Ce que l’étrange communiqué de presse récent de Daech qui vise uniquement et seulement le Qatar dit des guerres "proxi" à venir<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Terrorisme
Ce que l’étrange communiqué de presse récent de Daech qui vise uniquement et seulement le Qatar dit des guerres "proxi" à venir
©REUTERS/Stringer

Nouvelles cibles

Le porte-parole de l’Etat islamique, Abou Hamza El Kourachi, aurait proféré pour la première fois, et au nom de l’organisation, une série de menaces à l’encontre du Qatar. Sébastien Boussois revient sur ce fait inédit.

Sébastien  Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois est Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et consultant de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism). Il est l'auteur de Pays du Golfe les dessous d’une crise mondiale (Armand Colin, 2019), de Sauver la mer Morte, un enjeu pour la paix au Proche-Orient ? (Armand Colin) et Daech, la suite (éditions de l'Aube).

Voir la bio »

Dans un bien curieux communiqué de presse publié via Telegram, le porte-parole de l’EI, Abou Hamza El Kourachi, proférait pour la première fois, en le nom de l’organisation, une série de menaces à l’encontre du Qatar. Fait inédit qui suscite réflexion. En effet, en mauvaise posture actuellement, et alors que l’on annonçait une hypothétique arrestation du successeur d’Al Baghdadi il y a une semaine, Daech revient en force par la voie des réseaux sociaux pour se fixer sur un nouvel ennemi. Profitant également du contexte de déstabilisation mondiale liée à la pandémie de nouveau Coronavirus, c’est un bon moyen aussi de marquer des points, d’avancer des pions et de profiter de l’attention détournée de ses détracteurs. Mais pourquoi subitement concentrer sa haine sur Doha en particulier ?

Relayé rapidement par l’AFP et différents médias comme l’Orient le Jour, le contenu de la vidéo de près de 40 minutes est pourtant assez surprenant et pose question. Accusé d’avoir apporté son soutien dans la lutte contre les djihadistes, ce qu’il fait de longue date, l’émirat du Qatar l’a pourtant fait dans le cadre d’une coalition internationale pilotée avant tout par l’Arabie Saoudite. Ce qui est étrange, c’est de concentrer l’ensemble de ses critiques sur Doha alors que Riyad, Abu Dhabi, Washington, Londres, Paris entre autres, s’y sont employés d’un point de vue logistique de manière bien plus importante de par leur puissance militaire. Or, à aucun moment, ces dernières ne sont visées cette fois. Et si, au vu d’un communiqué des djihadistes peu habituel et suspect, tout cela n’était qu’une nouvelle stratégie de l’Arabie Saoudite ( et des Emirats arabes unis habitués de ce genre de stratégie) pour tenter de déclencher une guerre contre le Qatar, en instrumentalisant Daech, qu’elle n’arrive pas à faire plier depuis trois ans et le déclenchement du blocus?

Cela en dit long sur l’évolution des modes opératoires de pression en temps de crise entre États depuis des années. Il est clair que les guerres par procuration (« proxi ») deviendront de plus en plus la matrice des conflits à venir, tant les affrontements directs sont de plus en plus coûteux et souvent insuffisants pour parvenir à ses fins. Il suffit de voir la guerre menée depuis cinq ans au Yémen contre les Houthis, soutenus par l’Iran, par les Saoudiens et les Emiratis pour s’en convaincre. Agiter les uns pour les retourner contre les autres à distance et sans se mouiller directement est pourtant une vieille méthode mais qui revient en force sur le devant de la scène au jourd’hui: ce que les chercheurs Andreas Krieg et Jean-Marc Rickli décrivent très bien dans leur ouvrage « The Surrogate Warfare: the transformation of War in the XXIst century » (Georgetown University Press, Londres, 2019).

Il faut revenir sur les différentes accusations du moment de l’Etat islamique contre Daech pour expliquer ce doute sur les véritables intentions du porte-parole de l’organisation EI. Jusque-là, Riyad concentrait bon nombre des critiques de la part de ses leaders, mais là plus rien. Qui a pu influencer l’organisation ? L’attaque verbale numéro un vise la base qatarie d’Al-Oudeid, qui il est vrai a servi à bon nombre d’opérations militaires aériennes de la coalition à destination de l’Irak et de la Syrie depuis 2014. La base militaire accueille près de 10 000 GI’s américains, en faisant la seconde plus grosse base américaine au monde hors-sol, mais aussi des Britanniques de la RAF, des Français, des Turcs. Si la base est l’outil d’indépendance numéro des Qataris, elle n’est pas un pur produit national mais un outil de lutte active contre les djihadistes dans la région. Mais ce n’est pas tout : El Kourachi affirme qu’il n’oubliera jamais le soutien apporté par le Qatar aux milices du groupe Sahwat en Irak financées pour lutter contre Daech et en Syrie pour lutter contre ISIS. Alors que le Qatar s’évertue à essayer de conclure depuis des mois un accord final avec les Talibans et les USA, et que malgré tout cela Riyad l’accuse toujours de soutenir « le terrorisme », Doha cherche à se poser en médiateur incontournable des crises majeures dans la région jusqu’en Asie centrale. Mais pour Daech,  le Qatar n’est là que pour soi-disant soutenir les Frères musulmans qu’il qualifie dans son communiqué d’apostats : une perception commune avec l’Arabie Saoudite. Habituellement, dans cette croisade mondiale que tente de mener l’Etat islamique, les communicants de l’organisation s’en prennent aussi à l’Iran ou à la Turquie, mais ici dans ce document, il n’en est quasiment pas fait mention. Les ennemis ne manquent pourtant pas. Ce qui permet sérieusement de douter sur l’objectif final d’une telle communication, alors que la région va commémorer trois ans de blocage total du Conseil de Coopération du Golfe depuis l’isolement décidé unilatéralement par deux de ses membres, à un moment où l’organisation pouvait disposer d’un véritable poids pour maintenir la sécurité avant tout dans la région, et contribuer de manière coordonnée à l’élimination définitive de Daech sur son sol.  Entre multiplication des fake news, comme la rumeur de tentative de coup d’Etat au Qatar récemment, jusqu’à l’exploitation potentielle d’alliances contre-nature (Arabie Saoudite et Daech) pour venir à bout de son principal concurrent régional, l’Arabie Saoudite est devenue depuis des années, au nom de son leadership et pour satisfaire les ambitions démesurées de son prince héritier MBS, un des facteurs majeurs de la déstabilisation régionale.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !