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Choc au G7 : petites crises de nerfs entre amis ou l'Occident est-il parti pour se défaire ?
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Ceux qui ne sont plus fiables

"Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres sont en partie révolus… Je l’ai vécu ces derniers jours" a déclaré Angela Merkel après le sommet du G7. "Nous, les Européens, devons prendre en main notre propre destin". Un constat que beaucoup jugent pragmatique mais qui mérite que l'on y apporte de grosses nuances.

Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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Atlantico : Angela Merkel a déclaré après le G7 que "Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres sont en partie révolus… Je l’ai vécu ces derniers jours". Refus  par Trump d'être explicite sur l'article 5 de l'OTAN, incertitude quant à l'engagement des Etats-Unis vis-à-vis des accords de Paris, Brexit… assistons nous à une simple crise passagère motivée entre autre par les échéances électorales en Allemagne et la volonté de renforcer la solidarité avec la France ou est-ce qu'il y a là les ferments d'une crise plus profonde au sein même du bloc occidental?

Philippe Fabry : C’est un peu les deux : il y a effectivement des éléments conjoncturels qui expliquent ce coup de froid : l’arrivée de la personnalité et des manières peu conventionnelles, dans le monde des relations internationales, de Donald Trump et sa volonté de mettre en pratique l’un des points essentiels de son discours de campagne en matière de politique étrangère : faire que les USA ne soient plus le « stupid country », le pays qui se laisserait exploiter par ses alliés, notamment en matière de défense ; d’autre part, vous l’avez dit, Angela Merkel a elle-même un agenda électoral à prendre en compte, avec des élections à l’automne, qui lui interdisent de promettre immédiatement de dépenser chaque années des dizaines de milliards d’euros supplémentaires qu’exigeraient la satisfaction des obligations dans l’OTAN.

Mais dans le même temps, il faut bien voir que ces intérêts électoraux et de posture face à l’opinion s’inscrivent aussi dans une évolution sur le temps plus long, et que cette question de la participation des alliés à l’OTAN est un sujet qui détériore les relations dans l’Alliance depuis un moment : dans les années 1980, la part américaine dans les dépenses totales en matière de défense des pays de l’OTAN était d’environ 50%, aujourd’hui elle est de près de 75%. Depuis la chute de l’URSS, les pays européens ont largement diminué leurs dépenses de défense – les fameux « dividendes de la paix ». Cela est mal vécu par les Etats-Unis qui ont l’impression de payer seuls, ou presque, pour la sécurité mondiale, alors que le privilège du dollar, qui leur permettait de financer cet effort et de le faire partager aux Européens, a été fortement entamé par la création de l’Euro. C’est pourquoi les Etats-Unis, depuis la fin des années 1990 – George W. Bush en avait fait un argument de campagne en 2000 – réclament un retour de l’engagement européen.

La question est cependant compliquée par ce fait que la réalité comptable n’est pas forcément significative : ainsi la France ne dépense pas autant pour sa défense qu’elle le devrait au regard des obligations otaniennes, mais fournit un très gros effort de police internationale, en Afrique notamment – l’opération Serval a mobilisé plusieurs milliers d’hommes, la participation française en Afghanistan a atteint 4000 hommes. A l’inverse, un pays comme la Grèce a certes un budget militaire élevé, mais c’est notamment en raison de son contentieux séculaire avec la Turquie, et n’implique guère de larges engagements à l’étranger – les Grecs n’avaient qu’un peu plus d’une centaine d’hommes en Afghanistan. S’appuyer donc uniquement, comme le fait Trump, sur ces questions de volumes de dépenses n’est pas forcément pertinent, et peut entrainer des frictions et des vexations, notamment avec la France, qui est sans doute le pays d’Europe, avec le Royaume-Uni, qui conserve une activité militaire significative.

Cette question du montant des dépenses militaires risque donc de continuer à miner les relations à l’intérieur de l’OTAN, et ce d’autant plus que les pays européens ont de nouvelles raisons de s’inquiéter de leur sécurité : depuis les retours d’agressivité russes et l’accroissement de la menace terroriste, ceux-ci recherchent l’assurance que les Etats-Unis ne les laisseront pas tomber si la situation venait à s’envenimer.

On doit d’ailleurs interroger la cohérence de la position d’Angela Merkel, qui évoque la nécessité de prendre en main la défense européenne en l’absence de soutien américain, alors que ce qui fragilise ce soutien américain est précisément le fait que des pays comme l’Allemagne ne prennent pas la défense européenne en main…

Pour autant après l'attentat de Manchester l'émotion était vive dans tous les pays européens. Comment interpréter cet élan de solidarité ? En quoi une rupture au sein des populations occidentales peut sembler improbable ?

Cet élan de solidarité manifeste que la communauté européenne n’est pas seulement une réalité institutionnelle mais s’est profondément ancrée dans les mentalités des peuples européens : on parle souvent de scepticisme populaire par rapport à l’Europe, mais lorsque Paris ou Manchester sont attaqués, les Allemands, les Italiens, les Espagnols sont émus comme si cela se passait chez eux. L’Europe a véritablement pris corps dans les mentalités, mais pas seulement l’Europe : les Européens ont une émotion semblable lorsque ce sont les Etats-Unis qui sont frappés, et inversement. Il demeure donc une vraie solidarité occidentale.

Cela ne signifie pas, en revanche, que tout le monde soit prêt à s’engager. Faire des déclarations de compassion n’est pas la même chose que doubler son budget militaire. C’est-à-dire que l’absence de rupture n’est pas non plus une garantie de solidarité dans l’adversité lorsque les coûts seront très importants.

Toutefois, à propos de la crainte d’Angela Merkel d’un désengagement américain en Europe, je pense qu’il faut aussi souligner que le Vieux Continent a une grande importance stratégique pour les Etats-Unis, qui fait que ceux-ci ne laisseraient pas, par exemple, le continent tomber sous la coupe de Vladimir Poutine simplement parce que les pays de l’OTAN n’auraient pas payé leur facture à l’OTAN.

En écartant l'idée d'un clash réel entre Europe continentale et pays anglo-saxons, quels seraient les pistes prioritaires permettant de "colmater" les brèches actuelles ? 

Il est évident que les pays européens doivent se remettre en question et repenser leur situation stratégique et les questions de défense : soit l’on estime que l’on est aujourd’hui pas plus en danger qu’en 1995, et alors le maintien de dépenses de défense basses est une position logique, soit l’on estime que de nouveaux dangers stratégiques sont apparus, ce qui est sans doute plus proche de la réalité, et alors il faut revenir à des niveaux de dépense plus élevés, comme ils l’étaient avant la chute de l’URSS, et il n’est pas admissible de compter uniquement sur un engagement américain. D’ailleurs, vu la nouvelle position américaine, accroître les dépenses européennes de défense serait probablement de nature à renforcer cet engagement américain.

Les pays européens devraient en outre réaliser qu’une augmentation de leurs budgets de défense est une condition de leur indépendance ; compter exagérément sous la protection américaine, c’est se condamner à la vassalité envers les Etats-Unis.

Il faut espérer que les Européens saisiront dans cette mini-crise l’occasion de faire cet effort. Les déclarations de Madame Merkel, associées à l’arrivée au pouvoir du très européiste Emmanuel Macron, qui a nommé au ministère des Armées une spécialiste des affaires européennes, probablement dans le but de faire avancer la question de la défense européenne, permettent d’espérer que des progrès seront fait, à conditions, encore une fois, que la position de Madame Merkel ne soit pas seulement électorale.

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