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Ces ados qui deviennent millionnaires grâce à des jeux vidéos
©wikipédia

Golden boys

Le développement de la scène e-sport est spectaculaire depuis quelques années. Les joueurs professionnels, qui ont souvent la vingtaine, se retrouvent de plus en plus avec des petites fortunes.

Xavier Oswald

Xavier Oswald

Directeur marketing et stratégie de Team Vitality, club d'e-sport.
 

Fondateur de eSports Daily News

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Atlantico : Qui sont ces jeunes joueurs, souvent encore adolescents, qui connaissent un grand succès et en viennent même à gagner des millions d’euros en jouant aux jeux vidéo ?

Xavier Oswald : Tout d’abord il faut bien faire attention à ne pas confondre deux choses. Les e-athlètes sont des professionnels qui vont du jeu vidéo compétitif de haut niveau. Il ne faut pas les confondre avec les personnes qui génèrent de très importants revenus en diffusant du jeu sur des plateformes comme Switch (par exemple le joueur de Fortnite Ninja qui est suivi par 200.000 abonnés sur Twitch). Ces derniers gagnent leur vie en streamant, mais ne sont pas nécessairement des joueurs de haut niveau, mais plus des enterteiners. Et pour la plupart, ils gagnent plus que les joueurs de e-sport. Pour moi, c’est la même différence qu’on ferait entre les Lakers de Los Angeles et les Harlem Globe Trotters. 

Aujourd’hui, Dota 2, CS:GO (Counter Strike : Global Offensive) et League of Legends sont les trois plus gros jeux sur la scène e-sport mondiale. Et ce depuis un certain temps. Les top-joueurs qui jouent à ces jeux gagnent bien leurs vies, mais ne sont pas millionnaires, du moins pas la grande majorité. Mais clairement, ils ont tendance à bien gagner leur vie, tout d’abord parce qu’ils ont des salaires, et ensuite parce qu’ils remportent des compétitions et donc du « cash prize » (revenu gagné dans une compétition). Sur des jeux comme CS:GO ou Dota 2, l’éditeur Valve donne la priorité au cash prize. L’exemple le plus parlant est sur Dota 2, où il y a un circuit de 22 tournois dans l’année, 11 mineurs, 11 majeurs, avec des majors où le cash prize monte jusqu’à 1,5 million de dollars. Ce qui signifie que l’équipe qui l’emporte le major gagne entre 500.000 et 800.000 dollars. Il faut alors diviser ce prix entre les 5 joueurs de l’équipe, plus le coach et l’équipe, et parfois le club prend aussi une partie du cash prize, autour de 10 à 15%. Et la spécificité est qu’il y a sur Dota 2 « The Internationals » tous les ans au mois d’août. Cette année il aura lieu à Vancouver. C’est le plus grand tournoi de l’année, avec une logique de crowd funding pour faire financer une partie du cash-prize par la communauté. Le cash prize augmente tous les ans. L’année dernière il avait atteint 26 millions de dollars. L’équipe qui l’a emporté a gagné 10 millions de dollars. Même avec les 30% de taxe de l’Etat, on peut imaginer que certains vainqueurs sont en capacité d’être millionaire après une telle victoire. Sur Dota 2, les salaires sont importants. Mais là où il y a les plus gros salaires, c’est sur Counter Strike, avec des salaires entre 30.000 euros et 40.000 dollars par mois pour les grosses stars, voir un peu plus. Il faut ajouter à cela un circuit avec beaucoup de cash prize, mais aussi du revenu de vente « ingame », par exemple en vendant des objets dématerialisés (armes, « skin » (habillage particulier par exemple) qui rapportent aussi de l’argent aux joueurs. 

Donc effectivement on en arrive aujourd’hui à un niveau où les éditeurs d’un côté consolident leur scène, les médias suivent de plus en plus les compétitions avec l’arrivée des grandes diffusions, et les marques qui sponsorisent de plus en plus et amènent donc de l’argent, on observe une explosion ou du moins une grosse progression du salaire de certains top-joueurs sur ces top-jeux. Sur d’autres jeux moins populaires, ce n’est pas le cas, on est dans des circuits semi-professionnel voire totalement amateurs. 

On a aujourd’hui une scène avec des joueurs relativement jeunes, entre 17 et 23 ans pour la plupart, avec une tendance peut-être un peu plus âgée sur CS:GO qui ont tendance à se retrouver avec des revenus très conséquents. 

A quoi ressemble une carrière de ces joueurs professionnels ?

