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Cardinal Robert Sarah : “Ceux qui veulent m’opposer au Pape perdent leur temps et leurs propos ne sont que le paravent qui masque leur propre opposition au Saint-Père”
©ALBERTO PIZZOLI / AFP

Grand entretien

Alors qu’est publié son livre Le soir baisse et déjà le soir approche (Fayard), le Cardinal Robert Sarah aborde frontalement les crises auxquelles est confrontée l’Eglise. Scandales de pédophilie, crise des vocations, trouble théologique et moral, tensions entre progressistes et conservateurs, le préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements (équivalent d’un ministère du Vatican) ne mâche pas ses mots. Deuxième et dernière partie.

Cardinal Robert Sarah

Cardinal Robert Sarah

Robert Sarah est un cardinal catholique guinéen, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements depuis 2014. Il était auparavant Président du Conseil pontifical Cor unum.

Le 25 février 2015, il a publié chez Fayard Dieu ou rien, entretien sur la foi, un livre d'entretien réalisé avec l'écrivain Nicolas Diat.

Le cardinal Sarah est présent sur Twitter : @Card_R_Sarah

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Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Première partie de l'entretien : ICI

Jean-Sébastien Ferjou : Eminence, vous écrivez dans votre livre que notre monde va mal et vous décrivez beaucoup de crises : que ce soit les crises qui concernent l'Eglise elle-même, la crise du sacerdoce, la crise de la théologie morale, la crise du célibat, mais aussi les crises de l'Occident, de l'homme occidental… D’où vient ce mal qui nous ronge ? 

