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Cet ingrédient incontournable oublié de presque tous les plans gouvernementaux anti-discriminations
©DOMINIQUE FAGET / AFP

Moyens efficaces

Un plan gouvernemental de lutte contre la discrimination a été lancé ce jeudi 6 février 2020 par le gouvernement. Marlène Schiappa souhaite mettre en place une "stratégie gouvernementale" afin d’éradiquer ce problème.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico.fr : Marlène Schiappa a présenté « la stratégie gouvernementale » contre les discriminations que certaines communautés, ou bien encore certaines personnes subissent en France. 

Que faut-il attendre de ce plan gouvernemental de lutte contre les discriminations ?    

Bertrand Vergely : Avant toute chose, il importe de faire un petit détour par la sémantique. 

Discriminer est une action intellectuelle non seulement bonne mais indispensable. Discriminer voulant dire séparer, on ne peut pas juger des choses sans séparer. Il faut séparer le bon grain de l’ivraie, dit-on. Dans la vie intellectuelle et morale, il en va de même. . Tout ne vaut pas tout. Certaines choses sont préférables à d’autres. L’amour est préférable à la haine et  la fraternité humaine au racisme. Quand on rejette les discriminations raciales, on discrimine. Si demain, on ne discrimine plus rien, si on ne sait plus discriminer, on n’arrêtera pas le racisme et la haine. On leur permettra de se développer en toute tranquillité et d’apparaître comme des « valeurs » comme les autres. Donc, arrêtons de voir dans l’absence totale de discriminations l’idéal à atteindre pour la société. Si l’on veut réaliser ce rêve, le gouvernement pratiquant de la discrimination en étant contre les discriminations, il faut exiger qu’il retire son texte. 

 Quand on parle de discrimination, il faudrait que l’on parle de discrimination raciale ou bien encore sexuelle, culturelle, religieuse, politique, économique,  et non de discrimination. Par discrimination raciale, il faut entendre un abus de la discrimination. Si séparer est une vertu quand il s’agit de séparer afin de garder les bonnes choses, séparer devient un geste odieux quand on se met à séparer une partie de l’humanité pour une simple question de couleur de peau. 

Aujourd’hui, on ne parle plus de discrimination raciale. On parle de discrimination tout court et on utilise ce mot n’importe comment afin d’éliminer toute opposition. Les jeunes aiment bien utiliser ce terme afin d’éliminer tout ce qui les gêne et notamment toute critique. Un adulte leur fait une remarque ou une critique à propos de tel ou tel comportement ? La riposte ne se fait pas attendre : « C’est de la discrimination »  Il n’y a pas que les jeunes qui agissent ainsi. Toute la société est actuellement tenue en otage par le terme de discrimination, toutes les catégories sociales ou presque se présentant comme victimes de discriminations. Résultat : de peur de passer pour quelqu’un qui discrimine, on n’ose plus rien dire et, quand on parle, on cherche à être le plus politiquement correct possible. Cette peur qui est en train de gagner est le vrai problème posé par la discrimination. On parle des effets de celle-ci, à savoir le rejet de telle ou telle catégorie de la société. Il s’agit là d’un effet. Si être ainsi rejeté est insupportable, le vrai problème est ailleurs. Il se trouve dans la crise du jugement que traverse actuellement notre monde. 

On ne sait plus juger des choses parce que l’on ne respecte plus les mots et les raisonnements. Disant et pensant n’importe quoi, on fait n’importe quoi et on traite les êtres humains n’importe comment. Tous les jours un certain nombre de femmes et d’hommes luttent pour essayer d’améliorer les choses dans tous les domaines. Quand ils parlent de leur combat, tous parviennent à la même conclusion : le vrai problème n’est pas matériel. Il n’est pas politique. Bien sûr qu’il faut de l’argent. Bien sûr qu’il faut des lois. Mais cela ne suffit pas. Cela ne suffira jamais, parce qu’il faut avant tout un changement de mentalités. 

C’est dans les têtes que tous les problèmes naissent. C’est dans les têtes que se trouve la réponse. Le gouvernement va s’attaquer à la question des discriminations. Non. Il va proposer des mesures d’urgence en essayant de colmater ce qui peut l’être, comme il peut. Tant mieux qu’il le fasse. Souhaitons que cela porte ses fruits. Mais, demeurons lucides. 

La crise du jugement que traverse notre société est loin d’être réglée. Pour l’heure, cette crise n’a même pas été encore nommée. Témoin nos hommes politiques qui parlent aussi mal que les adolescents, quand ils parlent de discriminations, là où il serait bon qu’ils parlent de discriminations raciales et non de discriminations. 

On parle des discriminations comme effets. Cela n’occulte-t-il pas les causes des discriminations ?      

Quand il est question des discriminations raciales, le discours qui prévaut est celui de la rhétorique de la dénonciation et de l’indignation. Cette rhétorique  est responsable de tout ce qui empêche de comprendre par exemple la discrimination raciale.

Observons cette rhétorique. Celle-ci fonctionne en deux temps. Premier temps. L’indignation. La colère. Un doigt accusateur et vengeur porté sur celui qui a pratiqué une discrimination raciale. Une demande de sanction, de condamnation et de punition. Deuxième temps. Rien ou presque.  Rien sur ce qu’il faudrait faire et que l’on ne fait pas à savoir nommer la maladie du monde et oser regarder en face la misère morale et spirituelle,   les mentalités à la dérive, les têtes vides, le jugement inexistant, le langage en perdition, les mots à l’agonie. Quand on a affaire à la question des discriminations raciales et autres, à part la colère, la sanction, la punition et la condamnation, on ne sait rien faire d’autre. 

