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Cette étonnante (et efficace) intimité en ligne que se sont découverts psys et patients pendant ce confinement
©BARBARA GINDL / APA / AFP

Zoom thérapie

Les consultations en ligne ou par téléphone ont permis à certains patients de plus facilement se confier à leur thérapeute.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Une étude publiée dans le Washington Post a démontré que de nombreux patients développaient une plus grande proximité avec leur thérapeute par le biais de la visio-consultation que par la consultation physique. Comment l'expliquer ?

Pascal Neveu : Depuis plusieurs années des thérapeutes ont mis en place des écoutes et consultations par téléphone ou en visio. Disons-le, nous étions tous dubitatifs car la rencontre est essentielle. La pandémie actuelle a nécessité de prendre en considération un suivi clinique non présentiel. Tous les thérapeutes ont d’ailleurs proposé ces alternatives. D’une part pour maintenir le lien thérapeutique, mais aussi, pour ne pas cacher les choses, assurer un minimum de revenus pour les spécialistes.

A Paris, les professionnels de santé ont vu, en moyenne, 70% de perte de consultations. Nous en avons tous souffert. Nombre ont du fermer leur cabinet pour des raisons sanitaires, et je connais des collègues qui n’ont pas maintenu, pendant 2 mois, la moindre consultation, même à distance.

Tout le monde clame que le confinement et le déconfinement sollicitent des consultations, ce qui n’est pas la réalité. Sauf les violences conjugales et familiales qui ont malheureusement augmenté. D’ailleurs toutes les cellules d’écoute nationales mises en place ne sont pas surchargées. Il nous faut néanmoins anticiper et penser des problématiques post confinement que toutes les études montrent depuis des années, et pas que psychologiques. Egalement en contact avec des collègues de province, il existe une disparité complète de l’activité. Certains ne sont pas parvenus à passer du présentiel à l’audio ou visio, d’autres au contraire l’ont réalisé sans souci.

Nous développons actuellement une « enquête » afin d’en comprendre les raisons.

Plusieurs aspects sont à penser :
- la présence : beaucoup de patients ont répondu préférer le cabinet et le ressenti présentiel d’une séance
- le regard : la communication non verbale, nous le savons, est extrêmement importante, à hauteur de 70% minimum de nos interactions, de nos dires et non dires
- la voix : elle entre en écho avec celle du patient, d’une part via la reformulation mais aussi l’accompagnement « enveloppant »

Ce qui fut surprenant ce sont différentes attitudes.

Par visio : les patients reconnaissaient le lieu du cabinet ou découvraient un lieu plus intime de leur thérapeute, et étaient capables de l’évoquer, alors que la consultation ne portait pas sur le sujet. Il est alors question du transfert sur le « Psy », de mécanismes de défense alors que la règle incontournable est celle de la neutralité. Le Psy ne doit rien révéler de sa vie personnelle et privée, ne doit pas se faire appeler par son prénom, se faire tutoyer, provoquer une intimité, sous risque d’un échec thérapeutique. Raison pour laquelle un grand nombre ont privilégié l’audio.

Par téléphone : la relation thérapeute/patient semble plus intensive. Plusieurs patients, n’étant pas vus, livrent plus rapidement des émotions ou des moments de leur vie qu’ils nous auraient plus tardivement raconté. Cela me fait beaucoup penser à nombre d’émissions radio auxquelles je participe où l’auditeur nous confie une inimité dans l’immédiateté que le visuel ne faciliterait pas. Plusieurs personnes m’ont d’ailleurs révélé par la suite que la parole leur semblait plus libre… tout en se rendant compte par la suite qu’il n’y avait pas de différence en consultation présentielle. D’autres me précisant qu’ils ne seraient jamais venus en consultation mais auraient privilégié le contact téléphonique, et non pas visio.

Rappelons-nous les émissions radio de Macha Béranger sur France Inter dès 1978, les écoutes depuis des années avec Brigitte Lahaie sur RMC puis Sud Radio, et Europe 1 qui laisse une antenne ouverte…

Les « cellules d’écoute » sont légions. Anonymat, secret, pas de regard qui pourrait sembler interrogeant, intrusif, culpabilisant… Il ne s’agit pas de SOS écoute… mais d’une nouvelle forme de prise en charge thérapeutique.

Quels sont les freins à la généralisation de cette approche de la consultation thérapeutique ?

Ce ne sont pas forcément des freins. Et s’ils existent ils sont de part et d’autre. Il faut comprendre que la conception clinique est avant tout la rencontre patient/thérapeute. Une poignée de main, un regard, un geste, un accompagnement à la porte, un lieu… participent sinon au mieux-être, en tout cas à une écoute bienveillante.

