Cette nouvelle guerre commerciale avec la Chine qui se profile dans l'indifférence absolue de l’Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président chinois Xi Jinping recevant la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président du Conseil européen Charles Michel avant le 24e sommet UE-Chine à Pékin, le 7 décembre 2023.
Le président chinois Xi Jinping recevant la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président du Conseil européen Charles Michel avant le 24e sommet UE-Chine à Pékin, le 7 décembre 2023.
©Dario Pignatelli / EUROPEAN COUNCIL PRESS SERVICE / AFP

Dumping

La Chine pratique le dumping sur les marchés des pays développés depuis son intégration dans le commerce international il y a quarante ans.

Jean-Luc Demarty

Jean-Luc Demarty est ancien Directeur Général du Commerce Extérieur de la Commission Européenne (2011-2019), ancien Directeur Général Adjoint et Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (2000-2010) et ancien Conseiller au cabinet de Jacques Delors (1981-1984; 1988-1995).

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Atlantico : Les États-Unis mettent en garde la Chine contre le dumping de marchandises sur les marchés mondiaux. Les gouvernements occidentaux craignent que Pékin tente de réduire la surcapacité intérieure avec des exportations bon marché. Va-t-on assister à une nouvelle étape et une gradation supplémentaire dans la guerre commerciale avec la Chine ?  Les politiques chinoises de soutien à l'industrie et les politiques macroéconomiques, qui sont davantage axées sur l'offre, vont-elles entraîner une situation de surcapacité en Chine qui finira par toucher les marchés mondiaux ?

Jean-Luc Demarty : La Chine pratique le dumping sur les marchés des pays développés depuis son intégration dans le commerce international il y a quarante ans. Ce risque avait été bien identifié lors de l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001 avec l’adoption d’un protocole d’une durée de 15 ans permettant d’ignorer les prix et les coûts chinois, ce qui entrainait l’application de droits anti-dumping dissuasifs. Après la fin du protocole en 2017, l’UE a réussi à trouver une solution juridique solide aboutissant non seulement au même résultat à l’égard de la Chine, mais en plus l’étendant à tous les pays tiers qui n’auraient pas un comportement d’économie de marché soit globalement soit sectoriellement.

C’est pourquoi la politique anti-dumping de l’UE est efficace contrairement à certaines affirmations erronées. La sidérurgie européenne a été sauvée à partir de fin 2015 par cette politique face au dumping massif de la sidérurgie chinoise dont les surcapacités atteignaient alors le volume total de la production de l’UE. Actuellement il y a près de 200 cas anti-dumping ouverts dans l’UE dont la moitié concerne la Chine. Il faut y ajouter la clause de sauvegarde sur l’acier applicable à toutes les importations depuis 2018. Elle devrait continuer à s’appliquer jusqu’en 2026.

Les risques de dumping chinois sont plus élevés que jamais. En effet le fort ralentissement de l’économie chinoise, probablement encore plus important que ne l’indiquent les chiffres officiels manipulés, couplé avec les subventions massives dans certains secteurs va générer une pression forte des exportations chinoises sur les marchés internationaux. On le voit déjà sur les voitures électriques et les batteries. La baisse récente de 83 % du prix du lithium exprime bien cette réalité. Les Etats-Unis et l’UE disposent d’instruments anti-dumping et antisubventions efficaces pour faire face à la menace chinoise. Ils savent également contrer les diverses manœuvres chinoises de contournement par les pays tiers, de plus en plus sophistiquées.

Par contre les débouchés traditionnels à l’exportation des Etats-Unis et de l’UE seront inévitablement affectés par la dégradation des marchés internationaux, que les pays tiers concernés aient des politiques anti-dumping moins efficaces et/ou qu’ils aient du mal à résister aux pressions politiques de la Chine. C’est pourquoi une mise en garde politique musclée à la Chine est indispensable.

L’exemple de la production des panneaux photovoltaïques ne démontre-t-il pas que l’Europe ne se préoccupe pas autant que les Américains de la nouvelle guerre commerciale avec la Chine ? Quels sont les risques pour l’Europe ? Certains pans de l’industrie européenne, comme les panneaux photovoltaïques, vont-ils disparaître ?

Les panneaux photovoltaïques ne sont pas un bon exemple. D’une part ce ne sont pas des produits de haute technologie, d’autre part la situation est désespérée depuis longtemps. L’industrie européenne s’est effondrée d’un seul coup il y a plus de 10 ans lorsqu’il y a eu le croisement de la surcapacité chinoise subventionnée avec la fin des tarifs préférentiels de l’électricité solaire, notamment en Allemagne, équivalents à des subventions considérables à l’industrie européenne. Le Commissaire au Commerce de l’époque, Karel de Gucht, très actif contre les pratiques chinoises, a initié en 2013 une procédure anti-dumping qui a abouti à un système de prix minimum, avec beaucoup de difficultés, face à l’opposition des verts politiques et des installateurs de panneaux solaires. Mais il était déjà trop tard. La Chine exportait 20 milliards d’Euros dans l’UE et détenait la plus grande part du marché. Aujourd’hui seuls quelques marchés de niche subsistent pour l’industrie européenne.  De toute façon la dépendance de l’UE aux panneaux solaires chinois à bas prix ne met pas en péril l’autonomie stratégique de l’UE.

