Ce que l’échec de la cryptomonnaie de Facebook lui promet sur le front du métavers<!-- --> | Atlantico.fr
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Le directeur général de l'association Libra, Bertrand Perez, donne une conférence sur le projet de crypto-monnaie lancé par Facebook à Genève, le 26 septembre 2019.
Le directeur général de l'association Libra, Bertrand Perez, donne une conférence sur le projet de crypto-monnaie lancé par Facebook à Genève, le 26 septembre 2019.
©FABRICE COFFRINI / AFP

Diem (Libra)

Meta (Facebook) met officiellement fin à son projet de monnaie numérique Diem. L'association qui portait le projet, lancé en 2019, va vendre ses droits de propriété intellectuelle. L'opposition des régulateurs et des banques au projet étaient trop fortes.

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Méta (Facebook) renonce définitivement à son projet de monnaie virtuelle Diem (ex-Libra). Etait-ce que prévisible ? À quoi est dû cet échec ?

Fabrice Epelboin : Ce n’était pas prévu car cet échec est dû à la réaction des banques centrales, celles-ci ayant eu peur. Elles ont considéré que la menace était réelle et que si Facebook s’attaquait au coeur de la souveraineté, un univers extrêmement dystopique se rapprochait de nous. Une multitude d’autorités se sont dit que les cryptomonnaies étaient compliquées et remettaient de nombreuses choses en question alors quand elles ont vu une puissance financière de la taille de Facebook s’y mettre, elles ont compris qu’elles risquaient leur peau. Ils ont donc mis fin au projet en brandissant des menaces de régulation et même Facebook avec toute sa puissance n’a pas pu s’opposer à des États.

Peut-on considérer la cryptomonnaie de Facebook comme un projet définitivement mort ?

Absolument pas. Tant que Facebook existe on peut supposer que ce projet peut réapparaître. Cette tentative a échoué, mais il est vraisemblable que la société revienne à l’assaut avec quelque chose d’autre notamment pour monétiser à l’intérieur de leur prochain métavers.

Cela représente-t-il un réel manque à gagner pour Facebook ?

Il est énorme. Il faut comprendre que la meilleure façon pour Facebook d’arriver dans les cryptomonnaies se fait par ses messageries instantanées comme WhatsApp. Notamment via un type d’économie comme les transferts Nord-Sud entre une diaspora et leur proches restés au pays. Cette population n’est pas "banquarisée" et peut passer du jour au lendemain au Wallet. Les transferts entre le Nord et le Sud sont gigantesques et ils ont été affectés par les messageries instantanées. On est passé d’un monde où les travailleurs immigrés économisaient péniblement et renvoyaient dans leur pays d’origine de façon ponctuelle des grosses sommes pour qu’elles soient distribuées dans le pays d’origine à un mode où l’on envoie de petites sommes régulièrement au fur et à mesure des besoins.

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La fonction qui consiste à distribuer des petites sommes va être assumée directement par la personne qui gagne les sous dans l’hémisphère Nord. Auparavant, il y avait besoin d’un relai local qui s’assurait d’acheter les biens. Aujourd’hui, c’est le premier acteur qui gère cela. Si demain, on lui met un outil qui lui permet de dépenser cet argent de manière beaucoup plus granulaire il va évidemment l’utiliser. À l’heure actuelle, les seules solutions qui s’offrent à lui sont des services comme Western Union avec des commissions extravagantes.

Il y a un gros enjeu de « banquarisation » de la population. Si l’on prend un pays comme le Salvador qui a récemment émis l’idée de faire un emprunt souverain d’un milliard pour se payer une infrastructure Bitcoin, l’idée est de banquariser sa population. Cette dernière pourrait directement passer à un Wallet de cryptomonnaie sans passer par une banque classique, inatteignable à cause de ses revenus. La banquarisation de sa population est l’intention du Salvador.

Si Facebook avait mené son projet à terme, cela aurait pu devenir la plus grosse banque de la planète.

Au vu des différents échecs de Facebook par le passé, y aurait-il des problèmes de développement des softwares dans l’entreprise ?

Pas plus qu’ailleurs. Toutes les grosses entreprises au-delà d’une certaine taille ne sont pas compatibles avec l’innovation. La raison est simple : si l’on est ingénieur chez Facebook et que l’on a une idée géniale, on va quitter Facebook pour faire sa propre start-up. Un employé en interne va travailler sur des projets déjà existants. Pour pallier ce problème, elles ont tendance à acheter l’innovation à l’extérieur.

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À quel point l’échec de Facebook sur les cryptomonnaies peut être une menace ou un indicateur sur le métavers ? Est-ce qu’il y a des conséquences directes ?

On doit distinguer le métavers des cryptomonnaies. Il s’agit de deux choses différentes, même si on a tendance à regrouper tout cela sous l’appellation Web 3.0. D’un côté, on a cette proposition d’univers virtuel pour demain qui va permettre de faire de nombreuses choses et aura besoin d’une monnaie d’échange et de l’autre côté les cryptomonnaies. Elles sont en place depuis plus de dix ans avec de nombreux projets qui fonctionnent très bien.

Pour développer leur métavers, cela ne va pas être évident pour Facebook. Ils ont certes des moyens considérables, mais ils n’ont pas le dynamisme d’une start-up. Il s’agit d’un sacré challenge.

À propos des cryptomonnaies, si demain un géant du numérique lance sa propre cryptomonnaie cela provoquera la même réaction des autorités et des institutions. Si demain on lance personnellement sa propre cryptomonnaie et sa propre blockchain, on va passer sous le radar pendant un bout de temps avant que l’on provoque des interrogation à ce propos. Les grands géants qui voudront lancer leur propre cryptomonnaie rencontreront eux des difficultés.

À l’avenir, Facebook pourrait-il avoir les mains libres pour acheter les start-up qu’il lui faut pour créer son métavers ?

Chez Facebook, ils n’ont déjà plus les mains libres. On a vu cela quand ils ont acheté Giphy. On lui a mis des bâtons dans les roues et un régulateur britannique lui a ordonné de vendre la société peu de temps après l’acquisition. La dernière fois qu’ils ont été libres de faire une acquisition c’était WhatsApp et ils ont menti à la Commission européenne pour la faire. Ils avaient promis que WhatsApp et Facebook ne serait jamais reliés, mais clairement ils se sont assis sur leur promesse. À partir du moment où on ment à une institution comme la Commission européenne, ils ont perdu la confiance.

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Chaque fois que Facebook va vouloir acquérir une grosse start-up. Ils vont se retrouver face au régulateur qui va tout faire pour éviter que l’entreprise devienne plus puissante qu’elle ne l’est déjà.

Les régulateurs sont-ils assez puissants pour empêcher Facebook d’acheter les start-up ?

Le régulateur américain oui et il restera encore puissant. Je suis moins optimiste pour le régulateur européen. Il commence à infliger des amendes à Facebook et à Google d’un montant conséquent, mais pour ce qui est d’empêcher des acquisitions, il s’agit du ressort du régulateur américain. Avec un gouvernement démocrate tel que celui de Biden, le régulateur américain sait que la survie de notre démocratie est en jeu car elle peut être mise à mort par une technologie sociale telle que Facebook.

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