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Comment Donald Trump est en train de gagner le défi de la guerre commerciale (curieusement, sans humilier ses partenaires)
©MANDEL NGAN / AFP

Bras de fer

L'accord entre les Etats-Unis et le Mexique s'apparente à une victoire politique pour Donald Trump, sans trop de dégâts économiques pour le Mexique, incite le Canada et sans doute les Européens à accélérer les négociations pour éviter le pire.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : A l'occasion d'une interview donnée à Bloomberg, Donald Trump a jugé insuffisantes les propositions faites par les européens de réduire à 0 les droits de douane sur les automobiles, tout en menaçant d'une sortie des Etats-Unis de l'OMC. Après avoir conclu un accord le Mexique, et dans le contexte d'une négociation qui pourrait aboutir avec le Canada, comment évaluer les récents rapports de force entre Donald Trump et les Européens ? Comment expliquer le refus par Donald Trump des propositions européennes : peut-il réellement obtenir plus ? 

Rémi Bourgeot :Derrière les menaces tous azimuts qu’a brandies Donald Trump au cours des derniers mois, l’administration américaine joue en réalité un jeu assez complexe à l’échelle mondiale, vis-à-vis de ses partenaires de l’ALENA (Canada et Mexique), de l’UE, de la Chine ainsi que du Japon et de la Corée du Sud.La méthode se déploie en plusieurs temps. En premier lieu, ont été mises en place les taxes douanières sur l’acier et l’aluminium, assez généralisées, et qui ne sont pas d’une grande efficacité en termes de protection. En réalité, au-delà même du message à l’attention de l’électorat populaire américain, elles consistaient surtout à envoyer un message de détermination aux partenaires commerciaux des Etats-Unis dans le conflit commercial qui s’annonçait. Les taxes sur l’acier n’étaient toutefois pas à même d’enclencher une négociation commerciale poussée, que ce soit à l’échelle de l’ALENA ou avec l’UE.

La deuxième phase repose sur la menace, bien plus redoutable, de mesures douanières substantielles dans l’industrie automobile. Sur la base de ce qui a déjà été mis en place dans l’acier, on constate que les menaces sur les industries automobiles des divers pays partenaires sont prises très au sérieux, que ce soit au Mexique, au Canada, en Europe ou au Japon. On a vu le Mexique s’engager dans une renégociation commerciale poussée, en acceptant des quotas et une révision des règles encadrant la provenance des composants des produits pouvant bénéficier d’une exemption de taxes douanières. L’enjeu de l’Alena est, de toute évidence, également majeur pour le Canada, dont les Etats-Unis sont de loin la première destination d’exportation.Il apparaissait clairement que les menaces douanières des Etats-Unis vis-à-vis des ses deux voisins visaient à une reconfiguration de l’accord de libre-échange, en maintenant cet accord in fine à condition que les trois pays se mettent d’accord sur un certain nombre de conditions.

On voit en fait une stratégie à peu près comparable vis-à-vis de l’Europe. La Commission européenne insiste sur le fait qu’il ne s’agit en aucun cas de négocier sous la menace un accord commercial alternatif au défunt TTIP. On voit néanmoins une négociation large s’enclencher, sur la base des menaces qui pèsent sur le secteur automobile européen, et allemand en particulier. L’administration américaine était parvenue à un embryon d’accord avec la Commission lors du voyage de Jean-Claude Juncker en juillet à Washington, visant à supprimer les taxes douanières sur les produits industriels en dehors du secteur automobile. Derrière l’objectif de la suppression des droits de douane, on constate une négociation par secteurs. La partie américaine cherche surtout, pour rééquilibrer dans une certaine mesures les échanges, à développer les débouchés des entreprises américaines en Europe. Pour des raisons électorales notamment, Donald Trump insiste constamment sur l’accroissement par l’Europe mais aussi par la Chine des importations de soja américain. De la même façon, les négociations comportent systématiquement un volet sur les exportations de LNG américain.

La proposition européenne consistant à supprimer les droits de douane dans l’automobile sur une base réciproque présente un certain intérêt pour les Etats-Unis, puisque les droits de douane européen sur les automobiles sont plus élevés que leur équivalent américain (bien que les USA taxent plus fortement les camions). Mais Donald Trump cherche avant tout à obtenir une renégociation plus générale qui amènent à un rééquilibrage partiel des échanges. Comme le montre son insistance sur les exportations de soja, il n’est sans doute pas guidé par une grande vision technologique. A ce stade, la méthode offre néanmoins une certaine lisibilité. Alors que le Mexique et le Canada (plus progressivement) en sont amenés à accepter une révision de l’Alena, l’UE s’efforce de présenter les négociations comme ne visant qu’à éviter une surenchère douanière. La partie américaine tente néanmoins de mettre au centre de son jeu vis-à-vis de l’Europe ce qui s’apparenterait également à une reconfiguration des échanges.

Selon un éditorial de Mohammed El-Erian, paru dans les colonnes de Bloomberg, l'accord signé avec le Mexique mettrait les Etats-Unis en position de force concernant les prochaines négociations qui s'annoncent. Quelles seraient les conséquences pour l'Europe d'une défaite politique, et économique dans le cadre de la guerre commerciale ? 

