Comment la guerre en Ukraine nous a montré l’impasse de la dépendance énergétique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
Laure Mandeville et Constantin Sigov publient « Quand l'Ukraine se lève La naissance d'une nouvelle Europe » chez Talents éditions.
Laure Mandeville et Constantin Sigov publient « Quand l'Ukraine se lève La naissance d'une nouvelle Europe » chez Talents éditions.
©John MACDOUGALL / AFP

Bonnes feuilles

Laure Mandeville et Constantin Sigov publient « Quand l'Ukraine se lève La naissance d'une nouvelle Europe » chez Talents éditions. L’Occident a longtemps peiné à mettre l’Ukraine sur ses cartes mentales. De quel espoir le trésor de résistance des Ukrainiens est-il porteur pour l’avenir de l’Europe et de la Russie ? Extrait 2/2.

Laure Mandeville

Laure Mandeville

Laure Mandeville est grand reporter au Figaro et spécialiste de la Russie.

Voir la bio »
Constantin Sigov

Constantin Sigov

Constantin Sigov est un philosophe ukrainien.

Voir la bio »

Laure Mandeville : Concrètement, qu’attends-tu de la part de la présidence tchèque de l’UE ?

Constantin Sigov : Un embargo plus déterminé, permettant une indépendance énergétique totale de l’Europe. Quel que soit le prix à payer pour cela. Lors des réunions régulières des pays du groupe de Rammstein sur l’Ukraine, on peut constater un décalage entre les sommes consacrées aux besoins militaires et les sommes payées pour le gaz et le pétrole russe. Aujourd’hui, l’Europe est prête à consacrer moins de 10 % de cette somme à la défense de l’Ukraine. Je reviens aux erreurs commises jadis par l’Allemagne. Ces erreurs ont été commises en partie sur la base de raisonnements économiques. Si ces erreurs n’avaient pas été commises, l’UE n’aurait pas été forcée de dépenser son argent en hydrocarbures et en armes. On aurait pu le consacrer à l’énergie verte, à l’environnement, à l’énergie solaire et éolienne, aux centrales nucléaires.

Il en ressort que si on prend aujourd’hui les bonnes décisions, alors elles auront au final un effet positif pour l’économie aussi. Nous mettrons fin à la série d’erreurs dont Nord Stream 2 est la continuation. Il faut dire clairement aux gens ce que personne n’a encore dit avec honnêteté : la hausse des prix de l’énergie que l’on observe aujourd’hui est liée à l’erreur qu’a été Nord Stream 2. On a longtemps investi dans ce qui s’est révélé être une impasse, l’impasse de la dépendance énergétique. C’est pour cette raison que, aujourd’hui, l’Allemagne va devoir soutenir la Tchéquie, et avec détermination. Il faudra faire en sorte que la Russie soit contrainte de vendre son pétrole à bas prix à la Chine, ce qui assèchera ses caisses. Aujourd’hui, la Russie dépense chaque jour plus de 100 millions de dollars en avions, en chars, etc. Chaque jour. Pour nous tuer. Il faut que cela devienne très clair. Que la vérité soit dite pour que cela cesse.

Pour cela, il faut remettre au goût du jour des personnalités comme Václav Havel, par exemple. C’est ce dont nous avons discuté, toi et moi : le rétablissement d’un éthos européen a des visages, des noms, des mots. Tu as parlé de séisme. Effectivement, c’est cela, la solidarité des ébranlés dont parlait l’écrivain Jan Patočka. C’était d’ailleurs aussi une notion clé chez André Glucksmann. Nous sommes tous ébranlés : à Paris, à Kyiv, à Prague, partout. Est-ce que cela peut conduire à une nouvelle solidarité, à une nouvelle prise de conscience du fait que nous avons tous une responsabilité commune sur ces questions, et que nous devons décider conjointement ?

Moi, par exemple, je suis prêt à sacrifier mon bien-être matériel, comme beaucoup d’autres Ukrainiens aussi. Notre position pourra à son tour démultiplier le courage des autres, petits et grands. Ou alors, nous pouvons choisir de dire que la guerre est locale et qu’il ne faut pas s’en mêler. Cette option serait une stupidité totale. Car c’est une grande guerre européenne, et personne ne peut rester sur le côté. Ce mea culpa dont nous avons parlé, de la part des politiques, des spécialistes, des experts, etc., est indispensable pour que nous gagnions. Tous ensemble. Pour que ce soit un win win pour l’Europe. Ce serait un changement radical, qui permettrait même de priver la Russie de la tentation d’utiliser l’arme nucléaire.

