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Un combattant du Hamas le 10 novembre 2023.
Un combattant du Hamas le 10 novembre 2023.
©Photo by Zain JAAFAR / AFP

En coulisses

La Russie s’est départie de sa position traditionnelle d’équilibre entre Israël et les pays arabes en ne condamnant pas l’attaque du Hamas. Les dirigeants du groupe terroriste ont même été reçus deux fois à Moscou cette année.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : Moscou s’est départie de sa position traditionnelle d’équilibre entre Israël et les pays arabes en ne condamnant pas l’attaque du Hamas. La Russie utilise-t-elle le conflit à Gaza pour affaiblir le soutien à l’Ukraine ? La résurgence du conflit au Proche Orient offre-t-elle une diversion bienvenue pour Moscou et un moyen d'affaiblir la position occidentale sur l’Ukraine ?

Cyrille Bret : Depuis l’attaque du Hamas contre Israël, la Russie bénéficie d’une aubaine inespérée sur la scène internationale. Les médias et donc les opinions publiques ont les yeux rivés – à raison – sur ce conflit, ses victimes, ses conséquences et sa régionalisation possibles. Les chancelleries – notamment occidentales – prennent position pour la sécurité d’Israël contre l’organisation issue des Frères musulmans, le Hamas. Et les ressources financières et matérielles américains vont désormais à Israël. En conséquence, sans que la Russie y soit pour quoi que ce soit, les soutiens de l’Ukraine ont nécessairement divisé leurs attentions et leurs initiatives entre le Moyen-Orient et l’Europe orientale. C’est au moins une diversion provisoire pour Moscou qui a ainsi le temps et le répit pour préparer des actions sur le plan militaire, des initiatives sur le plan diplomatique et des nouveaux narratifs sur le plan médiatique ou cyber.

Qu’est-ce que la Russie attend réellement de la guerre entre Israël et le Hamas ? Comment la Russie entend tirer son épingle du jeu dans le conflit actuel au Proche Orient ?

L’objectif à moyen terme de la Russie pour ce conflit est, premièrement, de mettre à profit ce répit relatif sur le plan international en prenant des initiatives discrètes sur tous les dossiers qui la concernent : approvisionnements de défense, marché de l’énergie, consolidations de ses alliances dans le monde, etc. Deuxièmement et plus profondément, la Russie chercher déjà à faire jouer ses atouts au Moyen-Orient pour apparaître comme un acteur incontournable de la solution diplomatique et politique à ce conflit. Elle est en effet unique en son genre : ses alliances arabes, turques, iraniennes lui donne une empreinte régionale dans les pays musulmans. Mais en même temps, elle a des liens historiques avec Israël notamment par la communauté des Israéliens issus des républiques de l’ex-URSS.

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La Russie est-elle favorable à une solution à deux Etats dans la région ? Moscou a-t-il des liens privilégiés avec certains acteurs de la région comme l’Iran ?  Quel peut être le poids de Vladimir Poutine sur le plan diplomatique ?

La Russie en général et son dirigeant en particulier peuvent s’appuyer sur des alliances anciennes, bâties sous l’URSS et relancée lors de la naissance de la Fédération de Russie. La politique arabe de l’URSS a été reprise et relancée par la Fédération de Russie dès avant l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir : avec l’Egypte, avec la Syrie, avec l’Algérie et, plus récemment avec l’Arabie saoudite dans le format OPEP+, la Russie a plus que des accords économiques, militaires, énergétiques ou politique : elle a une véritable implication dans la vie de ces pays, par le biais des exportations de grains, de pétrole, de gaz, d’armes, etc. en 2015, la Russie a littéralement sauvé le régime Al-Assad en Syrie. Avec la République islamique d’Iran, comme l’a montré Clément Therme, la symbiose politique est profonde : les deux pays ont le même rival systémique, les Etats-Unis, sont en butte à des séries de sanctions et ont pour but de contester le rôle des Occidentaux dans la région.

Avec les bombardements à Gaza, le Kremlin voit-il dans le conflit entre Israël et le Hamas une occasion de retourner contre « l’Occident collectif » les accusations portées à l’encontre de la Russie concernant le non-respect du droit international et les crimes contre des civils ?

Depuis les années 1990, la Fédération de Russie développe dans toutes les enceintes internationales une accusation récurrente contre les Etats-Unis et contre les Européens : celle des doubles standards. Autrement dit, pour elle, l’Occident applique dans les relations internationales un « deux poids, deux mesures » : les interventions militaires occidentales seraient toujours justifiées alors que les autres interventions militaires seraient, elles, frappées d’illégitimité par les Occidentaux. Par exemple, le soutien de l’Iran au Houtis au Yémen, le soutien de la Russie au régime Al-Assad en Syrie et au Maréchal Haftar en Libye, etc. La Russie conteste ces prises de position de l’Occident. Le conflit lui offre une nouvelle occasion de critiquer l’Occident sur l’argument du double standard : les morts civiles en Syrie seraient illégitimes alors que les morts civiles dans la bande de Gaza seraient, elles, inévitables. Donc pour Moscou, l’Occident serait de mauvaise foi dans son approche du conflit actuel entre Hamas et Israël : la défense d’Israël primerait tout pour l’Occident, y compris la protection de la vie des Gazaouis.

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La Russie utilise-t-elle le conflit israélo-palestinien comme un nouvel atout dans la guerre de l’information avec la récupération de l’idéologie et de la propagande du Hamas ?  

Même si le représentant spécial de la présidence russe pour le Moyen-Orient, M. Bogdanov, a reçu par deux fois les dirigeants du Hamas officiellement cette année, il est prématuré d’affirmer que Moscou va se transformer en avocat du Hamas dans la région notamment en reprenant ses messages. D’abord, le Hamas est issu des mouvements des Frères musulmans, actifs en Egypte depuis les années 1920 et tenus sous pression par la présidence égyptienne amie de la Russie. Ensuite, la Russie a des alliances solides avec des acteurs étatiques comme l’Iran et ne bâtit pas d’alliance officielle avec des mouvements non étatiques comme le Hamas. Il en va de son statut. Enfin, la guerre de l’information russe défend avant tout… les intérêts russes et non pas ceux de ses alliés. La stratégie concernant le narratif russe sur le conflit au Moyen-Orient n’est pas encore déployée. Elle aura pour objectif de contester les anciennes positions occidentales dans la région. Mais ses modalités précises restent à définir.

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