Cédric Sapin-Defour : Un homme et son chien, ou les richesses de l’imprévu<!-- --> | Atlantico.fr
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Cédric Sapin-Defour publie le 29 mars prochain "Son odeur après la pluie" (Stock). "Son odeur" est un livre magique, riche, le texte d’une sorte d’éthologue amoureux racontant avec grâce et élégance l’histoire émouvante- la vie tout simplement- d’un homme avec son chien, nous dit Jean-Paul Dubois, préfacier de: "Son odeur après la pluie", de Cédric Sapin-Defour (disponible en librairie à partir du 29 mars prochain).

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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Françoise Giroud disait que l’on ne possède jamais un chat, car c’est le chat qui vous tient.  L’auteur  Cédric Sapin-Defour   prouve dans son nouvel ouvrage : « Son odeur après la pluie » (bon titre) qu’un chien peut lui aussi gouverner son « maitre ». Lauréat du Goncourt 2019  avec « Tous les hommes n’habitent  pas le monde de la même façon » (l’Olivier ), l’écrivain Jean-Paul Dubois a tenu à exprimer son émotion de lecteur pourtant  aguerri en rédigeant  la préface de ce récit romanesque. ll existe de nombreux témoignages de  maîtres concernant leurs chiens, mais dès les premières pages de « Son odeur après la pluie » (Stock),  nous sommes saisis par quelque chose d’autre, de surprenant, que nous n’avons pas lu  jusqu’à présent, ou pas de cette manière :le journal de bord du « maître » d’Ubac - beau prénom canin .Un texte pudique, tenu, qui d’emblée, nous bouleverse ; car il s’agit  d’une sorte de reportage existentiel sur  l’art et la manière de  vivre la condition humaine  via une cohabitation heureuse entre espèces : chez Sapin-Defour,  l’homme et l’animal sont frères ; « Mathilde et moi  nous animalisons tranquillement » confie d’ailleurs le narrateur,  très postmoderne .  Son chien-Ubac   est un « embellisseur de vies » ( « un chien réinvente vos lieux. Il fait peu de cas de vos usages, de votre sens de la circulation et de votre place préférée. Ubac ne va pas du tout où je pensais qu’il irait, il redéfiniti l’endroit vu de ses yeux et de son importance des choses. Je n’aurais de cesse d’observer sa vision du monde pour me souvenir combien la mienne n’en est qu’une parmi d’autres. » Il ne s’agit pas de l’éternel portrait de ce chien merveilleux qui se trouve être celui du narrateur, un chien forcément beau et intelligent. Il s’agit   de la  photographie d’une  relation (sa naissance, ses hauts, ses bas. Sa légèreté.Sa profondeur) entre un humain instinctif et doux  et un animal doux et instinctif (cf . « Heureux les Doux » !) Le non- dit fait le miel des protagonistes : «Et si mon statut d’être humain m’empêche pour je ne sais quelle raisons boiteuses, de plonger corps et âme dans une existence dont on ignore tout le tracé et l’on découvre au fur et à mesure de ces minutes, il me plaît d’adhérer à la définition que m’offre sans le savoir Ubac, celle de consentir aux richesses de l’imprévu ». Défilent une série d’instantanés coloriés  pour le bien d’une affection réciproque. Pas d’attendrissement cucul.  Un amour « à la vie à la mort » au premier contact, avec tout ce que cela comporte comme part de mystère dans cette relation entre différents  objets du monde, dirait Philippe Descola, l’expert de « ces manières libres et presque oubliées de vivre la condition humaine » (cf. « Les lampes du crépuscule »/Pockett )

Cédric Sapin-Defour a l’habitude des sommets. « Nous nous regardons, aimantés, et ce jeu d’enfants où le premier baissant les yeux perd la partie, prétexte à tant d’idylles naissantes, débute pour ne s’achever qu’à la seconde où l’un d’entre nous les fermera pour toujours. Ce chien ne me lâchera jamais de son œil attentif et je sais que par ces lucarnes de l’âme, au-delà de « voir », il regardait et savait tout de moi dont ce que je m’efforçais de rendre invisible. »

Deux êtres pas forcément accordés, pas toujours sur la même longueur d’ondes, un homme et son chien étrangement liés . Un amour  fraternel et sacré.  «Il y a ces instants, si rares, souvent jamais, quand la vie vous dépose exactement où il faut.Tout s’accorde, de la lumière aux sons des mots, des choses humaines aux perspectives. Comme si, malgré ce qui ressemblait jusqu’alors au hasard, aux dérives et à un statut de spectateur, tout avait été mis en place pour vous offrir cette scène qu’il s’agit d’endosser avec force. »  Au fil de son oeuvre Colette( 1873-1954)  ne ratait pas une occasion  d’afficher ici ou là sa passion des chats et jardins.Cédric Sapin-Defoure ne se contente pas de savoir  tisser cette passion réciproque entre Ubac et son narratdeur, il la comprend si bien qu’il enseigne à l’humanité ce qu’elle ne sait pas toujours voir : les plantes, les animaux en effet éprouvent des émotions, et sont heureux ou souffrent par nous . Cette délicatesse donne à Cédric Sapin-Defour -homme des montagnes -une vision de l’univers à la Douanier Rousseau : son imaginaire comprend la forêt tropicale, l’altitude donne une certaine majesté aux refuges ; on a l’impression que tous les objets vivants du monde- faune et flore- seront toujours préservés de tous les dangers chez Sapin-Defour. Cette même délicatesse fait le meilleur du livre : cette fin  du bonheur, de la jeunesse et de l’insouciance qu’inflige au narrateur -désespéré- la mort d’Ubac.  L’auteur évite tout pathos si bien que nous sommes d’autant plus bouleversés  par ces pages, d’une force rare. « Il ( le vétérinaire NDLR)  fait semblant d’aller chercher quelque chose et nous laisse seuls. C’est la dernière minute où je te vois. Ou était-ce matin ? Ou était-ce quand je t’ai vu courir la dernière fois ? (…)