S’il y a une leçon à tirer c’est l’identification en amont très tôt des secteurs stratégiques pour l’UE et des moyens de contrer le dumping et les subventions chinoises. L’UE s’y emploie. La Commission Européenne a proposé en juin 2023 et en janvier 2024 un paquet relatif à la sécurité économique. Ce paquet comprend l’identification de secteurs stratégiques, les semi-conducteurs avancés et quantiques, l’informatique quantique, l’intelligence artificielle, les biotechnologies, les technologies à zéro émission, les matières premières critiques, les infrastructures critiques, la sécurité des réseaux 5G. A cet effet il est proposé de renforcer le filtrage des investissements, de contrôler davantage l’exportation des biens à double usage civil et militaire, les exportations vers les pays tiers, la sécurité de la recherche dans ces domaines et de favoriser la coopération avec les pays tiers amis.

Les préoccupations sont de même nature que celles des Etats-Unis en matière de sécurité économique avec néanmoins une différence de degré. Pour les Etats-Unis s’y ajoute la question du leadership technologique qu’il est hors de question de partager avec la Chine.

L’année dernière, l’Union européenne a lancé une enquête pour traquer les subventions sur l’industrie chinoise des véhicules électriques. La commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, a déclaré que l’UE était prête à utiliser des outils commerciaux pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales de la Chine. L’Europe a-t-elle les moyens de lutter efficacement contre la Chine dans le cadre de la guerre commerciale ?

En juillet dernier la Commission Européenne a lancé une enquête antisubventions ex-officio contre les véhicules électriques chinois. Le caractère ex-officio, très rarement utilisé, à la différence d’une plainte des constructeurs européens, signifie une grande détermination politique qui n’enchante pas les constructeurs automobiles allemands au mercantilisme légendaire. La Chine ne s’y est pas trompée en lançant une enquête anti-dumping de rétorsion contre l’alcool européen avec le cognac français comme cible.

Depuis 2017 l’UE a renforcé énormément ses instruments unilatéraux de défense commerciale en plus de l’anti-dumping : le règlement « enforcement » qui permet de prendre des sanctions commerciales contre les pays tiers qui bloquent l’adoption de panels de l’OMC ; le règlement subventions extérieures contre les pays tiers qui subventionnent le rachat d’entreprises européennes par leurs entreprises ; le règlement anti-coercition contre les pays tiers qui prennent des sanctions commerciales pour atteindre des objectifs sans rapport avec le commerce (Taïwan) ; l’instrument international sur les marchés publics qui assure la réciprocité.

La mise en œuvre est une question de volonté politique. En y ajoutant le renforcement du règlement anti-dumping de 2018 et 2019, l’UE dispose de tous les instruments pour lutter efficacement contre les pratiques chinoises déloyales. Je ne pense pas qu’il faille utiliser la terminologie guerre commerciale qui est rarement productive. Il s’agit plutôt d’une stratégie offensive et défensive en vue de défendre les intérêts économiques essentiels de l’UE en ayant recours à tous les instruments unilatéraux et multilatéraux possibles, y compris le recours à l’OMC contre les décisions anti-dumping de rétorsion de la Chine pour lesquelles elle a déjà été condamnée dans le passé.

Quel serait l’équilibre à trouver pour préserver le commerce international et le libre-échange (qui ont permis un enrichissement massif de la planète depuis 25 ans, y compris en Europe) et la préservation de secteurs entiers d’activité en Europe au cœur de cette nouvelle guerre commerciale avec la Chine ?

Tout d’abord il faut préserver le commerce international entre les pays démocratiques et ceux qui n’en sont pas trop éloignés. La conclusion d’accords de libre échange avec ces pays, sur la base de la réussite évidente des accords de libre échange existants, doit être poursuivie. A l’opposé de la loi de la jungle, ces accords établissent des règles ambitieuses qui vont au-delà du commerce avec notamment des chapitres développement durable très substantiels. Bien entendu un accord de libre échange avec les Etats-Unis est exclu parce que ce pays est incapable, du fait de son système politique, de faire des concessions équilibrées avec un partenaire de taille équivalente.

Le commerce avec la Chine se poursuivra, mais les chaines de valeur seront nécessairement moins efficaces, du fait de la diminution de la confiance réciproque er des restrictions mises au commerce et à l’investissement dans les technologies critiques. La baisse de 80 % des investissements des pays tiers en 2023 en Chine est frappante. Ce pays continuera d’avoir besoin des marchés des pays développés pour sa croissance. Il faudra veiller à ce que les règles multilatérales de l’OMC continuent à s’appliquer. C’est possible grâce à l’accord plurilatéral entre les principaux membres de l’OMC, y compris la Chine, mais sans les Etats-Unis et l’Inde, qui permet de se substituer à l’organe d’appel du règlement des différends dont le renouvellement est bloqué par les Etats-Unis depuis six ans.

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