CETA : voilà pourquoi les traités de libre-échange protègent bien plus l’agriculture française qu’ils ne la plombent <!-- --> | Atlantico.fr
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Manifestation d'agriculteurs à Paris, le 23 février 2024.
Manifestation d'agriculteurs à Paris, le 23 février 2024.
©MIGUEL MEDINA / AFP

Les problèmes sont ailleurs

Alors que le Sénat doit se prononcer ce jeudi sur la ratification du traité de libre-échange avec le Canada, une étrange alliance de circonstance semble se nouer entre les communistes et LR pour faire échouer le texte.

Jean-Luc Demarty

Jean-Luc Demarty est ancien Directeur Général du Commerce Extérieur de la Commission Européenne (2011-2019), ancien Directeur Général Adjoint et Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (2000-2010) et ancien Conseiller au cabinet de Jacques Delors (1981-1984; 1988-1995).

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Jeudi 21 mars, le Sénat va voter à nouveau sur le CETA, l’accord de libre-échange (ALE) entre l’UE et le Canada, dans le cadre de la niche parlementaire du Parti Communiste. Le Sénat où le groupe LR représente plus de 40% des élus a déjà voté une première fois contre cet accord en 2019, sous le prétexte qu’il serait défavorable à l’agriculture française. L’accord est mixte. Il nécessite la ratification de tous les Parlements Nationaux, en plus de celle du Parlement Européen. Toutefois il est appliqué provisoirement depuis septembre 2017, comme tous les accords mixtes, grâce à une disposition du Traité sur le Fonctionnement de l’UE (TFUE) qui permet au Conseil de l’UE d’en décider pour les dispositions de compétence exclusive qui représentent plus de 90% de l’accord.

A l’origine LR, notamment par l’intermédiaire du président de son groupe au Sénat, Bruno Retailleau, soutenu par les verts, LFI, le PC et bien sûr le RN, avait annoncé les pires catastrophes pour l’agriculture française. Après six ans d’application provisoire force est de constater qu’il n’en est rien, bien au contraire. Cet accord est très positif. Il est même un grand succès. Entre 2017 et 2023, les exportations de l’UE vers le Canada et les importations ont progressé au même rythme de 50 %, conduisant à un excédent record de 21 milliards d’Euros. Pour la France les exportations et les importations se sont accrues au même rythme d’un tiers, avec une balance commerciale excédentaire moyenne annuelle de 150 millions d’Euros sur la période.

La situation est encore plus satisfaisante pour le secteur agricole avec une croissance de 24 % des exportations françaises de vins et spiritueux et de 60 % de celles de fromages, pour une croissance négligeable des exportations canadiennes en dehors des oléagineux et des protéagineux qui entraient déjà à droit nul avant le CETA. Les importations de viande bovine et porcine canadienne plafonnées par des contingents tarifaires limités de respectivement 0,7 % et 0,3 % de la consommation européenne annoncées à son de trompe par Bruno Retailleau et ses amis n’ont pas eu lieu du tout, à tel point que l’UE est devenue excédentaire dans ces produits avec le Canada. Tel M.Jourdain, Bruno Retailleau fait de la clause miroir sans le savoir, grâce à l’UE qu’il honnit. En effet toutes les importations doivent respecter les normes sanitaires et phytosanitaires de l’UE. Toutes les viandes doivent être garanties engraissées sans hormones ni antibiotiques. Cela est suffisant apparemment pour empêcher toute importation rentable de viande canadienne. En outre le CETA protège 42 appellations d’origine françaises non viticoles.

Enfin le Canada, aux valeurs proches de celles de l’UE, est un fournisseur essentiel d’énergie et de matières premières qui se substitue avantageusement à la dictature poutinienne. Ainsi le Canada est un fournisseur significatif de 15 des 30 minéraux et métaux considérés comme critiques pour l’économie européenne, en particulier dans le cadre de la transition énergétique.