Cédric Sapin-Defour termine son livre en nous confiant qu’il espère « pouvoir s’en foutre un jour ». Malheureusement,  ce jour n’arrive jamais,  je le sais. Chez Cédric Sapin-Defour, on apprécie -outre ses montagnes et son amour d’Ubac- ce côté « nouvel homme » qu’il incarne avec modestie. « L’illusion de ta force c’est ta plus grande faiblesse » affirme-t-il à ce sujet.

Bravo.  

Annick GEILLE

Repères

Alpiniste, journaliste et auteur de nombreux ouvrages, Cédric Sapin-Defour est chroniqueur pour Montagnes Magazine et Libération ; son préfacier, l’écrivain Jean-Paul Dubois a obtenu le Goncourt 2019  pour son roman :« Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon ».

EXTRAITde la préface par Jean-Paul Dubois

« Pour la durée d’une vie »

« Je ne sais pas ce qu’en dirait Cédric Sapin- Defour, l’auteur de « Son odeur après la pluie », même si j’ai ma petite idée là-dessus mais j’ai toujours pensé que dans une relation bien considérée, c’était le chien qui élevait son « maître » et non l’inverse.J’ai pris conscience de cela très tôt en m’apercevant que ma chienne comme nombre de ses congénères comprenait quelques trois cents mots du langage humain alors qu’il m’était quasiment impossible, malgré mon attention, de discerner les nuances de ses aboiements. Imaginez que tous les soirs, vers 21 h, pendant des années, elle vint s’asseoir devant le canapé et durant plusieurs minutes, ses yeux dans les miens, s’adressa à moi, modulant des vocalises et des timbres proches de la voix humaine. Les gens disaient  « on dirait qu’elle te parle ». Ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’elle me parlait vraiment.Et que lorsque nous étions seuls, je lui répondais. Chacun prisonnier de nos langages, essayant pourtant de montrer à l’autre que nous faisions l’impossible effort de combler ce vide qui séparait nos espèces. Sous d’autres formes, « Son odeur » relate l’intimité subtile, l’impregnation mutuelle qui se crée entre deux espèces attentives. L’obligation, pour l’homme, de sortir de l’ui-même, de s’oubler, de se désosser pour comprendre l’autre. Il explique aussi avec beaucoup de douceur combien il est précieux pour un humaind’apprendre à se coucher par terre, juste pour avoir le bonheur de sentir son chien s’endormir la tête tout contre lui.Vivre avec  un animal oblige à  déchiffrer, à reconsidérer l’espace et le temps.A l’instant où vous ouvrez la porte de la maison, le chien devine votre humeur, et, avant même que vous en ayez prix conscience, sait ce que vous avez dans la tête. Il a compris que vous allez l’emmener marcher dans la montagne,nager dans l’océan, traîner sur la plage, et que c’est au long de ces longues promenades,  de ces pas enchaînés que vous allez vous unir pour la durée d’une vie, étant simplement attentif à la soif et à la fatigue de l’un et de l’autre. Dans ce livre, l’auteur a une belle habitude, très signifiante, à l’égard de son chien : au plus fort de la chaleur, il lui donne à boire de « bouche à la gueule ».

Ce texte est un précis d’intelligence et d’amour entre deux êtres que tant de choses pourtant séparent. Sauf une qui se profile dans le dernier quart du livre et que l’auteur évoque par cette simple phrase en parlant de son berlinois vieillissant :

« Quand va-t-il comprendre qu’il est mortel ? »

Je crois qu’un chien n’a pas à savoir ces choses-là.

C’est ce qui devrait le sauver.

Et pourtant arrive la fin. Des pages d’abord inquiètes dans les entrailles de vétérinaires dévoués, puis déchirantes à l’aube des ultimes jours. A l’instant du départ, l’homme regarde la bête pour la dernière fois et sait désormais qu’il va devoir «  parler à quelqu’un qui ne lui répond plus». Et là, bien sûr, parce que c’est tout à fait normal, maintenant, vous pleurez. » Jean-Paul Dubois

Copyright Cédric Sapin-Defour / Stock toutes librairies et « La Boutique » à partir du 29 mars

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