Ces milliards que la SNCF gaspille (et qui pourraient aller aux grévistes sans que la France entière soit prise en otage)<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon Stéphane Sautarel, "notre système ferroviaire est le symbole de l’Etat omnipotent et inefficace".
Selon Stéphane Sautarel, "notre système ferroviaire est le symbole de l’Etat omnipotent et inefficace".
©JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

Gaspillage

Stéphane Sautarel, auteur d’un rapport sénatorial sur le modèle à bout de souffle de la SNCF, revient sur la question de la sortie des statuts qui pèse sur la société.

Stéphane  Sautarel

Stéphane Sautarel

Stéphane Sautarel est sénateur du Cantal et co-rapporteur d’un rapport au Sénat "Comment remettre la SNCF sur rail ? Modèle économique de la SNCF et du système ferroviaire : il est grand temps d'agir". 

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Atlantico : Vous avez été le co-rapporteur d’un rapport au Sénat "Comment remettre la SNCF sur rail ? Modèle économique de la SNCF et du système ferroviaire : il est grand temps d'agir". Qu’avez vous constaté sur le modèle économique de la SNCF et en particulier sur les gaspillages de la SNCF ?

Stéphane Sautarel : Il y avait plusieurs axes majeurs dans notre rapport. D’abord, le mauvais état de notre réseau, en partie de la responsabilité de la SNCF mais également de celle de l’Etat. Ensuite, un mauvais management et une mauvaise gestion, malgré les évolutions récentes. La SNCF reste d’une lourdeur et d’une verticalité dommageable et non adaptée au marché. Les psychodrames à chaque vacances continuent de le montrer. Le troisième enseignement majeur est qu’on ne pourra pas rester dans une société s’occupant à la fois des voyageurs et du réseau alors que nous sommes dans une perspective d’ouverture à la concurrence qui nécessite que plusieurs opérateurs puissent circuler sur les mêmes voies.

On évoque souvent l’endettement important de la SNCF, à quoi est-il dû ? A une mauvaise gestion ?

Il ne faut pas oublier que l’Etat a repris 35 milliards de cette dette de la SNCF, donc elle a réduit sa dette depuis trois ans. Mais l’origine de cette dette, c’est le fait que l’Etat ne finance pas suffisamment les infrastructures et oblige la SNCF à porter ces investissements. Ce que nous recommandons, comme cela se fait dans d’autres pays, c’est de concentrer l’action publique sur les infrastructures et non sur le confort ou autres qui dépendent directement de la SNCF directement. La France n’a jusqu’à présent pas fait ça. Aujourd’hui, notre choix pose problème du fait du coût prohibitif des péages que doit payer l’opérateur qui fait rouler les trains aux gestionnaires de l’infrastructure. En France il y a même un double péage, pour la maintenance et pour financer l’investissement (ce qui ne se fait dans aucun pays). Il y a un vrai déficit d’engagement public sur nos infrastructures (100 milliards sur les 10 ans qui viennent pour rattraper notre retard).

Quelle est la part de gaspillage de la part de la SNCF ?

Il y a une gestion qui n’est pas optimisée et qui pourrait être largement améliorée. Il y a notamment la question de la sortie des statuts qui pèsent sur la SNCF. En particulier, il y a un coût des retraites considérables. Par ailleurs, la SNCF n'a externalisé aucune maintenance, ce qui génère des surcoûts. Le surcoût global du kilomètre peut aller jusqu’à 2,8 fois la moyenne européenne, du fait de notre organisation (redevance et gestion sociale de la SNCF). Aujourd’hui, il n’y a même pas dans la société de comptabilité analytique. Elle n’est donc pas en capacité d’identifier ses problèmes et de faire des gains de productivité, d’objectiver ses dépenses. A sa décharge, sur certains équipements dont la commande centralisée du réseau, sur lesquels nous n’avons jamais fait la modernisation. Nous avons 4000 postes d’aiguillages là où l’Allemagne à 15 tours de contrôle centralisées pour gérer l’aiguillage du pays. Nous n’avons toujours pas d’ERTMS généralisé permettant de faire circuler en sécurité davantage de train sur une même voie.

La SNCF a supprimé plus de 1.900 postes en 2020, est-ce que cela fait partie du problème ? ou de la solution ?

Ça fait partie de la solution, puisqu’aujourd’hui, sur la maintenance, sur l’organisation – très administrative, pyramidale – de la SNCF, il y a globalement des effectifs supérieurs à tous les autres opérateurs. Transitalia qui opère en France sur Paris-Lyon à des coûts, des charges et des effectifs bien moins importants que la SNCF, alors même que Transitalia est à l’origine une compagnie publique italienne. Une partie de la responsabilité vient de l’état de notre réseau, qui manque de modernité et a donc besoin de plus de soins.

Le collectif de contrôleurs SNCF, qui fait grève juste avant Noël, demande notamment une augmentation salariale plus franche. Est-ce justifié ?

Je ne me prononcerais pas sur le bien fondé de la revendication, mais ce qui est sûr c’est que la méthode consistant à faire grève et prendre les Français en otage au moment où ils ont envie et besoin d’être en famille pour les fêtes, c’est purement inacceptable. Le dialogue social ne fonctionne pas ou pas suffisamment à la SNCF. Le monopole de la SNCF est un fléau notamment en raison du lien qui persiste entre les voyageurs et l’infrastructure.  Les nouveaux opérateurs ont du mal à s’insérer car SNCF réseau propose des tarifs prohibitifs. Le moyen de mettre fin à ces prises d’otage des usages est justement de sortir de cette situation.

