Ce que la crise interne au FN change pour les électeurs<!-- --> | Atlantico.fr
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Les divisions au sein du Front National se multiplient.
Les divisions au sein du Front National se multiplient.
©Reuters

Comme les autres

Dans un entretien accordé jeudi 13 août au figaro.fr, le député européen FN Bruno Gollnisch se défend dans le conflit qui l'oppose à Marine Le Pen et en profite pour soutenir Jean-Marie Le Pen dont la place au sein du parti se joue en justice. Ces divisions au Front risquent d'avoir de fâcheuses conséquences sur l'électorat.

Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique est un ancien journaliste.

Proche du Front national, conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen de 1984 à 1994, secrétaire départemental du FN dans le Gard et conseiller régional du Languedoc-Roussillon, de 1992 à 1998. Il avait été écarté du FN en 1994 à l’occasion d’un conflit avec Bruno Mégret. Il a publié Dans l'ombre de Le Pen (Hachette Littératures) en 1998. A la suite de l’exclusion de Jean-Marie Le Pen du FN, il renoue avec celui-ci : depuis le 1er octobre 2015, il exerce la fonction d’assistant parlementaire du député au Parlement européen, en charge des questions de presse.

 

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : "Sacrifier Jean-Marie Le Pen serait très grave pour le FN" a affirmé l'euro député du parti, Bruno Gollnisch. Quel est le poids du "menhir" au sein du parti ? Dans quelle mesure l'exclusion de Jean-Marie Le Pen et la perte de son statut de président d'honneur pourrait avoir des conséquences sur l'électorat frontiste ?

Vincent Tournier :  La réaction de Bruno Gollnisch est celle de quelqu’un qui a beaucoup à perdre puisqu’il a été un fidèle soutien de Jean-Marie Le Pen et qu’il a toujours caressé l’espoir de prendre sa succession. C’est cet espoir qui l’a conduit à présenter sa candidature contre Marine Le Pen au congrès de Tours, en janvier 2011, où il a obtenu le score honorable de 32%. Aujourd’hui, Bruno Gollnisch sait que si Jean-Marie Le Pen perd tout contrôle sur l’appareil, son avenir politique est pratiquement terminé.

Néanmoins, au-delà de son cas personnel, la question que soulève Bruno Gollnisch n’est pas sans fondement. Le départ de Jean-Marie Le Pen est un pari sur l’avenir. C’est tout le problème d’un parti qui repose sur un leader charismatique. Sa pérennité n’est pas assurée. Les succès obtenus ces dernières années semblent indiquer que le FN connaît une dynamique favorable, ce qui signifie que le rôle de Jean-Marie Le Pen n’est plus indispensable, voire qu’il peut représenter un handicap. Mais l’Histoire n’est pas écrite. Les succès actuel du FN peuvent très bien n’être qu’un feu de paille.

A ce stade, on peut pourtant penser que les conditions sont réunies pour que le FN continue sur sa lancée. Le départ de Jean-Marie Le Pen devrait même permettre de débloquer deux éléments. Tout d’abord, le FN va gagner en crédibilité sur l’idée qu’il a vraiment pour objectif de prendre le pouvoir, voire qu’il a la possibilité de le faire. Avec Jean-Marie Le Pen, l’objectif n’était pas clair, et de toute façon l’accès au pouvoir apparaissait définitivement fermé. Sans lui, le FN gagne en crédibilité. Ses succès électoraux lui donnent aussi la possibilité de distribuer des places, par exemple au niveau local, mais aussi au Parlement européen, ce qui va inciter des gens à rejoindre le FN, palliant ainsi le manque de cadres.

Ensuite, la place du FN sur la scène européenne va changer. Jusqu’à présent, celui-ci était jugé infréquentable par les autres formations de droite radicale européenne en raison des déclarations teintées d’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen. Le départ de ce dernier change tout. On l’a bien vu : dès que Marine Le Pen a annoncé l’exclusion de son père, la question de la création d’un groupe au Parlement européen s’est débloquée. Sans Jean-Marie Le Pen, la droite radicale va donc pouvoir constituer plus facilement un réseau en Europe et peser davantage sur la vie politique européenne.