Cardinal Robert Sarah : Lorsque nous écoutons les informations, nous avons l’impression que le mal et les scandales inondent le monde. Nous sommes dans une situation que je qualifierai presque d'unique dans l'histoire. Bien sûr, le fait que les médias diffusent rapidement et à grande échelle ce qui se passe jusque dans les coins les plus reculés du monde accentue cette perception. Néanmoins, je pense que si on parcourt l'histoire, on se rend compte que ce que nous vivons aujourd'hui est véritablement inédit. Je ne suis pas le seul à le dire. Benoit XVI, juste avant son élection au Siège de Pierre, en 2005, avait dit que l'Occident traversait une crise qui ne s'est jamais vérifiée dans l’histoire de l’humanité. 
Comme vous le soulignez dans votre question, dans mes échanges avec Nicolas Diat, je passe en revue les crises de l'Eglise : on a l'impression que celle-ci n'a plus de doctrine sûre, qu'elle n'a plus un enseignement moral sûr. L’enseignement de l’Eglise semble aujourd’hui se faner et devenir incertain et liquide. Croyons-nous  encore que la Bible est révélée ? Notre attitude à l’égard de Dieu a profondément changé. Dans l’Eglise, Dieu est-il encore considéré comme une personne qui cherche à nouer une relation intime et personnelle avec chacun de nous ? Ou n’est-il plus qu’une idée, un être très lointain ? Le cœur de notre foi réside dans l'Incarnation de Dieu, qui est proche de nous. Nous pouvons le voir de nos yeux, le toucher de nos mains. Il y a Jésus-Christ, et le Père, qui dans la Très Sainte Trinité ne font qu’un avec le Saint-Esprit. Avons-nous encore vraiment cette foi pour laquelle tant de martyrs ont donné leur vie ? 
La crise est aussi présente au niveau du sacerdoce. Incontestablement, il y a eu des moments dans l’histoire où la vie des prêtres n’était pas exemplaire. Leur vie ne rayonnait pas l’Evangile, ni la sainteté de Dieu. Et l’Eglise tolérait un véritable laisser-aller sur le plan moral. Mais il s’est toujours dressé des figures comme saint François d’Assise pour la redresser en optant pour la radicalité de l'Evangile, c’est-à-dire l'Evangile dans sa nudité et sa totalité. Il y a eu aussi le Curé d’Ars : un homme de prière et de pénitence, car le démon s’acharne contre le sacerdoce et, souvent, on ne peut le chasser, loin de nous, que par la prière, le jeûne et un profond désir et volonté de conversion. Mais, ce qui se passe aujourd’hui est incroyable. On est d’obligé de reconnaître le péché grave et horrible des prêtres pédophiles. Un peu partout, des hommes qui devaient faire grandir les enfants dans la dignité et dans leur relation à Dieu, sont maintenant accusés d’avoir corrompu et détruit non seulement leur annonce, mais aussi le plus précieux de leur vie. D’autres prêtres déclarent avec fierté qu'ils sont homosexuels et qu'ils veulent contracter un "mariage" avec leur ami. Des évêques, des cardinaux sont mis en cause pour des abus sexuels sur des mineurs. Jamais, je pense, on a vu une telle horreur et une telle concentration du mal dans l’Eglise. L'Eglise est marquée par une grande crise morale, très douloureuse. 
L’Eglise est aussi marquée par une grande division au niveau de l’enseignement doctrinal et moral : un évêque dit une chose, un autre le contredit, une conférence épiscopale dit une chose, une autre dit le contraire… La confusion s’installe un peu partout, comme peut-être jamais auparavant. 
On entend désormais souvent dire que le célibat des prêtres est une réalité inhumaine, insupportable, qui ne peut être assumée et vécue sereinement. Et en même temps, le prêtre prétend être configuré au Christ ! Car le prêtre n'est pas seulement un alter Christus, un autre Christ, mais il est surtout ipse Christus, c'est-à-dire le Christ lui-même. Le prêtre prononce les mêmes paroles que Jésus lorsqu'il dit "Ceci est mon corps, ceci est mon sang". Il est configuré et identifié au Christ. Il est la présence physique et le plongement du Mystère du Christ sur la terre. Prolonger le Chris, cela n’est pas compatible avec la réalité d’une vie conjugale. On ne peut pas prétendre s'identifier au Christ et en même temps prétendre dissocier le célibat du sacerdoce. Pourtant, un mouvement dans cette direction travaille l’Eglise de l’intérieur. Le synode sur l'Amazonie d’octobre prochain prévoit, semble-t-il, d’aborder la question de l'ordination sacerdotale d’hommes mariés, les viri probati. J’espère vivement que cela ne se produira pas, et que l’Autorité Supérieure, le Pape, n’autorisera jamais une telle rupture avec l’histoire récente de l’Eglise.

Si le synode envisage de le faire, est-ce par volonté de faire évoluer le sens du sacerdoce ou plus prosaïquement par manque de prêtres…

Oui, par manque de prêtres, dit-on. Sauf que nous n’avons jamais manqué de prêtres ! Jésus-Christ a ordonné douze prêtres... pour le monde entier ! Pas mille, deux mille, trois mille, mais douze. Au VII siècle, déjà, le pape saint Grégoire le Grand disait : « Le monde est remplie de prêtres, mais on rencontre rarement un ouvrier dans la moisson de Dieu ; nous acceptons bien la fonction sacerdotale, mais nous ne faisons pas le travail de cette fonction ». Le vrai problème n’est pas de se situer pas au niveau du nombre, mais sur le plan de la foi, de la décision de ressembler au Christ.
Les douze prêtres choisis par Jésus ont bouleversé le monde entier par la force de leur foi, par la puissance irrésistible de leur zèle brûlant d’annoncer l’Evangile, et par leur martyre. La question du nombre est donc pour moi un argument qui n'a pas de sens. Si chaque diocèse de l'Amérique Latine donnait un prêtre pour l'Amazonie, il ne manquerait pas de prêtres en Amazonie. Il faut mettre en œuvre la solidarité. Il existe un certain nombre de pays qui ont encore beaucoup de prêtres ; chacun d’entre eux pourrait en envoyer un ou deux,  et tout irait bien. Le nombre trop restreint n’est donc qu’un alibi. En réalité, le démon se sert de cette revendication pour changer l’Eglise et ses ministres, pour les réduire à une dimension exclusivement terrestre, c’est-à-dire seulement humaine.
L'Eglise souffre de la tiédeur et de la mondanité du clergé, et donc d’un abandon sur des points essentiels de sa doctrine, des sacrements et de la morale.

