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Comment l'armée nazie, presque à terre, l'a emporté à Arnhem
©Robin UTRECHT / ANP / AFP

Bonnes Feuilles

Le 17 septembre 1944, le général Kurt Student, créateur des forces aéroportées allemandes, entend le rugissement crescendo d’un grand nombre de moteurs d’avions. Il sort sur la terrasse de la villa qu’il occupe et qui domine le plat pays du sud des Pays-Bas pour regarder passer l’armada de Dakota et de planeurs qui convoient les 1re division parachutiste britannique et les 82e et 101e divisions aéroportées américaines. Ce n’est pas sans une pointe de jalousie qu’il contemple cette démonstration de force aéroportée. Une bataille se prépare. Antony Beevor nous raconte cet épisode méconnu dans "Arnhem", publié Calmann-Levy. Extraits 1/2.

Antony Beevor

Antony Beevor

Sir Antony Beevor a commencé sa carrière comme officier dans l’armée britannique, puis, après s’être essayé au roman, s’est spécialisé dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, dont il est devenu un expert incontesté. Ses livres les plus récents sont D-Day et la bataille de Normandie, La Seconde Guerre mondiale, et Ardennes 1944, tous trois chez Calmann-Lévy. Il a reçu de nombreux prix et a vendu plus de six millions d’exemplaires de ses œuvres en trente langues.

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La désinvolture avec laquelle les quartiers généraux de la 1re armée et de Montgomery élaborent un plan après l’autre, voire deux en même temps, défie l’entendement. Le Brigadier Edgar « Bill » Williams, chef du renseignement de Montgomery, l’admettra d’ailleurs plus tard : « Nous n’avons pas travaillé aussi sérieusement que pour le D-Day. Nous nous trouvions à Bruxelles où nous passions du bon temps. Il y avait même des soirées. Tout le monde s’affairait, mais la motivation n’y était pas. » De plus, Montgomery s’entretient uniquement avec Browning et ne souhaite pas consulter la RAF. Pourtant le War Office* et le ministère de l’Air, après le chaos aéroporté sicilien, avaient conclu un accord qui stipulait que les forces aériennes devaient planifier les opérations. En outre, Browning ne veut sans doute pas avouer au Field Marshal que les véritables décisions seraient prises par les officiers de l’USAAF, au quartier général de Brereton. En tout état de cause, les liaisons entre les forces terrestres et aériennes s’avèrent médiocres, sinon défaillantes. Du côté de la RAF aussi, l’opération s’annonce mal. Leigh-Mallory doit même écrire à Brereton pour lui signaler qu’il a omis d’inviter aux réunions préparatoires les commandants des groupes 38 et 46 de la RAF, dont les avions de transport feront partie intégrante de l’opération Comet.

Le 9 septembre, Sosabowski, accompagné par le Major General Roy Urquhart, commandant de la 1re division aéroportée, rencontre Browning à l’aérodrome de Cottesmore dans les Midlands pour discuter de Comet.

« Monsieur, commence Sosabowski sans préambule. Je suis navré, mais cette mission ne peut pas réussir.

— Et pourquoi donc ? » l’interroge Browning.

Sosabowski répond qu’il s’agirait d’un suicide avec des forces aussi faibles.

Browning s’essaie alors à la flatterie : « Mais, mon cher Sosabowski, aux diables rouges et aux vaillants Polonais, rien d’impossible !

— Les capacités humaines connaissent tout de même des limites », rétorque Sosabowski, guère ému par la flagornerie. Puis il demande à Urquhart de lui communiquer par écrit tous ses ordres, car il refuse qu’on le tienne responsable d’un tel désastre. Browning, bien qu’il ait admis indirectement que les forces déployées seraient peut-être insuffisantes, s’offusque de l’attitude de Sosabowski.

En Belgique, le général Dempsey parvient aux mêmes conclusions que Sosabowski. La veille, il a convoqué le général Horrocks du XXXe  corps à l’aérodrome de Bruxelles pour une brève réunion. Comme il l’avait prévu, Horrocks confirme que « l’ennemi s’oppose frontalement » à leur tête de pont sur le canal Albert. Dempsey exprime dès le lendemain son inquiétude à Montgomery, puis retourne voir Horrocks dans l’après-midi. « Il est clair, écrit-il dans son journal, que l’ennemi rassemble tous les renforts à sa disposition pour la défense du canal Albert et qu’il comprend l’importance de la zone Arnhem-Nimègue. Il semble qu’il fera tout son possible pour la tenir. Dans cette hypothèse, la question d’une avance rapide vers le nord-est semble hors de propos. En raison de notre situation concernant le ravitaillement, nous ne serons pas en position de livrer une vraie bataille avant une dizaine, voire une quinzaine de jours. Avons-nous raison de diriger la 2e  armée vers Arnhem ou serait-il plus judicieux de protéger un flanc gauche le long du canal Albert et de frapper plein est, vers Cologne, en conjonction avec la 1er armée ? » Mais c’est hors de question pour Montgomery. Il veut foncer au nord et forcer les Américains à l’appuyer.

