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Comment les Républicains sont en train de reconquérir une partie de leurs électeurs partis du coté de LREM
©ROMAIN LAFABREGUE / AFP

Remontada ?

Les évolutions du sondage "rolling IFOP" pour les européennes sur le derniers mois montrent une érosion progressive du soutien à la liste LREM menée par Nathalie Loiseau, et une bonne tenue, inattendue, de la liste LR pilotée par François-Xavier Bellamy.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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David Nguyen

David Nguyen

David Nguyen est directeur conseil en communication au Département Opinion et Stratégies d'Entreprise de l'Ifop depuis 2017. Il a été conseiller en cabinet ministériel "discours et prospective" au ministère du Travail (2016-2017) et au ministère de l'Economie (2015-2016). David Nguyen a également occupé la fonction de consultant en communication chez Global Conseil (2012-2015). Il est diplômé de Sciences-Po Paris. 
 
Twitter : David Nguyen
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Atlantico : Au vu de l'évolution des derniers sondages, peut-on considérer que les LR seraient en train de "rattraper" une partie de leur électorat qu'Emmanuel Macron avait su capter ces derniers mois ? 

David Nguyen : L’écart est encore conséquent entre LREM et LR (22,5% contre 14% à ce jour), mais on observe effectivement une stagnation du camp présidentiel alors que la liste de François-Xavier Bellamy connait un bon démarrage de campagne. Cela s’explique a priori par deux phénomènes concomitants : un mécanisme de vases communicants depuis La République en Marche vers Les Républicains certes, mais aussi une remobilisation de la partie conservatrice de l’électorat LR, qui est, elle, macron-incompatible. Selon les sondages de l’Ifop, entre janvier 2019 et aujourd’hui, la proportion d’électeurs de François Fillon déclarant vouloir voter LR pour les européennes est passée d’environ 45% à 55% (+10). Dans le même temps, la proportion d’anciens « Fillonistes » souhaitant voter LREM en mai est tombée d’environ 25% à 20% (-5). On voit bien qu’il y a une sorte d’inversion des pôles d’attractivité pour l’électorat de droite mais que la dynamique LR ne s’explique pas uniquement par un transvasement de voix depuis LREM, mais aussi par le « retour » d’autres électeurs non macronistes. C’est assez logique au regard du profil très conservateur de François Xavier Bellamy : il remobilise aussi la frange « Sens Commun » des LR qui n’a jamais adhéré à un président engagé à faire passer la PMA.

Bruno Cautrès : Si l’on regarde la série des intentions de vote publiées par le sondage « Rolling IFOP » depuis le 7 mars, on voit qu’effectivement elles connaissent des évolutions depuis notamment une semaine ou dix jours. Au tout début de la série (la première vague de ce « rolling » quotidien a été publiée le 7 mars) la liste de LaREM et du Modem est créditée de scores entre 24 et 25% tandis que la liste LR est également stable autour de 12.5 à 13%. C’est depuis une semaine, dans la vague publiée le 25 mars, que quelque chose semble s’être passé : la liste LaREM-Modem tombe alors à 22% et celle de LR monte à 14%. Depuis, ces scores semblent s’être stabilisés. On ne constate donc pas que l’annonce (le 14 mars lors de l’Emission politique sur France 2) de la candidature de Nathalie Loiseau comme tête de liste de LaREM-Modem ou des 30 premiers noms figurant sur sa liste ait eu un effet très positif pour cette liste, pour le moment. Pour la liste LR, la situation est différente : le choix de confier la tête de liste à François-Xavier Bellamy a été annoncé dès le 29 janvier et il a fallu plusieurs semaines pour que l’on constate un léger « effet Bellamy ». Le jeune candidat LR était totalement inconnu du public et ne bénéficiait pas de l’effet d’exposition médiatique dont avait commencé à bénéficier Nathalie Loiseau du fait de son poste au gouvernement.

On ne peut encore parler de « rattrapage » d’une partie de son électorat par LR même si l’on voit que quelque chose se passe. Je vois plutôt une double dynamique que l’on peut illustrer en comparant la première vague de l’enquête IFOP et sa toute dernière vague: d’une part, la certitude du choix de vote (se déclarer certain de voter pour la liste pour laquelle on exprime une intention de vote) a diminué du côté de l’électorat potentiel de LaREM-Modem (elle était de 73% le 7 mars, elle est à 69% aujourd’hui et elle s’est stabilisée pour la liste LR (68% le 7 mars et 66% aujourd’hui) ; d’autre part alors que le 7 mars 78% des sympathisants LR déclaraient vouloir voter pour la liste LR, aujourd’hui ils sont 82%. Dans le même temps les sympathisants LaREM sont passés de 95% d’intentions de vote LaREM-Modem à 86%. Il se passe donc bien quelque chose même si les signaux sont encore faibles.

Quelles sont les thématiques développées par les LR qui ont pu avoir pour résultat de voir des électeurs historiques des LR, partis chez LREM, revenir dans leur "camp" ?