L’éditorial de Mohamed El Erian, célèbre économiste et financier, est un signe marquant, parmi de nombreux autres récemment, de l’évolution du débat sur la question commerciale aux Etats-Unis. L’amorce du débat par Trump sous la forme de menaces à tout va centrées sans grande cohérence sur la métallurgie semblait indiquer une approche chaotique sans véritable objectif si ce n’est électoral. Si la finalité de la stratégie en termes de promotions de certains secteurs interroge encore, il s’avère que l’on a affaire à une stratégie en plusieurs temps visant à une reconfiguration généralisée des échanges des Etats-Unis avec ses principaux partenaires commerciaux.

Le cas européen présente tout de même une difficulté particulière, puisque l’UE, mais surtout la zone euro, évoluent vers un modèle généralisé d’excédents commerciaux. Au cœur de ce système, l’Allemagne présente un excédent de sa balance courante qui dépasse désormais largement les 8% du PIB. L’abaissement du taux de change de l’euro a été rendu indispensable par la crise qui a frappé l’union monétaire et fragilisé toute sa partie Sud. Ce faisant, le taux de change de l’euro est bien trop bas pour l’Allemagne, dont les excédents, par conséquent, ne cessent de croître. De plus, l’ensemble des pays de la zone se sont lancés sur la voie de la compression salariale pour compenser l’atonie de leur productivité et relancer tant bien que mal leur croissance par les exportations vers le reste du monde, et notamment vers les Etats-Unis. Le déséquilibre commercial européen est, d’une certaine façon, inhérent à l’union monétaire et à sa philosophie économique.

Mohamed El Erian a raison dans son analyse de la dynamique des négociations, et de l’importance des négociations au sein de l’Alena pour la suite des négociations avec le reste du monde, et notamment avec la Chine. Les négociations avec l’Europe sont néanmoins bien plus compliquées qu’elles ne le sont avec le Mexique et le Canada. Donald Trump peut obtenir des concessions visant à accroitre les exportations américaines vers l’Europe dans certains secteurs, mais il est considérablement plus compliqué de parvenir à un véritable rééquilibrage, puisque les déséquilibres européens sont inhérents à la structure monétaire et politique de la zone euro. L’inertie liée à cette situation peut permettre à la partie européenne d’éviter le fond du sujet. Sur le plan monétaire notamment, l’euro est fortement sous-évalué pour l’Allemagne, mais les dirigeants américains étaient les premiers à justement encourager la BCE sur la voie de la relance monétaire et donc de l’affaiblissement du taux de change de l’euro pour maintenir à flot les économies en crise au sein de la zone. Par ailleurs, l’économie européenne montre déjà d’importants signes d’essoufflement, alors que les Etats-Unis affichent actuellement des chiffres de croissance élevés, à la suite du programme de baisse d’impôts.

La dimension intrinsèque des excédents commerciaux européens avait permis à l’UE d’éviter ce débat à l’époque où Barack Obama n’avait de cesse de l’évoquer. Le risque lié à une approche comparable face à Donald Trump reste celui d’une fuite en avant sur le plan des tensions et des menaces.

Quels sont les leviers dont disposent les européens pour permettre une accalmie sur le front de la guerre commerciale, tout en aboutissant à un résultat "gagnant-gagnant" ? 

Dans le fond, au-delà de la politique douanière ou de la construction de terminaux pour le LNG américain, tout véritable rééquilibrage des échanges entre l’Europe et le reste des pays développés nécessiterait un rééquilibrage, en premier lieu, au sein de l’Union européen et de la zone euro en particulier. Ce sujet est le grand absent des débats européens, qui ont tendance à se focaliser sur les aspects plus institutionnels, comme le dispositif anti-crise de la zone euro, qui est au cœur des projets d’Emmanuel Macron. La zone euro suit un modèle d’accroissement continu de sesexcédents commerciaux, à une échelle désormais massive. Les excédents de l’Allemagne vis-à-vis du reste de la zone euro se sont transformés, au cours de la crise de l’euro, en excédents vis-à-vis du reste du monde. Le débat européen devrait se concentrer sur les moyens de rééquilibrer la dynamique intra-européenne, au moyen d’un modèle de développement qui ne repose pas autant sur la demande extérieure comme moteur de la croissance. De plus, la France, qui n’a pas suivi les mêmes ajustements que les pays les plus durement touchés par la crise comme l’Espagne, le Portugal ou l’Italie, connait pour sa part une situation de déficit commercial chronique. Autant que la question du dispositif institutionnel de la zone euro, les efforts de rééquilibrage européen devraient se concentrer sur les conditions économiques réelles, qu’il s’agisse de salaires, d’investissement ou de moyens technologiques. Cette approche serait gagnante dans le sens où elle permettrait à l’Europe de s’ancrer dans une dynamique de croissance de meilleure qualité tout en limitant sa vulnérabilité face aux aléas mondiaux.

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