Le monde pratique des discriminations raciales, pourquoi ? Parce qu’il nage dans la violence, la brutalité, la bêtise, la médiocrité, la misère morale et spirituelle.  Face à cela, à part la colère et la punition, quelle réponse ? La colère et la punition. Le gouvernement va prendre des mesures d’urgence. Tant mieux, mais le gros du travail concernant les discriminations restera quand même à faire.  

Faut-il repenser l’autorité ? 

L’autorité n’est pas ce que l’on croit. On pense quelle consiste à utiliser la force extérieure. On se trompe. Elle réside dans le fait d’user de la force intérieure. On peut avoir la force extérieur, si on n’a pas l’autorité morale et intérieure, on n’a aucune autorité. On peut ne pas avoir la force extérieure. Si on a l’autorité morale et intérieure, on a l’autorité. 

Notre culture qui n’est pas bête sait bien que la force extérieure n’est pas tout. Si il en faut pour éviter le pire, une société se construit en faisant le meilleur et non en évitant le pire. La France qui est un pays extrêmement talentueux et qui aime réussir cultive le meilleur et a l’art de l’excellence dans tous les domaines. Là se trouve la réponse aux discriminations raciales et autres. Quand on cultive l’excellence, on ne pense pas à haïr. On sort de la haine. L’excellence ainsi que le meilleur rassemblent en transcendant les fossés qui séparent et opposent les individus. 

L’autorité est le même mot que celui qui veut dire auteur. Qui est l’auteur de ce qu’il dit et pense a l’autorité. Quand il parle, c’est lui qui parle. Quand on vit pour l’excellence et le meilleur c’est vraiment nous qui parlons. Quand c’est nous qui parlons, cela intéresse tout le monde. Pour libérer notre société de la haine, il faut certainement prendre des mesures d’urgence comme va le faire le gouvernement. Mais il faut aussi fortifier le meilleur et l’excellence. Pour cela, il faut donner la parole au pays réel qui est plein d’excellence et de goût pour le meilleur. 

Pourquoi y a-t-il des discriminations ? 

Trois choses provoquent des discriminations de toute sorte : la brutalité, l’extériorité et la réussite. 

Quand des communautés humaines sont soudain jetées pèle mêle les unes avec les autres, du fait de la brutalité et de la sauvagerie existantes,  des violences ont lieu. Quand les violences ont lieu, le cycle de la violence s’installe. Une violence en appelle une autre en représailles et ce jeu ne s’arrête pas. Dans les pays méditerranéens, ce mécanisme s’appelle la vendetta. Parce que jadis, deux familles se sont haïes, cette haine se transmet de génération en génération, si bien  qu’on en arrive à cette absurdité : sans se connaître, parce que leurs aïeux se sont haïs, des familles se détestent. Ce qui vaut pour les familles vaut pour les villages, les villes, les régions, les pays, les cultures. 

La deuxième cause de discriminations de toutes sortes est liée à l’extériorité. Si, sur le fond l’humanité est une  parce que tous les êtres humains sont issus de l’humanité, pratiquement les hommes sont divisés du fait qu’ils sont extérieurs les uns aux autres. Comme ils sont extérieurs les uns aux autres, ils se regardent. Comme ils se regardent, ils se jugent. Comme ils se jugent, il y a ce qui plaît et ce qui ne plaît pas. On aime toujours ce qui nous flatte. On déteste toujours ce qui ne nous flatte pas. Il n’en faut pas plus pour allumer des rejets irrationnels. 

Enfin, il existe une troisième raison qui explique les discriminations de toutes sortes : il s’agit de la réussite. Quand quelqu’un réussit, il arrive qu’il prenne la réussite pour le droit de mépriser les autres. Tout phénomène de fierté et d’orgueil crée des rejets. On dit que le racisme vient de la haine de l’autre. Le racisme vient plus précisément d’un amour imbécile de soi, d’une fierté toute aussi imbécile et d’un orgueil encore plus imbécile. 

Les personnes d’origine maghrébine semblent être particulièrement victimes de discriminations. Ces discriminations semblent se transmettre sur plusieurs générations, parfois six ? 

Pour comprendre le rejet dont les personnes issues du Maghreb sont victimes il faut apercevoir le lien entre de rejet et l’histoire.  Le rejet du musulman vient de loin puisqu’il remonte à Charles Martel et à la bataille de Poitiers en 732. Depuis longtemps, le musulman est identifié à l’ennemi. Plus récemment, au XXème siècle, la guerre d’Algérie a laissé des traces. Le Maghrébin a été vu comme l’expulseur. Enfin, plus récemment encore, les attentats islamistes en France, la montée de l’Islam, l’apparition de nombreuses mosquées, de  nombreuses femmes voilées, le sentiment que des quartiers entiers deviennent des ghettos musulmans, tout cela conduit à la peur de l’islam et par voie de conséquence à la méfiance envers les personnes d’origine maghrébine qui finissent par ne plus pouvoir se loger ni travailler. Ce qui est absolument dramatique. Les Maghrébins paient aujourd’hui le poids de l’histoire tant passée que présente. Le plus grand défi que la France va avoir à relever dans les prochaines années réside dans l’intégration de toutes les populations qui vivent sur son sol. L’idée que la République est assez forte pour intégrer tout le monde est une idée magnifique. Elle donne plein de force et d’espoir. Il faut aimer cette idée. 

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