David Nguyen :La thématique de « la rage fiscale contre les classes moyennes » pour reprendre le titre d’une tribune de Laurent Wauquiez publiée en février est forcément porteuse au lendemain de la crise des gilets jaunes. Les retraités en particulier, électorat traditionnel de la droite et davantage mobilisés que la moyenne des Français lorsqu’il s’agit de voter, ont eu le sentiment d’être la cible fiscale privilégiée d’Emmanuel Macron et peuvent être sensibles aux arguments des Républicains. Sur le plan sociétal, le positionnement conservateur de François-Xavier Bellamy est davantage à double tranchant car plus clivant au sein de la droite et on voit bien d’ailleurs que le candidat n’insiste pas sur ces questions dans sa communication. Mais au-delà des thématiques, c’est probablement avant tout la désignation d’un jeune candidat, incarnation du renouvellement, qui crée la dynamique. Cela permet de tourner en partie la page des épisodes qui ont entaché l’image de Laurent Wauquiez et donc des Républicains –enregistrements de Lyon et manifestations en portant un gilet jaunes – mais aussi de bénéficier de couvertures de presse valorisantes telles que « L’homme qui réveille la droite » pour le Point ou « L’intello qui secoue la politique » pour Valeurs actuelles. Même si François Xavier Bellamy est encore peu connu (39% des Français le connaissaient début mars selon un sondage Ifop-JDD), les électeurs qui suivent la campagne ont retrouvé un champion derrière lequel se ranger.

Bruno Cautrès : Si toutes ces données se confirment dans les jours qui arrivent, cela voudra sans doute dire que des sympathisants LR qui étaient tentés de voter LaREM-Modem sont en train de revenir vers LR. Il faut observer que ces sympathisants doivent sans doute avoir un profil moins « centriste » que les sympathisants LR qui ont basculé sans doute pour un moment vers LaREM. Ce sont des thématiques plus « LR » pur sucre qui séduisent sans doute une partie des sympathisants face au profil de François-Xavier Bellamy : celui-ci occupe un positionnement qui est un des cœurs de cible historiques pour la droite française : libéral économique et davantage conservateur sur les questions de société et de valeurs.

Je me demande s’il n’y a pas autre chose quand même, car cet aspect a déjà été beaucoup souligné dans les analyses : une partie de la droite LR est également sans doute en attente, et peut-être en attente inquiète, des annonces qu’Emmanuel Macron fera à l’issue du Débat national. On voit que l’exécutif envoie des messages à cet électorat de droite : temps de travail des fonctionnaires, réduction des effectifs de la fonction publique, autant de signes envoyés à un électorat qui se demande si la fin du Grand débat ne va pas se traduire par des taxes et des dépenses publiques.

Cependant, ne pourrait-on pas considérer que la stratégie poursuivie par les LR, cherchant à récupérer cet électorat, est en elle-même limitée ? Les thématiques choisies peuvent-elles réellement attirer certains abstentionnistes, ou de nouveaux électeurs vers les LR ? 

David Nguyen :Le choix Bellamy est davantage une stratégie de survie que de conquête. Rappelons que François Fillon, malgré ses affaires, avait convaincu 20% des votants en 2017. C’est 6 points de plus que la liste LR aujourd’hui et cela dans un contexte d’abstention pour les européennes beaucoup plus marquée. Il y a donc encore une marge de progression importante. Au-delà, même si LR retrouvait son niveau de 2017 cela ne serait pas nécessairement suffisant pour prétendre au pouvoir. Si les européennes sont un succès pour LR viendra donc malgré tout assez rapidement la question de l’élargissement au-delà de la base filloniste, et sur ce point, l’étau LREM-RN sera difficile à desserrer.

Bruno Cautrès : La droite est dans une situation paradoxale aujourd’hui car elle ne peut s’éloigner de son cœur de cible électoral : libérale économiquement et moins libérale sur les valeurs. N’oublions pas que les variables qui expliquent le comportement électoral sont toujours là : la classe sociale, la religion (la droite est traditionnellement bien implantée chez les Catholiques pratiquants), l’idéologie. Dans le même temps, elle ne peut simplement compter sur l’impopularité, toujours forte, d’Emmanuel Macron et sur une éventuelle désillusion de son électorat vis-à-vis du Président de la République. Le temps n’a pas encore assez passé pour que l’électorat LR commence à regarder rétrospectivement le bilan socio-économique d’Emmanuel Macron. Il lui faut donc colmater les brèches et stopper l’hémorragie d’électeurs LR qui ont été progressivement séduits par les orientations économiques et les réformes d’Emmanuel Macron. Stabiliser les choses par le biais d’une candidature François-Xavier Bellamy était l’une des options possibles, finalement choisie.

Cette stratégie vis à reconstituer ou et solidifier un socle électoral dans lequel les sympathisants LR peuvent reconnaître « leur » famille politique à eux et suffisamment économiquement libérale pour capter ensuite des électeurs de droite et de centre-droit qui trouveraient que les dépenses publiques sont toujours trop importantes sous Emmanuel Macron. Pour le moment, cela a l’air de fonctionner mais l’effet n’est pas non plus gigantesque car la droite est encore en convalescence même si elle va globalement mieux que la gauche qui est vraiment très éclatée pour ces européennes. Les semaines qui arrivent seront décisives et surtout le score obtenu le 26 mai prochain aura valeur de validation ou pas de cette stratégie de progressive reconquête.

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