Je vais donner un exemple. Je suis en train de relire un journal que Churchill a tenu pendant la guerre. Il rappelle que l’Italie avait déclenché une guerre en Afrique avant même 1939. En Éthiopie et ailleurs. La Ligue des Nations avait alors adopté des sanctions. Churchill dit que ces sanctions étaient tout à fait insuffisantes. Tout le monde a pu s’en rendre compte. Les sanctions portaient sur les métaux, sur l’énergie, etc. Pour appeler les choses par leur nom, l’Europe a laissé le fasciste Mussolini faire ce qu’il voulait en Afrique. Et qui a suivi tout cela de très près ? Hitler. Hitler a regardé attentivement la réaction de l’Europe. Et constatant que celle-ci laissait Mussolini agir à sa guise, il a décidé qu’il pourrait lui-même pousser ses pions. Je pense qu’aujourd’hui, la Chine suit la situation européenne de très près. Si la Chine voit que le Mussolini de Moscou n’est pas empêché de faire ce qu’il souhaite faire, alors elle se dira : très bien, je vais passer à l’action moi aussi.

Laure Mandeville : Je suis d’accord. L’Occident n’en livre pas moins quantité d’armes clés à l’Ukraine, dont des systèmes d’artillerie à longue portée, et cela, alors que Poutine menace de cibler « d’autres cibles » pour tenter de l’en dissuader. Penses-tu que cela finira par une victoire de l’Ukraine ?

Constantin Sigov : Je pense que, en un certain sens, on ne nous a pas laissé le choix. Après tout ce qui s’est passé, Poutine comprend qu’il est aujourd’hui considéré par les Occidentaux comme un criminel. Qu’il ne sera plus jamais accueilli à Versailles et ailleurs, que cette page est définitivement tournée. Il comprend aussi que plus personne ne se fait d’illusions sur lui, que chacun a compris qu’il vouait à l’Occident une haine viscérale. Il comprend également, je pense, que désormais les Occidentaux portent un regard très différent sur la menace que représente son régime. Et que même s’il y a des cessez-le-feu, ce ne seront que des étapes dans la lutte qui s’est engagée, et qu’il devra y avoir un vainqueur et un vaincu. Après les bombardements qui ont eu lieu à Marioupol ou tout récemment à Odessa, plus personne n’a d’illusions. On ne peut plus retourner au statu quo ante et faire comme si rien ne s’était passé. Il y a donc deux options. La première, c’est que Poutine, face à la force des sanctions et à la puissance militaire qui s’oppose à son armée, soit contraint à accepter les conditions qu’imposeront ensemble les pays démocratiques, et rentre chez lui pour s’y enfermer à double tour, pour parler de façon imagée.

Laure Mandeville : Dans ce scénario, la Russie quitterait aussi la DNR et la LNR ?

Constantin Sigov : Oui. Au vu de ce qui se passe là-bas, mais aussi à Kherson et ailleurs, il est clair qu’on ne doit plus se poser la question de savoir comment faire pour permettre à Poutine de sauver la face. Cette option n’existe pas. C’est une fausse question qui nous a freinés et qui nous a donné l’illusion d’une voie possible vers la paix. C’était une erreur. Nous avons parlé tout à l’heure de l’Allemagne. Pourquoi en 1991 l’Allemagne et les autres pays occidentaux n’ont-ils pas insisté pour qu’il y ait un nouveau procès de Nuremberg ? Parce que le premier Nuremberg n’avait pas été mené à son terme, et que le deuxième Nuremberg aurait nécessairement rappelé le premier. Cela aurait été une très forte réactualisation du procès du totalitarisme, dont personne ne voulait, comme nous l’avons déjà mentionné dans nos conversations.

Extrait du livre de Laure Mandeville et Constantin Sigov, «  Quand l'Ukraine se lève La naissance d'une nouvelle Europe », publié chez Talents éditions

Liens vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !