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CES de Las Vegas : envoyer des délégations françaises en force ne suffira pas à pallier nos profondes insuffisances en matière de création de start-up
©geralt - Pixabay

Start-up

266 start-up représentent la France à cette édition 2017 du CES de Las Vegas. Le chiffre a de quoi ravir les politiques de tout bord qui se gaussent de cette forte présence sur place (derrière la Chine avec 1307 représentants et les Etats-Unis avec 1713 représentants). Pourtant, cette présence "massive" ne suffira pas à combler les insuffisances du secteur et l'absence de l'Etat pour accompagner le développement de ces entreprises à l'international.

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou est secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique (ISN). Il est aussi enseignant sur la gouvernance de l’Internet à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne. Il a exercé les fonctions de délégué interministériel aux usages de l’Internet auprès du ministère de la Recherche et du ministère de l’Économie numérique (2007-2013). Il y a fondé le portail Proxima Mobile, premier portail européen de services mobiles pour les citoyens. Il a coordonné la première conférence ministérielle européenne sur l’Internet des objets lors de la Présidence Française de l’Union européenne de 2008. Il a été le conseiller de la Délégation Française au Sommet des Nations unies sur la Société de l’Information (2003-2006). Il a aussi créé les premières conférences sur l’impact des technologies sur les administrations à l’Ena en 1998. Enfin, il a été le concepteur de « Passeport pour le Cybermonde », la première exposition entièrement en réseau créée à la Cité des Sciences et de l’Industrie en 1997.

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Atlantico : 266 start-up françaises sont présentes au salon CES de Las Vegas pour cette édition 2017. Bien que la délégation soit numériquement importante et pourrait faire penser que la France reste un des leaders sur le plan de l'innovation technologique, comment expliquer qu'il n'y ait toujours pas de succès mondial comme Facebook dans le domaine ?

Bernard BenhamouLa France présente une délégation française forte. C'est une bonne et une mauvaise nouvelle. Une bonne nouvelle car cela montre qu'il y a un terreau favorable en termes de développeurs et de compétences dans ces domaines. L'analyse devient moins favorable lorsque l'on se pose la question de l'avenir de ces start-up. Au départ, on imaginait qu'être présent au CES permettait de s'attaquer au marché américain. Maintenant on y va plus pour trouver des financeurs ou des acheteurs et là c'est une tout autre question qui se pose : "quel est le devenir de l'écosystème des start-up françaises par rapport à l'international ?".

Lorsque Frédéric Mazzella le patron de BlaBlaCar est allé à l'Assemblée Nationale, il a déclaré que "Pour nous, l'Europe, c'est déjà 28 marchés différents", cela montre toute la difficulté à investir les marchés étrangers. On se rend compte que, années après années, nous avons de jolies start-up dans de nombreux domaines, mais dès qu'il est question de rentrer dans le dur, le développement des entreprises à l'échelle internationale, les entreprises n'arrivent pas à franchir ce palier. Il y a de très belles entreprises françaises, à l'instar de Parrot, mais le problème est d'avoir un impact suffisant pour se développer à l'étranger. Le rachat par des entreprises étrangères est un mauvais signal, cela veut dire qu'il n'est de perspectives que dans l'expatriation. Contrairement à nos voisins allemands qui développent une véritable politique de l’Industrie 4.0, nous n'avons pas une véritable politique industrielle dans ce domaine. À l'approche de la présidentielle, cela pose la vraie question : comment développer ici en France en Europe cet écosystème, qu’il nous faut absolument aider à fixer ici ?

Les entrepreneurs vendent leurs entreprises avant qu'elles ne grossissent. Cette culture de l'idée  de la "one million dollars idea" n'est-elle pas dommageable pour l'avenir de cet écosystème ?

Ils revendent parce qu'ils n'ont pas les moyens de se développer au-delà. Pour être en mesure de grandir, il faut une trésorerie très importante. Il faut des moyens importants pour le marketing, la prospection… Il n'y a pas que la "R&D". Lorsque vous vous attaquez à des marchés immenses, il faut des personnes, des moyens, une ambition économique que l'on doit aider à porter. Sinon votre carnet de commande se remplit et vous n'êtes plus apte à vous financer. Beaucoup de sociétés, lorsqu'elles étaient en situation de décollage vertical, ont été obligées de se revendre pour financer leur trésorerie. À mon sens, il y a une forme de lucidité entrepreneuriale de la part de ceux qui revendent car ils savent qu'ils ne peuvent pas faire autrement. Ce n'est pas une histoire de "take the money and run", c'est juste, que souvent ils se rendent compte que les obstacles sont trop grands, qu'une revente à quelques millions d'euros est préférable à une prise de risques maximum afin d'être en mesure d'atteindre la "cour des grands". Globalement nous sommes terriblement faibles en termes de valorisations d'entreprises internationales. Pour nous, le champion de la valorisation en Europe c'est le suédois "Spotify" avec 8,5 milliards de dollars, alors que de l'autre côté de l'Atlantique si vous prenez "Uber", c'est presque 70 milliards.

Cet écart pose une question fondamentale : pourquoi l'Europe a-t-elle manqué avec constance le virage de ces technologies stratégiques ? L'Europe a son examen de conscience à faire. Citez-moi une entreprise technologique européenne qui soit devenue un géant par le biais de financements européens : vous aurez beaucoup de mal. Le problème est là, on a favorisé un financement vers les grands groupes alors que, globalement, ils ne sont pas les mieux placés pour faire émerger ces innovations. Par définition, nous devons essayer d'avoir une politique industrielle dans le domaine. Tous ceux qui disent que c'est impossible mentent, seule la volonté politique manque.

Est-ce qu'il n'y a pas une différence culturelle entre les Etats-Unis et la France concernant les entrepreneurs dans les mentalités et la prise de risque ? Zuckerberg est toujours à la tête de Facebook et n'a pas revendu.

Zuckerberg a eu la chance et l'intelligence de créer un outil et le secteur des réseaux sociaux. Il était évident que son aventure ne devait pas s'arrêter au premier million d'utilisateurs. Il y a une agressivité culturelle de certains pays : les USA, des pays d'Europe du Nord… mais en France il y a une forme de crainte au financement à l'activité internationale qui fait qu'on n'encourage pas nos entreprises. Peut-être aussi qu'eux-mêmes ne se sentent pas l'appétit et le goût pour cela. Évidemment, il n'y a pas plus de Facebook allemands ou anglais mais il y a plus de "licornes", c'est certain. Nous avons de très belles sociétés mais pas de compétiteurs internationaux car aucune politique n’existe pour les porter et les accompagner. À titre d’exemple il n'y a pas une seule des technologies clés de l’iPhone qui n'ait été subventionnée par l'État américain. Les Américains ont aussi une commande publique qui est orientée vers les PME pour leur permettre d’obtenir d’emblée des contrats fédéraux ou locaux. Toutes ces sociétés se sont aussi développées grâce à des exemptions fiscales et des mesures gouvernementales. Penser que ce sont les entrepreneurs seuls qui ont pu développer leurs sociétés est faux, et nous ne l'avons toujours pas compris.

Pourtant la classe politique de manière générale se gausse de la présence des entreprises au CES, mais est-ce qu'ils font le maximum dans le pays ? Que faudrait-il mettre en place ?

Il est évident que la classe politique française a un retard considérable sur ces questions, y compris ceux qui se gaussent avec des termes comme "ubérisation". Il y a un retard culturel sur la compréhension de ce qu'il conviendrait de faire. Il nous faut arrêter d'être seulement des consommateurs de technologies non-européennes. Ce n'est pas qu'une question de fiscalité, c'est une question de mode de vie. Nous devons produire et aider nos entreprises à produire dans les secteurs stratégiques. Même Internet est né du programme militaire américain. Ce genre d'exemples devrait faire réfléchir beaucoup de politiques. Force est de constater que même si beaucoup se gaussent, ceux qui ont vraiment compris les enjeux se comptent encore sur les doigts de la main.

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