Leurs carrières sont très courtes aujourd’hui, moins de 10 ans, mais je pense qu’on va avancer vers des carrières de plus en plus longues. Pourquoi est-ce si court ? D’abord parce que c’est une pratique extrêmement fatigante et usante. Les joueurs suivent un entrainement collectif de 6 à 7 heures par jour, suivi souvent par des séances d’entrainement en solo. Ce sont des joueurs qui très jeunes, parfois depuis 13 ans, jouent 10 à 12 heures par jour. Attention, on parle des tout meilleurs joueurs, de 0,0001% des joueurs de ces jeux. Comme dans le football, il y a la même différence qu’entre l’amateur et le joueur de Premier League. Les carrières sont courtes parce que c’est évidemment très exigeant mentalement. 

Ensuite il faut savoir que beaucoup de joueurs - c’est le cas sur League of Legends - vivent ensemble dans la même maison. C’est un modèle hérité du passé qui va cependant avoir tendance à disparaitre. Chez Team Vitality, nos joueurs, qui participent au match pour la 3e place au tournoi de Copenhague le week-end prochain sont des joueurs qui vivent ensemble à Berlin, qui s’entraînent ensemble. Nous allons faire évoluer ce modèle en séparant le lieu de vie du lieu d’entrainement pour créer un meilleur équilibre pour nos joueurs, ce qui n’est pas encore tout à fait le cas de la plupart des clubs - surtout des plus petits clubs, comme en France. 

En revanche, parce qu’il y a une évolution des conditions de vie et d’entrainement, on va probablement arriver sur des carrières un petit peu plus longues. Mais cela reste très exigeant mentalement et techniquement, ce qui fait que les joueurs auront malgré tout des carrières relativement courtes.

Les champions et top-players de e-sport développent ils aussi une image de star comme on l’observe chez les grands sportifs, type Roger Federer en tennis ?

Comme dans le sport, on assiste dans le e-sport à une starification des joueurs. Pourquoi ? Parce que les marques, les médias etc. ont besoin de storytelling. Celui-ci se fait bien entendu autour de l’équipe mais aussi autour des joueurs. Après, comme dans le football, les joueurs sont plus ou moins matures. Certains sont à même d’appréhender l’aspect hors-sportif de leur activité, d’autres moins. Certains comprennent très vite qu’ils ont intérêt à cultiver leur réseau sociaux, leur image, à travailler leur expression orale aussi. Sur ce point, on observe encore des cas catastrophiques en France chez des joueurs très performants. 

Il reste donc un peu du travail, mais on observe déjà très clairement une starification des joueurs qui s’accompagne en toute logique de premiers « transferts » dans l’économie du e-sport pour des joueurs qui représentent autre chose que des simples performances techniques et sportives. Pour vous donner un équivalent, c’est ce qu’on observe chez Pogba dans le football, où le statut de star importe énormément. Il y a des « Pogba » dans l’e-sport, et il y en aura de plus en plus.

Pour filer la comparaison avec le sport, on parle souvent de « petite mort » quand un sportif termine sa carrière. Qu’en est-il des e-sportifs, dont la carrière se situe en plein dans une période généralement consacrée aux études ? Comment gère-t-on cette retraite sportive à 23 ans ?

C’est LE problème auquel nous allons être confronté dans les prochaines années. Nos joueurs ont généralement été déscolarisés ou en tout cas se sont consacrés très jeunes à leur passion. Dans le sport, notamment en France, il existe des centres de formation où cette question est très prise en compte, où toutes cela est très encadré. Et en plus les revenus sont souvent plus importants, par exemple dans le football. Ce n’est pas le cas pour le e-sport, car la pratique est encore trop jeune pour qu’on puisse avoir un recul sur ce que deviendront les sportifs dans 10 ans. 

Chez Vitality, nous sommes extrêmement conscient de ce problème, et nous avons dès lors créé une branche « Academy » qui a vocation à prendre des plus jeunes pour certes leur apprendre leur métier de e-sportif mais aussi les former aux métiers qui entourent l’e-sport, que ce soit dans le marketing, l’événementiel, la communication, la production audiovisuelle… C’est extrêmement important pour nous. Cet engagement n’est pas lucratif, mais fonctionne grâce à des partenariats que nous cherchons pour que nos joueurs soient formés. C’est l’ADN de notre club, depuis qu’il a été créé. Et je pense qu’en Europe, on est un peu plus conscient que les autres des responsabilités qu’implique une carrière e-sportive très courte.

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