Tôt le lendemain matin, dimanche 10  septembre, Dempsey se rend au quartier général de Montgomery et s’efforce de le persuader qu’« étant donné la concentration des forces [allemandes] sur le front de la 2e   armée dans la région Arnhem-Nimègue, l’emploi d’une division aéroportée sur cette zone ne sera pas suffisant. J’ai l’accord du C-en-C [commandant en chef] pour utiliser trois divisions aéroportées ».

Montgomery approuve bien entendu l’idée d’annuler l’opération Comet et de lui substituer un nouvel ordre du jour plaçant les 82e et 101e   divisions aéroportées américaines sous son commandement. Mais devant Dempsey, consterné, Montgomery brandit un message arrivé de Londres la veille. Deux V2 ayant explosé en Angleterre ont apparemment été tirés depuis la région de Rotterdam-Amsterdam. Le gouvernement souhaite une estimation du temps qu’il faudrait à son armée pour boucler la zone. Montgomery – qui veut passer par le nord via Arnhem et non à l’est via Wesel, comme Dempsey et une partie de son état-major le préféreraient – obtient de ce fait le prétexte qu’il attendait pour justifier sa décision.

Il ne reste plus qu’un nuage à l’horizon du Field Marshal, mais un nuage bien sombre. Il découvre en effet qu’Eisenhower autorise Bradley et Patton à poursuivre leur poussée dans la Sarre, au sud-est du Luxembourg. Le commandant suprême n’accorde donc pas la pleine priorité à son groupe d’armées Nord, comme il l’avait cru. La situation se complique en raison des problèmes de communication au poste de commandement tactique d’Eisenhower à Granville, près de 650 kilomètres plus à l’ouest. Montgomery en profite pour envoyer une lettre au Field Marshal Sir Alan Brooke. Il se plaint qu’Eisenhower est injoignable et qu’il n’a pas de « prise » sur les opérations. Le message comporte même les lignes suivantes : « Eisenhower n’a aucune idée de ce que c’est que de se battre contre les Allemands  : il n’a pas les bonnes personnes sous la main dans son état-major et personne là-bas ne comprend vraiment ce qui se passe sur le terrain. »

Dempsey convoque Browning à son quartier général tactique. En deux heures, ils dressent l’ébauche d’un plan. La nouvelle opération, appelée Market Garden, serait composée de deux volets. Market, l’opération aéroportée, verrait les 101e et 82e   divisions aéroportées américaines s’emparer des ponts sur les rivières et les canaux entre Eindhoven et Nimègue et notamment des grands ponts sur la Meuse et le Waal ; plus loin, la 1re division aéroportée britannique et la brigade polonaise larguées près d’Arnhem captureraient le grand pont routier traversant le Rhin inférieur. Browning, ravi de sa trouvaille, choisit l’image du « tapis aéroporté » pour décrire Market : un tapis qu’il suffirait de dérouler devant les troupes au sol.

L’opération Garden reposerait principalement sur le XXXe  corps de Horrocks mené par ses chars s’élançant vers le nord le long d’une route unique bordée de polders, vastes plaines situées en dessous du niveau de la mer, interrompues de-ci de-là par des bois et des champs. Ils poursuivraient leur avancée en empruntant les ponts sécurisés par les parachutistes. Après avoir conquis Arnhem, ils prendraient la base aérienne de la Luftwaffe à Deelen. Là, la 52e division d’infanterie aérotransportée débarquerait tandis que le XXXe  corps pousserait jusqu’aux rives du lac d’IJssel, à environ 150 kilomètres de la ligne de départ. L’objectif consisterait alors pour la 2e  armée britannique à couper la 15e  armée allemande et à isoler tout l’ouest des Pays-Bas, déborder la ligne Siegfried, traverser le Rhin et se trouver en position d’encercler la Ruhr depuis le nord… voire de fondre sur Berlin.

Cet extrait est issu de Arnhem, d'Antony Beevor, publié chez Calmann-Levy.

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