Quel est le poids de la masse salariale à la SNCF ?

Aujourd’hui, ce qui est sûr, c’est que le poids global est supérieur aux autres opérateurs. Ça ne veut pas dire que les agents sont mieux rémunérés car plus efficaces puisque ce n’est pas le cas. Cela ne veut pas dire que certaines revendications, notamment chez les contrôleurs, sont illégitimes. On peut le réexaminer, mais à condition de mener une réforme plus large du système SNCF.

Y-a-t-il des stratégie de recrutements problématiques ? Avec potentiellement des choix de complaisance ?

Ce que je suis obligé de constater, c’est que nous ne sommes pas passés du régime de société publique avec des agents sous statuts à une société commerciale dont la première préoccupation doit être le client et qui doit effectuer des gains de productivité. On continue à parler d’usagers et non de clients! La mutation n'est toujours pas faite et on voit pour certains plus de la gestion de carrière qu’autre chose. Le problème, c’est que le secteur du transport a des capacités de bloquer le pays. Il faut garantir la continuité de service. On ne peut pas tenir le discours sur l’importance des mobilités collectives et transports décarbonés et en même temps prendre les Français en otage. Remettre des cars sur les routes, inciter à prendre son véhicule individuel, tout cela à cause de l’état du réseau et du service, c’est complètement contraire à la tendance qu’on cherche à enclencher. L’Etat doit être bien plus ferme sur cette question afin de donner une cohérence à la stratégie.

Quelle est la part de la situation due à des mauvais choix de la SNCF ? Et à des décisions qui lui ont été imposées par l’Etat et des décisions politiques françaises et européennes ?

La responsabilité est partagée entre des choix politiques nationaux et la SNCF. L’Etat a des injonctions paradoxales vis-à-vis de la SNCF et n’assume pas pleinement son rôle, comme je l’ai expliqué. La SNCF se retrouve donc appelée à répondre à la carence de l’Etat sur certains sujets, ce qui met la société en difficulté. Il faut donc couper ce cordon. Il faut que la puissance publique garde la maîtrise du réseau mais que puisse s’exercer, sur ce réseau, une concurrence vertueuse qui améliorerait les conditions de transport et possiblement réduirait les coûts. Nous allons engager au Sénat une action de contrôle pour répondre aux besoins des Autorités Organisatrices des Mobilités qui sont aujourd’hui partout en France en grande difficulté (d’Ile de France mobilité aux Régions). 

Comment mieux gérer la SNCF ? Et notamment avec l’argent que l’Etat lui donne ?

La SNCF ne vit pas avec l’argent que lui donne l’Etat. Ce dernier finance, de manière insuffisante, certaines infrastructures qu’utilise la SNCF mais c’est le passif (dette, retraite qui pèsent sur le contribuable). Au contraire, il lui impose souvent des contraintes. Il y a une défaillance de l’Etat sur son rôle de pilote à échelle nationale. Et une défaillance de la SNCF qui n’est pas suffisamment prête à répondre aux enjeux et acquérir sa pleine puissance commerciale. En Espagne, la SNCF intervient dans un environnement concurrentiel et privé.

Comment réallouer plus efficacement l’argent que la SNCF a déjà ?

En la sortant du financement des infrastructures. La SNCF doit payer pour rouler sur ces infrastructures, mais dans les autres pays, elle n’aurait pas à payer pour elles. Cela doit lui permettre de se concentrer sur l’amélioration du matériel roulant et la réduction des tarifs. La clé du problème est le financement du réseau qui est à la fois anachronique et inefficace. 

Une enquête UFC que choisir de 2015 soulignait que l’entreprise avait 3200 médecins salariés, 565 personnes pour la communication et 12 milliards de subventions annuelles. Ne pourrait-on pas s’y attaquer ?

Bien sûr que si. C’est là que se pose la question de l’organisation. Nous ne sommes pas encore sortis du modèle d’une administration publique alors que nous devrions nous engager dans la concurrence et dans le marché. Externaliser certaines choses qui pèsent sur la SNCF est essentiel. Mais le changement de paradigme n’est pas à l’ordre du jour. Aujourd’hui, quand un élu local veut agir sur un endroit où passe une voie ferroviaire, il se heurte à un mur. Entre l’obtention de l’autorisation et les travaux, il se passe en général 4 ans.

Pourquoi n’y arrivons-nous pas ?

Nous avons franchi un pas important avec la réforme de 2008. Mais la clause du grand-père rend plus long l’évolution du management. Les équipes restent très statutaires et les nouveaux entrent dans un moule. Sans volonté politique forte, c’est très compliqué. Sans passage à un nouveau management participatif, responsabilisant, décentralisé, on ne peut progresser. 

A qui les grévistes pourraient-ils légitimement faire leurs reproches, plutôt que de faire peser la contrainte sur les Français ?

Il est assez légitime qu’ils se tournent vers leur direction pour négocier. Mais c’est avant tout l’Etat qui est défaillant. Notre système ferroviaire est le symbole de l’Etat omnipotent et inefficace. Il ne permet pas la modernisation de l’entreprise qui pourtant l’exige. Et garde en même temps une ambiguïté empêchant de moderniser le management de cette société. Et le patron de la SNCF a une tutelle très forte du ministère des Transports qui ne  lui laisse pas grande marge de manœuvre, lui même étant sous la tutelle de Bercy qui n’a qu’une vision comptable.

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