Ce que le basculement à droite du Sénat change concrètement pour le gouvernement<!-- --> | Atlantico.fr
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La droite a repris la majorité au Sénat.
La droite a repris la majorité au Sénat.
©Capture d'écran

Bâtons dans les roues

La droite a repris, comme prévu, la majorité au Sénat, obtenue pour la première fois par la gauche en 2011. Elle dépasse le seuil de la majorité absolue, fixée à 175 sénateurs sur 348, d'au moins 13 sièges.

Philippe Blacher

Philippe Blacher

Philippe Blacher est professeur de droit constitutionnel à l'université Jean Moulin Lyon 3 et il dirige le centre de Droit constitutionnel. Il est également l'auteur du livre Droit Constitutionnel aux édition Broché.

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Atlantico : Qu'est-ce qu'un basculement à droite du Sénat change d'un point de vue juridique pour le gouvernement ? En quoi cela peut-il lui compliquer la tâche ? Quelle est l'étendue du pouvoir, y compris de nuisance, du Sénat ?

Philippe Blachèr : Le changement de majorité au Sénat est à première vue sans conséquence pour le gouvernement dans la mesure où la majorité sénatoriale ne fait partie de la majorité gouvernementale. L'actuelle majorité de gauche au Sénat n'est pas politiquement « soudée » au Président de la République, comme le sont les députés de la majorité présidentielle de l'Assemblée nationale. Cette distance entre l'exécutif et le Sénat explique l'attitude parfois frondeuse des sénateurs qui ont refusé, à l'unanimité et sur des sujets importants, de voter certains projets du gouvernement (par ex : projet de loi sur les élections locales ; projets de loi de finances rectificatives pour 2012 et pour 2014 ; réforme des retraites...). Cette indépendance du Sénat vis-à-vis de la majorité présidentielle a, du reste, toujours existé. Dans l'histoire de la Cinquième République, rares sont les périodes où la Chambre haute n'ait pas été dans une opposition politique à l'égard du Président de la République, même à l'époque du Général de Gaulle.

Certains dénoncent et redoutent le basculement à droite du Sénat qui viendrait « compliquer la tâche » du gouvernement. Il est clair qu'au-delà du symbole d'une nouvelle défaite électorale (qui était mécaniquement prévisible suite à celle des élections municipales de 2014), le basculement à droite du Sénat rendra encore plus difficile une révision de la Constitution qui suppose un vote en termes identiques des projets ou propositions de loi constitutionnelle (article 89, alinéa 2 de la Constitution). Pour le reste, les résultats des élections sénatoriales auront le mérite de clarifier les équilibres institutionnels. Ce n'est peut-être pas une si mauvaise nouvelle pour le gouvernement qui n'aura plus besoin de rechercher des arrangements de type « Quatrième République » avec la majorité sénatoriale pour faire passer ses lois. L'Assemblée nationale dispose toujours du pouvoir de dernier mot en matière législative, l'exécutif ne vivra donc plus le rejet de ses textes par le Sénat comme un épisode politiquement douloureux.

Faut-il en attendre des conséquences sur la durée des votes ? Allons-nous assister à une augmentation du nombre de navettes parlementaires pour les projets ?

De façon assez paradoxale, on peut penser qu'en matière de vote de la loi le retour de la droite au Sénat va inciter le Premier ministre à être encore plus vigilant sur les décisions prises par sa majorité... à l'Assemblée nationale ! En effet, jusqu'à présent le gouvernement pouvait, en cas de besoin, récupérer des amendements adoptés par la minorité de la majorité (que l'on appelle de façon assez inappropriée « les frondeurs ») de l'Assemblée nationale au moment du passage du texte devant le Sénat. Désormais, il sera exclut que le Sénat vienne « détricoter » des textes adoptés en première lecture à l'Assemblée nationale pour aller dans le sens souhaité par le Gouvernement. Par conséquent, le travail législatif au Palais Bourbon devra être très serré pour l'exécutif.

Par ailleurs, on peut penser que le Sénat à droite cherchera à renforcer ses pouvoirs de contrôle et d'évaluation des politiques publiques. Sous la présidence de Gérard Larché, le Sénat avait lancé des initiatives pour que l'institution exerce pleinement les nouvelles compétences attribuées depuis la révision constitutionnelle de 2008. C'est le Sénat qui a par exemple impulsé, en 2009, les réformes en matières de déontologie politique, bien avant l'affaire Cahuzac !

En 2014, le Sénat est-il encore utile ?

La gauche a toujours dénoncé l'institution sénatoriale – sauf peut-être au moment de l'accession de Jean-Pierre Bel à la présidence du Plateau. La Haute assemblée n'aurait plus de raison d'être dans nos institutions pour deux raisons principales. Tout d'abord, le Sénat serait une assemblée poussiéreuse, représentant la France conservatrice et rurale en raison du mode de scrutin particulier appliqué pour son renouvellement (les sénateurs sont les élus des élus). Ensuite, le Sénat ralentirait de façon dilatoire les réformes portées par l'exécutif. Cette dénonciation du Sénat, récurrente depuis 1875, me semble caricaturale et discutable. Les travaux du Sénat sont d'excellente qualité, notamment les rapports. Chambre de réflexion, le Sénat prend le temps. Après tout, la loi émotionnelle  n'est pas une bonne loi ! Y a t-il urgence à voter tant de textes législatifs alors même que depuis des années d'aucuns dénoncent la loi bavarde, la loi inutile, la loi inappliquée ?

Mais plus fondamentalement, est-ce que la mécanique démocratique, fondée sur le principe de l'équilibre entre les pouvoirs, fonctionnerait mieux avec une seule assemblée ? L'expérience montre que le Sénat, qui n'est pas élu en même temps que le Président de la République et qui n'exerce pas exactement les mêmes compétences que la Chambre des députés, est un contre-pouvoir. Est-ce que l'Assemblée nationale – même avec les « frondeurs » - peut-en dire autant ? La chambre des députés ne joue t-elle pas le jeu du soutien inconditionnel à l'égard du gouvernement ? Où peut s'exprimer l'opposition politique sinon au Sénat ? La meilleure solution pour aggraver la dérive présidentialiste serait de supprimer le bicamérisme en France.

En revanche, il est vrai que le mode d'élection des sénateurs est un peu compliqué à expliquer pour les citoyens. Il change souvent, parfois dans le bon sens. Ainsi depuis une réforme de 2013 la proportionnelle est appliquée pour les départements ayant plus de trois sénateurs à élire. Mais sur ce point on peut moderniser un peu plus le mode d'élection des sénateurs de façon à le rendre plus lisible et plus en phase avec les nouveaux équilibres territoriaux. En tout état de cause, le défit du nouveau Sénat sera de faire de la pédagogie pour montrer aux citoyens de l'utilité du bicamérisme.

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