison. J’arrête aussi. Je le suis. Débrouille-toi avec Fechner.

Plutôt que de m’adresser directement au producteur, au risque d’aggraver la situation, je préfère tenter de raisonner Leconte. Sur l’instant, celui-ci, visage émacié, œil perçant sous ses lunettes cerclées, semble le prendre de haut :

– Désolé, je fais du Leconte. Puis, se ravisant et d’un ton plus accommodant : Bon, rassure-les; je vais régler ça avec Vanessa : pas plus d’une demi-heure à chaque fois pour elle, pour eux.

Le duo vedette se permettra tout de même une escapade surprise quand, recevant une invitation de Philipe Douste-Blazy, ministre de la Culture, pour les cinquante ans du festival de Cannes, Jean-Paul constatera qu’Alain et lui avaient été « oubliés » par les organisateurs!

Déjà boycottés aux césars par les mêmes caciques de profession, les deux champions du box-office useront de malice en guise de bras d’honneur : ils poseront en smoking pour Paris Match, sous le titre provocateur Cannes, on n’en a rien à cirer!, renvoyant La Croisette à ses petits souliers (vernis). Et, surtout, mettant les rieurs de leur côté.

Plus tard, le tournage ayant repris dans la sérénité retrouvée, j’expliquerai à Fechner comment j’ai procédé avec Leconte :

– Putain, s’exclame-t‑il alors, une étincelle dans l’œil, tu m’as retiré une drôle d’épine du pied.

Enfin le dernier tour de manivelle. Bientôt tout le monde, cadreurs, machinistes, scripts, etc., se retrouve à Boulogne, chez Fechner, pour fêter la fin du film, verre en main. Delon arrive en dernier, comme d’hab’, de son pas d’homme pressé et le visage fermé :

– Ce film, c’est d’la merde ; l’affiche est nulle… Le seul qui a fait son boulot ici, c’est Marc.

Alors Jean-Paul, me pinçant les fesses et sur un ton narquois :

– Tes emmerdes commencent, mon grand…

Quelques semaines passent.

Je déjeune à L’Avenue, avec Johnny, un restaurant très couru du Paris « media » et « people » à la fois, au carrefour de l’avenue Montaigne et de la rue François-Ier. Au cœur du « Triangle d’Or ». Comme toujours, j’ai choisi une table assez discrète, calée derrière de lourds rideaux, sur la droite de l’entrée. Patrice Leconte se présente à l’accueil. Il est accompagné de sa femme. Nos regards se croisent. Il me fait un petit salut, bien que, depuis mon rôle d’intermédiaire actif lors du tournage d’Une chance sur deux, nous ne sommes pas vraiment copains-copains.

Mais bon, je suis avec Johnny et ça, Leconte ne peut pas le zapper.

D’ailleurs, Johnny à qui rien n’échappe, enchaîne :

– C’est qui ce mec ?

– Patrice Leconte. Un grand réalisateur. C’est avec lui que Delon, Belmondo et Vanessa Paradis viennent de tourner. Il a fait un triomphe avec Ridicule.

Et je lui raconte toute l’histoire, sans oublier sa réplique au ton sec et dédaigneux :

– Désolé, je fais du Leconte…

Johnny se marre.

– Présente-le-moi.

Quand Leconte redescend, je lui fais signe de nous rejoindre et nous voilà tous les quatre, expresso pour nous, café gourmand pour les Leconte.

Alors Johnny en fait des tonnes :

– J’adore vos films. Je les ai tous vus. J’ai surtout aimé Ridicule.

Deux heures avant, il ne connaissait rien de sa filmographie. Cette fois, c’est moi qui me marre. Connaissant mon Johnny sur le bout des santiags, je le vois venir et ça ne manque pas :

– J’adorerais tourner avec vous.

Trois mois plus tard, Leconte entre en contact avec Johnny, via l’agence Artmédia. Et cela donnera : L’Homme du train. Avec Jean Rochefort…

A lire aussi : La grande amitié de Marc Francelet avec Jean-Paul Belmondo

Extrait du livre de Marc Francelet, « L’Aventurier », publié aux éditions Le Cherche Midi

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