En dépit des succès évidents du CETA le groupe LR s’apprête à voter à nouveau contre le CETA avec le groupe communiste et la probable lâche abstention de certains sénateurs d’autres groupes, ce qui devrait être suffisant pour assurer une majorité simple au vote négatif. C’est une insulte à nos amis canadiens qui aident massivement l’Ukraine et qui ont hors d’Europe le modèle économique et social le plus proche du modèle européen. L’argument de Bruno Retailleau est qu’il veut envoyer un message à la Commission Européenne sur le Mercosur. On ne voit pas le rapport. Selon lui les ALE pénaliseraient l’agriculture européenne et française. Les chiffres démontrent l’exact opposé. En 15 ans d’ALE, l’excédent agroalimentaire de l’UE est passé de 10 à 70 milliards d’Euros. L’excédent agroalimentaire de la France est resté stable autour de 8 milliards d’Euros mais a changé de nature. Il était à l’origine partagé également entre l’UE et les pays tiers. Désormais c’est 10 milliards d’Euros d’excédent avec les pays tiers et 2 milliards d’Euros de déficit avec l’UE. Cela signifie, d’une part que les ALE ont été positifs pour l’agriculture française, et d’autre part que l’agriculture française a un problème massif de compétitivité avec ses concurrents de l’UE.

Contrairement à ce que prétendent les organisations professionnelles agricoles suivies aveuglément par LR, l’agriculture n’est jamais une variable d’ajustement dans la négociation des ALE afin soi-disant d’obtenir des concessions en faveur de l’industrie et des services. L’auteur de cet article, négociateur en chef de ces accords à Bruxelles de 2011 à 2019, qui y a veillé tout particulièrement, peut le confirmer. Ainsi la libéralisation totale des importations agricoles en provenance d’Ukraine n’a rien à voir avec l’ALE qui comporte des contingents tarifaires très limités pour les produits agricoles les plus sensibles avec ce pays : la volaille, les œufs, le sucre. C’est la très imprudente libéralisation totale provisoire additionnelle décidée par l’UE en 2022 qui a conduit à une explosion des importations de ces produits en provenance d’Ukraine, la plupart du temps en faveur d’oligarques. La Commission européenne vient de proposer un plafonnement de ces importations à la moyenne des années 2022 et 2023. Ces plafonds sont encore trop élevés. Il faudrait ajouter l’année 2021 précédant la libéralisation dans le calcul de la moyenne.

Bruno Retailleau minimise également les conséquences d’un vote négatif contre le CETA. En effet il prétend que ce vote n’aura aucun effet sur le CETA dont l’application provisoire se poursuivra. Ce cynisme est d’une profonde hypocrisie. En outre cela n’est vrai que si le gouvernement n’organise pas de commission paritaire entre les deux assemblées, ce qui est probable. Dans le cas contraire où la France constaterait son incapacité définitive à ratifier le CETA et le notifierait à Bruxelles, l’accord, y compris son application provisoire tomberait, avec tous les avantages qui y sont liés. Il arrive en politique que les lamentables petits jeux tactiques dérapent.

La position de LR sur le CETA est un symbole de ses dérives. Depuis que Bruno Retailleau et Eric Ciotti en ont pris les rênes, le grand parti historique de la droite a abandonné le champ de la réforme économique et sociale. Il ignore les principes de l’économie de marché et les avantages d’une économie ouverte productrice de richesse et source d’amélioration de la productivité dont la France a cruellement besoin. Il se complait dans des postures protectionnistes et antieuropéennes, proches de l’isolationnisme. Parmi les trois droites de René Rémond dont de Gaulle, suivi par Pompidou et par le Sarkozy de la seule campagne de 2007, avait magnifiquement fait la synthèse, LR se réduit désormais à sa composante dite légitimiste, protectionniste, anti-libérale, et anti-européenne. Son aveuglement idéologique le conduit à pratiquer le déni de réalité à grande échelle. LR se prépare, en ignorant les règles de l’économie, à jouer les forces d’appoint du RN, certes encore plus inculte en économie, mais qui lui sera toujours préféré par les électeurs adeptes de la surenchère démagogique protectionniste et anti-européenne. Ce serait le recours assuré au FMI en 18 mois. Qu’il est loin le temps de la dernière grande réforme économique d’inspiration libérale. Le plan Rueff Armand voulu par de Gaulle en 1958 a rétabli la compétitivité et les finances de la France en 18 mois et du même coup restauré son autorité en Europe et dans le monde.

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