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Ce que la stagnation des loyers en France révèle des zones de spéculation immobilière
©Reuters

France des loyers

L'association Clameur montre que si les loyers Parisiens ont augmenté de plus d'un 1% en 2017, le reste du territoire connait une baisse. Entre tendance de long terme et spéculation, voici des explications.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Selon les chiffres publiés par l'association Clameur, si les loyers parisiens ont progressé de 1.1% en 2017, la tendance nationale s'oriente à la baisse, soit -0.1% sur l'année écoulée. Dans un contexte de poursuite de la hausse des prix immobiliers dans le pays, alors que les loyers stagnent ou baissent parfois, comment identifier les différents marchés dans le pays ? Comment faire la différence entre des marchés qui semblent spéculatifs (ou le prix augmente alors que les loyers stagnent) et ceux qui ne le sont pas ?

Philippe Crevel En effet, en 2017, les loyers auraient baissé de 0,1 % sur l’ensemble de la France selon l’association « Clameur ». Pour les loyers parisiens, une hausse de 1,1 % a été constatée. Cette sagesse des loyers tranche avec la hausse des prix de l’immobilier. En effet, selon sur un an (au 3e trimestre 2017), elle était de +3,9 % par rapport au troisième trimestre 2016, Cette hausse est principalement tirée par les prix des appartements, qui ont augmenté de 5,1 % en un an, contre 3,1 % pour les maisons. Pour l’Île de France, les prix des logements anciens en Île-de-France a enregistré de son côté une progression de 4,8 % (+5,8 % pour les appartements et +7,8 % pour les appartements parisiens).

Les montants des loyers ne sont pas indexés sur le prix de l’immobilier et heureusement pour les locataires. L’évolution des loyers est fonction de l’indice de référence des loyers, un indice qui augmente moins vite que l'inflation. Par ailleurs, l’inflation a été très faible ces dernières années, ce qui a limité d’autant la progression des loyers. Même si l’encadrement des loyers prévu par la loi Alur a fait long feu, il a pu jouer un rôle dissuasif sur les réévaluations. Enfin, les loyers dépendent du pouvoir d’achat des locataires. Or celui-ci ne s’est guère amélioré depuis la crise de 2008. En l’état actuel, les propriétaires recherchent avant tout des locataires stables et bons payeurs, la qualité prime sur la quantité.

S’il y a un tel décalage pour certaines agglomérations entre l’évolution des prix d’achat et les loyers, cela est dû au fait de déséquilibres du marché. Les acheteurs recherchent des biens immobiliers au même endroit, Paris, Bordeaux, Rennes, Nantes, etc. Cette situation est liée à l’accroissement démographique de certaines métropoles auquel peut se surajouter un effet de mode. En 2017, le marché immobilier a été extrêmement dynamique avec un million de transactions. Or, ces dernières sont par nature très inégalement réparties sur le territoire. Des villes de l’Est comme Mulhouse ou du centre de la France comme Limoges, dans l’Ouest comme Rouen ne connaissent pas d’augmentation des prix de l’immobilier en raison des difficultés économiques qu’elles connaissent.

Les mouvements haussiers de nature spéculative peuvent concerner des villes tendance comme Bordeaux, voire Rennes ou Nantes. Paris est à part car il y a, pour certains arrondissements, une demande internationale. En outre, la capitale dont les prix ont doublé en moins de 20 ans est de plus en plus en phase avec les prix internationaux de l’immobilier.

De la plus forte hausse des loyers (Nice +2.4%) à la plus forte baisse (Le Havre -3.8%), le marché n'est pas uniforme.  Qu'est ce que ces tendances immobilières peuvent révéler du climat économique du pays, notamment au travers du territoire ?  

L’immobilier est un bon révélateur de la situation économique et sociale d’une ville. Les villes en forte croissance attirent des jeunes actifs qui ont besoin de se loger, ce qui pousse les prix à la hausse d’autant plus qu’en France le foncier est rare. Des villes comme Ajaccio, Bordeaux et évidemment celles de région parisienne sont en premier lieu concernées. Nice bénéficie tout à la fois de son dynamisme économique mais aussi de son positionnement méditerranéen. Il en est de même pour Ajaccio. En revanche, Le Havre est handicapé par la désindustrialisation de la Normandie (réduction des effectifs de l’industrie automobile et du raffinage notamment). L’immobilier suit également les migrations intérieures.

Les soldes migratoires  sont déficitaires dans la France du Nord-Est, au nord d’une ligne allant de la Seine-Maritime, Paris et l’est de l’Île-de-France jusqu’au Jura. Au sud de cette ligne, les arrivées de population sont supérieures aux départs. La contribution de l’excédent migratoire à la croissance démographique est particulièrement élevée (plus de 1 % par an) en Corse, dans l’Hérault, la Gironde, les Landes et les Pyrénées-Orientales.