Jusqu’à ce jour, la thérapie en ligne semblait aller à l'encontre de ce que fait un thérapeute, qui doit être présent, au sens propre et figuré, avec ses patients. Ce ne sont pas seulement les mots que les gens disent ou même les indices visuels que les thérapeutes remarquent en personne (un pied qui tremble, un mouvement de lèvre, des yeux se rétrécissant de colère). Au-delà de l'ouïe et de la vue, il y a aussi l'énergie dans la pièce, être ensemble dans un espace partagé sans distraction, finalement un «se sentir ressenti» thérapeutique. Un collègue a dit un jour que d'écran à écran, c'était comme «suivre une thérapie avec un préservatif.»

Contre toute attente c’est comme si un sentiment d'intimité non prévu s’est instauré via le Covid.

Un bureau de thérapeute typique, peu importe la façon dont nous essayons de le faire, est toujours un espace professionnel: canapé, chaise de thérapeute, diplômes ou art abstrait sur les murs, livres sur la thérapie sur l'étagère et absence évidente de tout ce qui pourrait révéler la vie personnelle d'un clinicien. J’ai moi-même réalisé des visio-consultations à mon cabinet, ce qui permettait à mes analysants de retrouver le lieu… ou à mon domicile, derrière mon bureau, pensant le contour et les réactions possibles. Mais nous étions tous dans un « autre monde ».

Est-ce que parce que nous nous sentirions plus libres avec nos patients, ils sembleraient plus libres avec nous, explorant des endroits que nous n'avions pas osés auparavant ? Un lâcher prise pourrai-il être plus facile ? Nous, les thérapeutes, essayons de faire en sorte que nos bureaux se sentent comme des espaces sûrs, mais l'espace le plus sûr pourrait en fait être celui que nos patients se sont créés : leur monde, pas le nôtre.

C’est une réflexion intéressante.

La visio consultation est-elle l'avenir de la psychanalyse ?

Vous posez là une question très intéressante à plus d’un titre surtout dans le cadre analytique.

Je me permets de le rappeler.

Qu’est-ce qu’une psychanalyse ?

Depuis sa naissance, la psychanalyse n’a cessé d’être critiquée. La psychanalyse n’est pas que l’hystérie ou que le sujet sexuel. La psychanalyse est une pratique thérapeutique qui guérit, qui fait sortir de la tourmente nos analysants. Comment en revenir aux fondamentaux curatifs perdus ? 

Dès 1895, Sigmund Freud commence à penser sa solution analytique comme position thérapeutique face aux symptômes de l’époque. Il est capable de soigner et guérir, partant de ses expériences en hypnose. Allongé sur le divan, la position allongée facilitant le travail et réduisant les résistances, se livrant aux associations-libres, l’analysant (et non l’analysé) peut plus facilement se concentrer sur l’émergence de souvenirs et de ressentis refoulés, qu’il exprime alors.

La psychanalyse, pratiquée dans ses règles est et demeure une clinique qui guérit ! Comment la psychanalyse guérit-elle ? 

Aujourd’hui la psychanalyse est avant tout une méthode analytique moderne qui a pour objet l’efficacité thérapeutique. Cette démarche s’appuie essentiellement sur la recherche et la mise en forme des abréactions (« décharge émotionnelle par laquelle un sujet se libère de l’affect au souvenir d’un événement traumatique, lui permettant ainsi de ne pas devenir ou rester pathogène. »).

Le revécu émotionnel est au centre du processus analytique. En effet, la meilleure façon de faire échouer une analyse serait de ne s’attacher qu’à l’analyse intellectuelle, c’est à dire consciente, des comportements émotionnels dont on peut retrouver le souvenir sans se mettre en situation de les vivre à nouveau pour en ressentir à nouveau les effets.

En résumé, les fondements de la psychanalyse reposent sur la production symptôme/décharge émotionnelle verbalisée et ciblée par laquelle un analysant se libère de l'affect dérangeant. 

Nombre de confrères m’ont raconté avoir procédé par téléphone ou visio un cadre analytique. Installés dans leurs fauteuils, que ce soit par téléphone, ou par visio, sans regarder l’écran sauf en début ou fin de séance, un nouvel espace analytique s’est créé, une nouvelle façon d’écouter mais également de dires ses maux par des mots différents, et une libération.

Pouvons-nous penser que ces rendez-vous à distance ont été à la fois un illuminateur, un égaliseur et finalement une thérapie, brisant les façades que nous construisons tous et mettant en évidence notre humanité partagée ? Peut-être... en tout cas nous y réfléchissons. Tout fondement thérapeutique reste sur des acquis et résultats mais se doit de les voir évoluer sans tomber dans des dérives de charlatans et de sectes.

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