Inflation : ces 4 questions clés auxquelles évite soigneusement de répondre le gouvernement<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron, président de la République.
Emmanuel Macron, président de la République.
©YOAN VALAT / POOL / AFP

Crise économique

En avril, l'inflation globale a reflué pour une majorité de pays de la zone euro. La France, l'Autriche, l'Espagne, l'Italie et les Pays-Bas font exception.

Alexandre Lohmann

Alexandre Lohmann

Alexandre Lohmann est chef économiste dans un fonds d'investissement brésilien.

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Atlantico : En avril, l'inflation globale a reflué pour une majorité de pays de la zone euro. Avec la France, l'Autriche, l'Espagne, l'Italie et les Pays-Bas qui font exception et où l'on voit encore une progression de l'inflation. Comment expliquer cet écart de situation entre les pays ?

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Alexandre Lohmann : Globalement, la majeure partie des pays ont une inflation en baisse. Cependant, en France, nous avons étalé l'inflation donc nous avons un cycle beaucoup plus long. Certains pays ont quelques difficultés à juguler leur inflation. Chaque pays a des raisons un peu différentes pour cela. En Italie, par exemple, il y a des pressions inflationnistes assez fortes qui sont sorties largement au-dessus des attentes. Mais regarder simplement l'évolution du taux interannuel sur un mois ne suffit pas à comprendre la situation. Les Pays-Bas ont quasiment divisé leur taux d'inflation par deux, donc leur petite remontée est relative. Une mesure plus intéressante est l'inflation accumulée depuis octobre 2022. Pourquoi octobre 2022 ? Car c'était la fin de la mesure du gouvernement de ristourne. Donc j’ai commencé à calculer l'inflation accumulée pour voir la dynamique de l'inflation française. Cela ne prend pas en compte les effets de base mais simplement la dynamique mois à mois, mais cela permet de voir l'inflation accumulée depuis octobre dans tous les pays qui ont publié aujourd'hui.

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En fait, la France a le taux d'inflation le plus élevé de la zone euro. Il n'y a que deux pays qui sont au-dessus d'elle : la Slovaquie et l'Italie. Nous sommes donc vraiment parmi les mauvais élèves. La plupart des pays sont en processus de désinflation, mais cela se fait en dent de scie. Ce n'est pas un processus linéaire.

Quel a été l'impact de l'inflation sur les salaires en zone euro ?

Alors, les salaires sont en retard, ce qui est classique. Or comme les salaires sont à la traîne, en réalité, les salaires réels diminuent. Je n'ai pas les données exactes sous les yeux, mais il est clair qu'il y a une incapacité des entreprises à répercuter les hausses de salaire, ce qui entraîne une baisse des salaires réels dans la plupart des pays.

Face à cela, que devrait être normalement la réponse du gouvernement ?

Théoriquement, lorsqu'il y a une augmentation des salaires en phase avec l'inflation, cela peut renforcer l'inflation en boucle avec les prix. Toutefois, au bout d'un moment, si la population s'appauvrit trop, il n'y a plus de choix. Les salaires doivent donc récupérer. Pour lutter contre l’inflation, un consensus social est nécessaire. Il est essentiel de lutter contre l'inflation comme une sorte de maladie économique. Nécessairement cela entraîne des baisses des salaires réels - à moins que l'on n'entre dans un phénomène d'indexation qui rende l'inflation plus endémique. Il est donc important de mettre en place des mesures pour aider la population à passer cette étape difficile. Le problème est que ces mesures, en France, ont été des chèques qui n'ont eu aucun impact sur l'inflation et ont touché toujours les mêmes personnes. Ainsi, la classe moyenne a peu bénéficié des mesures compensatoires, ce qui a érodé la paix sociale. C´est tout la limite de la politique des « chèques » qui était défendue par beaucoup d'économistes et qui est en train d'échouer. Il aurait été possible pour le gouvernement, tout en sachant que les salaires réels allaient baisser, de faire sa part. Par exemple en instaurant une TVA sur les produits de première nécessité, en réduisant les impôts sur la production des entreprises ou des baisses de cotisations. Le gouvernement à un rôle très important car il doit baisser les impôts, mais sans compromettre sa situation budgétaire. En fait, il doit baisser la dépense publique « inutile » et il ne l’a pas fait. C’est la grosse faiblesse de la réponse française, ce qui s’est d’ailleurs traduit dans la dégradation de la note de la note de la France par Fitch.

