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Ce “petit” problème qui explique que le gouvernement de Stockholm fasse grise mine dans les sondages alors que la Suède n’est jamais allée aussi bien économiquement
©JOHAN NILSSON / TT NEWS AGENCY / AFP

It's not the economy, stupid.

Croissance économique, taux d'emploi record, dette au plus bas... et immigration record : le gouvernement suédois n'est pas serein, à quelques mois des prochaines élections, malgré ses succès économiques.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Dans un contexte de forte croissance économique, de taux d'emploi record, et d'un niveau de dette au plus bas depuis les années 70, le gouvernement suédois aurait du aborder sereinement les prochaines élections prévues pour ce mois de septembre. Pourtant, les socio-démocrates suédois n'affichent qu'un support de la population que de l'ordre de 24%, contre 31% lors du scrutin de 2014. Une situation qui pourrait s'expliquer par la première problématique désignée par les Suédois, l'immigration. Dans quelle mesure la phrase employée lors de la campagne électorale de Bill Clinton, en 1992 "It's the economy, stupid" laissant entendre que l'économie serait la clé électorale, ne s'appliquerait pas à l'Europe actuelle ?

Edouard Husson : Bill Clinton n’a gagné l’élection de 1992 que parce que George Bush senior avait été incapable de dissuader Ross Perot de se présenter en tant qu’indépendant. A vrai dire, rares sont les élections qui se jouent sur l’économie. La défaite de Giscard en 1981? Ce n’est même pas sûr car on observe avant tout de mauvais reports à droite; une partie des électeurs gaullistes reprochaient au président sortant d’avoir mené, en partie, une politique de gauche et d’avoir abandonné la souveraineté nationale. Il n’est donc au fond pas très étonnant que les élections suédoises ne se jouent pas sur l’économie. On ajoutera que l’afflux d’immigrés, plus de 500 000, pour une population de 10 millions d’habitants, à peine plus grosse que l’Autriche, est une proportion bien plus importante que ce qui s’est passé en Allemagne, qui a accueilli un peu plus d’un million de migrants avec une population de 80 millions. La Suède a porté la même politique que Madame Merkel, mais en la poussant encore plus loin. Si l’on reprend les catégories d’analyse par les structures familiales qu’utilise Emmanuel Todd, on remarquera que la Suède et l’Allemagne, deux sociétés de famille souche (fond anthropologique autoritaire et inégalitaire) sont paradoxalement les sociétés européennes qui ont le plus largement ouvert la porte à l’immigration depuis le début de la décennie. Et, dans les deux pays, la social-démocratie tend vers les 20% parce qu’elle ne défend plus les classes populaires et leur accès à l’emploi et à la sécurité sociale face à l’afflux d’une main d’oeuvre étrangère qui est prête à accepter de très bas salaires pourvu qu’elle bénéficie des prestations sociales.

De la crise économique de 2008 à la crise migratoire de 2015, plusieurs nouveaux mouvements européens ont pu voir le jour, du mouvement 5 étoiles italien à l'AfD allemand. Quelles sont les différences de dynamiques à l'oeuvre ? Ne peut on pas voir finalement une forme de convergence entre ces deux types de contestation, notamment au travers de l'alliance pourtant improbable ayant eu lieu en Italie ?

Partout l’Europe est confrontée au même débat. Il porte sur l’Europe, désormais plus que sur la mondialisation. Cette dernière, en effet, change largement de nature: au moment où la Chine s’oriente vers un durcissement semi-totalitaire du parti communiste au pouvoir; où l’Inde a un président nationaliste; où les Etats-Unis tâtonnent, avec Trump, pour inventer un nouveau conservatisme; l’Europe, elle, entre dans une division profonde: les élites libérales au pouvoir depuis trois décennies se trouvent confrontées à la montée de populismes de droite et de gauche mais aussi aux premiers balbutiements d’un conservatisme dont le territoire de l’ancien Empire austro-hongrois représente le laboratoire. Partout, la démocratie tend à faire réémerger la question de la souveraineté nationale. La poussée est en fait partout aussi forte mais les systèmes politiques permettent plus ou moins son expression. Vieille nation qui cultive jalousement sa liberté, la Grande-Bretagne a non seulement voté le Brexit mais réussit à mettre en place un gouvernement conservateur réussissant Brexiters et Remainers pour trouver une traduction politique du vote majoritaire. Les nations d’Europe centrale, qui ont encore le souvenir cuisant d’une domination totalitaire, sont encore plus claires que la Grande-Bretagne dans leur choix conservateur. A l’autre bout du spectre, la technocratie dirigeante française a réussi, jusqu’à maintenant, à neutraliser la poussée démocratique, à la repousser aux extrêmes du spectre politique. Le contraste est particulièrement marqué avec l’Italie, qui ne possède aucun équivalent de notre énarchie et dont les populismes de droite et de gauche ont décidé de s’unir pour constituer un gouvernement.

Comment anticiper l'avenir européen sur une telle base ?

Il y a deux façons de lire la carte de l’Europe actuelle. La première consiste à opposer un coeur politique essentiellement constitué du noyau d’origine de la Communauté européenne, et qui tient jusqu’à maintenant les rênes de l’Union Européenne; et une périphérie de plus en plus rétive à l’intégration selon les critères définis à Paris, Berlin et Bruxelles: la Grande-Bretagne, l’Europe méditerranéenne, l’Europe centrale et orientale supportent de moins en moins « l’Europe de Bruxelles » ou « le moteur franco-allemand ». La  possibilité d’un basculement de la Suède ne fait que rendre plus évident le lâchage du centre par la périphérie. Le cas de l’Italie est passionnant car elle fait partie, à l’origine, du noyau politique et elle vient de le quitter spectaculairement. L’Italie rentre aussi dans une deuxième lecture de la carte de l’Europe actuelle: le clivage de plus en plus évident entre nord et sud: depuis le début de la crise économique et financière voici dix ans, la façade méditerranéenne de l’Europe subit à la fois l’inadéquation de l’Union économique et monétaire à la diversité européenne et l’incapacité des procédures issues des accords de Schengen à faire face à la poussée migratoire qui transite par la Méditerranée. C’est pour cette raison que le basculement italien inquiète autant Bruxelles, qui ne sait pas comment s’y prendre: un pays du coeur communautaire évidemment traversé par la ligne de faille Nord/Sud de l’Europe: la crise de l’Union pourra-t-elle être maîtrisée?

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