Lorrain de Saint Affrique : "Sacrifier", Bruno Gollnisch maîtrise les codes du langage frontiste : qu’est-ce qu’un sacrifice ? "Le mot désigne une offrande à une ou plusieurs divinités ; il désigne aussi le fait de détruire ou laisser détruire stratégiquement une partie d’un ensemble en vue d’un objectif global jugé plus important". Voilà pour les définitions, reste à identifier la ou les divinités, et l’objectif global.

Gollnisch traduit bien la pensée de Jean-Marie Le Pen : il ne peut s’agir, suggère-t-il, que d’un ralliement à tout ou partie du système, un gage en réponse aux exigences de futurs partenaires toujours plus gourmands en signe d’une repentance qui ne dirait pas trop ouvertement son nom.

Marine Le Pen le répète souvent, un parti politique n’est à ses yeux qu’un instrument qui, rendu performant, doit servir une cause supérieure. Les cadres historiques du FN, président-fondateur en tête, développaient une conception différente, plus humaine, plus affective, plus romanesque du militantisme. Que reste-t-il de cet élan initial chez les adhérents et sympathisants actuels alimentés par le discours technocratique et pragmatique en vogue, et qu’incarne Florian Philippot ? Ceux qui ont préparé l’exclusion pure et simple du "menhir" font le pari que les sentiments seront vite balayés, que les nouveaux électeurs attirés par l’offre mariniste répondent à des pulsions nouvelles, débranchées de l’histoire "révolue" de la droite nationale, une histoire dont il faudrait faire table rase. On a beaucoup parlé et beaucoup écrit sur la notion de parricide depuis que Marine Le Pen s’emploie à étouffer son vieux père avec un coussin symbolique : jusqu’à présent, les enquêtes ne montrent qu’une légère érosion de son image ; j’ai du mal à croire que si la crise perdure, et elle perdurera, cette détérioration n’aura pas de conséquences électorales négatives, dès les élections régionales de décembre prochain, du Nord au Sud, et d’Est en Ouest.

Fin juillet, à travers un vote, 94 % des adhérents du Front national approuvait les nouveaux statuts de leur parti, supprimant ainsi la présidence d'honneur. Entre le clan Philippot, soutenu par la présidente du parti, et celui incarné par Jean-Marie Le Pen avec Bruno Gollnisch, quel est celui qui pèse le plus au sein des militants FN ? Et des simples sympathisants du parti ?

Lorrain de Saint Affrique : Quelles informations contenaient le code-barres figurant sur chaque bulletin de vote lors de ce scrutin invalidé par la justice ? Le chiffre de 94% est à la fois spectaculaire et trompeur : en fait, 55% des adhérents ont renvoyé un bulletin conforme aux souhaits de la direction du FN, 45% se sont abstenus ou ont voté contre. Dans l’immédiat, la crise provoque désarroi et démotivation à la base. Malgré les vacances, d’importants adversaires concurrents du Front National mènent des campagnes très actives : regardez l’activisme de Xavier Bertrand, dans la région Nord-Pas-de-Calais Picardie. Pendant ce temps-là, au FN, les investitures sont en panne, et l’attentisme prévaut dans les fédérations. Sans parler des purges qui se préparent ; comment imaginer, dans ces conditions, que les universités d’été prévues à Marseille les 5 et 6 septembre se tiendront dans une ambiance de dynamisme et d’unité ? Ne risque-t-on de retrouver une atmosphère du même genre que celle du 1er Mai, que Marine Le Pen n’oubliera pas de sitôt ?

Le FN a toujours cherché à se démarquer des partis traditionnels, misant notamment sur le fait que les luttes de pouvoir n'existaient pas, avec la figure d'un chef de parti puissant et rassembleur. Ce conflit familial marque-t-il une rupture pour le parti ? Peut-on imaginer un avant et un après et quel forme cela prendrait-il ?