Tous vers l’Ouest et le Sud

L’attractivité des départements du littoral méditerranéen et de la façade atlantique se confirme depuis plus de 25 ans avec des taux de migration positifs très élevés sur toute la période. Inversement, les départements du Nord et de l’Est présentent, en revanche,  des soldes migratoires négatifs. Les migrations interdépartementales s’effectuent donc du Nord et de l’Est vers l’Ouest et le Sud. Néanmoins, quelques départements de régions d’accueil enregistrent plus de départs que d’arrivées comme dans les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse, les Alpes-Maritimes et les Hautes-Pyrénées. Les difficultés économiques et l’absence de liaison rapide avec une métropole expliquent ces cas particuliers. C’est pourquoi Marseille à la différence de Nice ne connait pas une hausse de ses prix immobiliers.

Pour comprendre les prix de l’immobilier, il faut également suivre les retraités qui choisissent sans hésitation le Sud et l’Ouest. Certes, il y a quelques exceptions comme le département de la Somme qui attire de retraités malgré son positionnement nordique. Ce département profite de la qualité du cadre de vie et de la proximité de Lille et de Paris. Il bénéficie de l’arrivée de natifs qui ont travaillé au sein des grandes agglomérations voisines ainsi que de retraités ne disposant pas de moyens suffisants pour migrer vers le littoral ou optant pour un logement en milieu rural dans une région à climat très tempéré. Le département du Jura enregistre également l’arrivée de nombreux retraités qui fuient les centres urbains avoisinant. Dans le Sud, la Haute-Garonne est désertée par les retraités qui partent de Toulouse au profit des départements se situant à proximité. Marseille comme d’autres grandes métropoles connait également un exode de retraités. 

La population se concentre donc au sein des grandes agglomérations à dominante tertiaire. Les régions côtières de l’Atlantique, Nouvelle Aquitaine, Pays de la Loire, Bretagne, continuent à attirer quand les anciens bastions industriels et les territoires ruraux perdent jour après jour des habitants. L’Île de France est dans une situation particulière en étant un important foyer de naissance mais aussi d’émigration. Le coût de l’immobilier, les contraintes liées aux transports incitent un nombre croissant d’habitants d’Ile de France à la quitter. Au moment de la liquidation de leur retraite, de nombreux Français choisissent de quitter les grands centres urbains au profit de localités se situant à l’Ouest ou en Corse. La relative perte d’intérêt pour les côtes méditerranéennes s’explique par le coût de l’immobilier et les nuisances liées à l’urbanisation.

A quoi peuvent s'exposer les acheteurs dans un contexte ou les loyers peinent à progresser ?

La rentabilité de l’immobilier est faible et devrait le rester compte tenu de l’évolution des loyers et du pouvoir d’achat des ménages ainsi que des charges. Elle tourne net d’impôt autour de 1 %. Certes, elle varie assez fortement en fonction des villes et du type de location. Paris offre une mauvaise rentabilité en raison du prix élevé à l’achat. En revanche, le marché de la location est dynamique ce qui limite le risque de vacance. La pierre n’est intéressante qu’au regard de la plus-value potentielle sous réservé de la liquider et de la valoriser.

Les propriétaires ont pu jouer ces dernières années sur le phénomène Airbnb pour améliorer leur rendement. De même, la location saisonnière a offert de beaux gains du fait d’un régime fiscal incitatif. La volonté des élus locaux d’accroître leurs recettes et de lutter contre ce type de location change un peu la donne. La majoration de la taxe d’habitation pouvant atteindre 60 %, la nécessité d’obtenir des autorisations pour louer au-delà d’un certain temps pèsent sur la rentabilité.

La question est donc de savoir si les prix de l’immobilier continueront à augmenter. Ces derniers sont très sensibles à l’évolution des taux. Si leur hausse est mesurée et progressive, en phase avec la croissance économique, le risque de retournement est faible. En revanche, si, comme en 1992, il y a une augmentation rapide et brutale, le marché pourrait connaître un choc important. Par ailleurs, le marché dépend de la demande. Avec le vieillissement de la population, si la demande de logements en bord de mer, dans le Sud et dans l’Ouest devrait rester forte, elle sera plus faible ailleurs ; à l’exception des métropoles dynamiques. Il se peut également que les retraités réinvestissent en masse le cœur des villes pour bénéficier des services et des commerces. Il en résultera un moindre attrait pour les banlieues et les villes périphériques.

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