N’est-il pas illusoire d'avoir une même politique monétaire indifférenciée de la BCE qui puisse être appropriée à tous les pays quand on voit les écarts d’inflation selon les pays ?

Je vais essayer d'être clair, car je ne veux pas être interprété comme étant contre l'euro. En réalité, je ne suis pas favorable à la sortie de l'euro, mais il est clair que la monnaie unique a des avantages et des inconvénients. Et c'est clairement un inconvénient que nous n'avions peut-être pas anticipé : lorsque l'on souhaite lutter contre une crise d'inflation, la politique monétaire est beaucoup moins efficace, car les économies des différents pays membres sont trop différentes pour permettre une réponse adéquate. 

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En somme, l'euro est une taille unique pour tous, et cela n’est sur mesure pour personne. Certains pays n’ont économiquement rien à faire ensemble. Bien sûr, il y a des avantages à l'euro, comme une plus grande stabilité du taux de change et une plus grande facilité de voyage et de commerce pour les entreprises. Mais il y a aussi des inconvénients, et cela fait partie de la réalité de la situation.

En variation interannuelle, la majorité des pays de l´UE font mieux que la France en avril. Qu’est-ce que cela veut dire ? 

Si vous comparez la situation de la France à celle des autres pays de la zone euro, c'est un peu particulier. En fait, la majorité des pays ont une inflation plus forte ou plus faible que la France. Il y a 10 pays qui ont une inflation plus faible et 8 qui ont une inflation supérieure, mais comme les 8 qui ont une inflation supérieure sont légèrement plus gros que ceux qui ont une inflation inférieure, cela fait que nous sommes proche avec la moyenne. Elle est de 7 % en zone euro et de 6,9 % en France.

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Mais si vous prenez la logique de l'inflation accumulée au cours de ces 7 derniers mois, la situation est très défavorable à la France. Une des choses qui est positive, c'est que malgré tout, l'inflation sous-jacente, donc en fait l'inflation totale moins la nourriture et moins l'énergie, est assez faible en France par rapport à d'autres pays de la zone euro.

Ce qui est bon signe ? 

Finalement, on va avoir trois temps. Le premier où le gouvernement contrôlait les prix, donc une inflation plus basse. Puis, un deuxième temps où la France va être vraiment pire que les autres. Et ensuite, il y aura probablement un troisième temps où, de nouveau, on va avoir une inflation plus faible.

Cela veut-il dire pour autant que les Français sont moins bien protégés que les autres européens ?

C’est probable que l’inflation accumulée soit plus faible pour l’instant, mais il est probable qu’in fine nous arrivions nous au même point. C'est là qu'il faut faire un peu preuve de modestie : quel que soit l'argent public qu'on déverse, finalement, on en arrive toujours au même point.

Ça veut dire que nous n’avons pas pris les bonnes mesures ?

Les dépenses publiques pour lutter contre l'inflation, ça ne change rien. 1% de dépenses publiques, ça réduit l'inflation de 0,1 selon le FMI. Le carnet de chèques pour lutter contre l'inflation, ce n’est pas une solution, mais des solutions il y en a.

La majorité critique l’idée d’une mise en place d'une TVA à 0% en se servant de l’exemple de l’Espagne. Pourquoi l’argument n’est pas bon ?

Alors, en fait, c'est très simple. Quand je vais en France, j'aime bien aller au Fouquet's. Et là-bas, je commande des pâtes aux truffes. L'erreur d'analyse des députés Renaissance, c'est de considérer que ce plat de pâtes aux truffes au Fouquet's se comporte de la même manière en termes économiques que le paquet de pâtes Panzani. Je vais expliquer pourquoi.