Vincent Tournier : Ce n’est pas la première fois que le FN traverse des moments de forte tension. Le clivage avec Bruno Mégret, qui s’est terminé par l’exclusion de ce dernier, était au moins aussi intense qu’aujourd’hui. Saut que, à l’époque, Jean-Marie Le Pen avait gagné, alors qu’aujourd’hui, il est vaincu, même s’il essaie de retarder l’échéance.

Le conflit actuel est-il le signe d’une certaine banalisation du FN ? On peut en douter car, dans aucun autre parti, les questions familiales ne viennent conditionner à ce point les clivages internes.

Mais les choses vont changer dans les années à venir. Marine Le Pen va vraisemblablement réussir à s’imposer mais elle ne bénéficiera pas de la même légitimité que son père. La légitimité de la fille n’est pas ancrée dans l’Histoire, elle ne repose pas sur la dimension sacrée du chef, ou sur la crainte qu’il inspire ; elle est de nature plus contractuelle, notamment sur la promesse d’une efficacité accrue. En somme, elle met en avant sa capacité à faire progresser le parti. Elle dit aux militants et aux cadres : "avec moi, nous allons faire mieux". Pour l’instant, les succès sont au rendez-vous et les militants la suivent, comme le montre le soutien massif qu’elle a reçu lors du référendum interne (interrompu par la justice) concernant l’exclusion de son père. Mais cette légitimité est plus fragile, elle peut se retourner. Qu’adviendra-t-il si les résultats électoraux baissent ? Une partie de l’appareil risque de se détourner d’elle pour miser sur un autre cheval. C’est tout le problème avec des gens qui viennent dans l’espoir d’obtenir quelque chose : ils se comportent aussi en consommateurs.

Lorrain de Saint Affrique : Malgré une autorité sans partage, Jean-Marie Le Pen n’a pas non plus été épargné par les tempêtes internes, la plus récente à l’initiative de Bruno Megret en 1999. Mais la situation d’aujourd’hui est différente : c’est le cœur du réacteur qu’on veut transplanter, "désinstaller". Je cite Marine Le Pen : "Jean-Marie Le Pen n’est pas un président du Front National, il est le seul président que le Front National ait connu" ; pendant presque 40 ans, jusqu’en 2011. Pareille rupture resterait sans conséquence ? D’abord, les procédures vont s’éterniser : il n’est en effet pas sûr que la présidence d’honneur puisse être légalement révoquée, et tant que cette révocation n’est pas jugée, en bonne et due forme, valide et définitive, Jean-Marie Le Pen en revendiquera et en assumera à coup sûr les prérogatives statutaires. Ensuite, si exclusion il y a, rien ne l’empêchera, pour assurer la représentation de son courant politique, d’être la cheville ouvrière d’un mouvement capable de porter une candidature à la présidentielle de 2017. Ceux qui disent que la page est tournée parlent peut-être un peu vite ; et Madame Le Pen se souvenir qu’en 2002, il n’a manqué que 180.000 voix à Lionel Jospin pour atteindre le second tour.

Comment se positionne Marion Maréchal Le Pen à travers tous ces conflits internes au parti ?

Lorrain de Saint Affrique : Elle a employé des mots pas très heureux, parlant de honte et de dommage collatéral. De fait, c’est dans la région où elle est candidate que l’opposition à la ligne Philippot-Marine Le Pen est la plus vive, la plus démonstrative. On l’a sentie en retrait, cherchant à éviter les balles perdues, résignée. La figure montante se fait figure stagnante. Et sa communication connaît des ratés surprenants ; ainsi, quand elle a comparé la réforme protestante en Provence à l’occupation allemande, faute qu’une lettre d’excuses tarabiscotées n’aura pas enterrée. Dans l’immédiat, de mon point de vue, elle ne se comporte pas encore comme quelqu’un qui comprend la fonction à laquelle elle aspire, alors qu’à l’Assemblée elle avait pris un bon départ. 

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