L'Allemagne a fait une politique de baisse de TVA pour le COVID et la Bundesbank a publié un article sur cette politique en novembre 2020, détaillant l'efficacité de ces baisses de TVA. En fait, dans la catégorie des services, par exemple les restaurants, si vous baissez la TVA, très peu est repassé au consommateur. C’est ce qui s'est passé en France et c’est l'argument des députés macronistes, mais il faut lire un peu plus loin. Ils disent que dans le cas des biens énergétiques, par exemple l'essence, le pourcentage qui est repassé est beaucoup plus fort. Dans le cas des biens essentiels, le pourcentage repassé au consommateur est quasiment de 100 %.

En fait, il faut considérer que les biens ne sont pas tous les mêmes, et l'impact de la baisse d'impôts n'est pas du tout le même suivant le type de bien. C'est pour ça que je compare les pâtes aux truffes au Fouquet's avec le paquet de pâtes Panzani chez Carrefour.  En réalité, il ne s'agit pas de la même chose, c'est une simplification de la réalité. Cela dénote un manque de connaissance en économie tout simplement. Toutefois, récemment, avec les réductions de la TVA en Espagne, nous sommes passés d'une simplification due à une méconnaissance de l'économie à la fake news, pour ainsi dire. Deux études ont été publiées récemment, mais elles sont encore très préliminaires puisqu'elles datent d'il y a seulement trois mois. La Banque centrale espagnole a évalué que 90% des baisses d'impôts ont été répercutées sur les consommateurs. Une autre étude menée par une école de commerce, du nom de L’Esade Business School, a également conclu la même chose. Le problème est que certains, comme Olivia Grégoire, ont utilisé le taux interannuel pour analyser la situation, ce qui est malhabile. En effet, l'inflation était très faible en Espagne au premier trimestre 2022. Par conséquent, en raison de l'effet de base, l'inflation des produits alimentaires semblait faible au premier trimestre 2023, mais en réalité, le taux interannuel augmentait. 

En réalité, l'utilisation des comparaisons interannuelles crée une illusion selon laquelle l'inflation est en train d'augmenter, mais c'est pour cette raison que nous n'utilisons jamais ces comparaisons pour évaluer l'inflation. Pour effectuer une telle évaluation, il est nécessaire de prendre en compte l'indice des prix tels qu'ils étaient avant l'application de la mesure, puis après. Ainsi, vous pouvez constater une baisse des prix des produits. Un autre problème est que l'inflation de l'alimentation et des boissons est considérée comme un ensemble, bien que les baisses de TVA n'aient pas concerné tous les produits de cette catégorie. Par exemple, les produits industriels tels que le Coca-Cola n'ont pas été impactés. Si vous ne considérez que les produits qui ont été impactés par la baisse de la TVA, vous verrez qu'il y a eu une baisse généralisée du taux interannuel d'inflation. Les seules exceptions sont les fruits et légumes, qui ont été affectés par une forte canicule en Espagne, ce qui a fait exploser les prix. Cependant, ces aliments étant saisonniers et sensibles au climat, il est difficile de les inclure dans l'analyse. En dehors de ces trois catégories, tous les autres produits ont connu une baisse des prix, tels que la farine, les céréales, le pain, les pâtes, le lait, le fromage, les œufs et l'huile d'olive. Cela ne se fait pas nécessairement sentir dans les taux d'inflation agrégés, car les dépenses alimentaires ne représentent qu'une petite partie des dépenses totales, la Banque d'Espagne estime que cela a un impact limité (environ - 0,20% au taux d'inflation de de janvier par exemple).  Ce n’est pas une solution miracle, mais ça a un effet positif. L'idée de la TVA sur les biens de première nécessité a été évoquée après les gilets jaunes et certains politiques, y compris Bruno Le Maire, semblaient ouverts à cette proposition. Maintenant, ils s’y opposent. Économiquement, cela ne fait pas sens et cela ne peut probablement être justifié que par une position politique, en l'occurrence, la défense de cette mesure par Marine Le Pen. En tout cas, cela ne correspond ni aux données, ni à la littérature scientifique, ni à nos expériences internationales.

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