Dans le livre, vous expliquez que ces abandons sont notamment attribuables au fait qu’une partie de l'Eglise s'est beaucoup adonnée à l'activisme social et que cela l’a amenée à renoncer à la radicalité de la foi…

Oui. On a cru qu'il fallait être dynamique, qu'il fallait à tout prix être actif, réaliser des projets plus ou moins sophistiqués, en bref d’être à l’image de notre société en perpétuel mouvement. En conséquence, on a abandonné Dieu, on a abandonné la prière, et certains prêtres sont devenus des « opérateurs sociaux ».

Vous insistez beaucoup sur la prière…

Bien sûr ! Car la prière est notre mission première. Le prêtre est fait pour se tenir constamment devant Dieu, pour être un pont entre Dieu et les hommes. Sa fonction primordiale, on l’oublie trop souvent, c'est la prière. Toute sa vie est une liturgie, un face à face avec Dieu. Après la prière, le prêtre doit également parler de Dieu, et donc annoncer l’Evangile du Salut. Mais avant de pouvoir parler de Dieu, il faut l’avoir rencontré personnellement dans le silence de la prière. Le prêtre doit faire comme le Christ, qui pendant trente ans n'a rien dit, mais a uniquement prié et travaillé de ses mains à Nazareth. Avant de commencer sa mission publique, Jésus s’est retiré quarante jours et quarante nuits dans le désert pour être uniquement, dans une intimité silencieuse, avec Dieu son Père. Et très souvent, lorsqu’il était avec ses disciples, il abandonnait la foule pour aller seul, dans le désert, et là, il priait pendant toute la nuit. 
Sans la prière, on ne peut rien. On est semblable à un fleuve coupé de sa source. Certes, le fleuve peut continuer à couler abondamment et majestueusement pendant un certain temps, mais après quelques années, il sera à sec. De même, un arbre aux proportions gigantesques, grand et fort, s’il est coupé de ses racines, meurt. Il en va de même pour le prêtre qui ne prie plus. Il est comme un cadavre vivant. Il marche, il court çà et là, il s’agite, mais sans porter de fruits. Il est nuisible et comme un poison mortel pour les âmes.
Dans l'Eglise, mais aussi au niveau de la société, on assiste à des changements terribles, et vraiment horribles dans certains domaines.

Ce qui est frappant dans votre livre, c’est que vous vous astreignez à une ligne de crête, à un propos en tension mais pas en contradiction : vous dénoncez sans ambigüités les dérives de l’Eglise mais vous dites aussi qu'il ne faut pas céder au démon de la division, que la division dans l'Eglise est l'œuvre du diable. Comment réussir à porter une parole forte, qui puisse réveiller les consciences, sans aller jusqu'à tomber dans les luttes politiques ? 

Jésus a dit : « Ma doctrine n’est pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé. Si quelqu’un veut faire sa volonté, il reconnaîtra si ma doctrine est de Dieu ou si je parle de moi-même » (Jn 7, 16). Le Christ n'a pas enseigné sa propre doctrine, mais celle du Père. Il n'est pas venu pour contredire les pharisiens ou les grands prêtres. Son rôle était de proclamer la Parole de Dieu, d’enseigner la doctrine de son Père, et rien d’autre. Pour ma part, je n’ai pas fait le choix de combattre ou de contredire quelqu'un. Je désire et veux uniquement dire la parole que j'ai reçue des missionnaires, la Parole de Jésus, et transmettre l’enseignement de l’Eglise. Je ne désire nullement me battre ou m'opposer à quelqu'un. Toutefois, vous me dites qu’en parlant ainsi, je créerais des divisions… au contraire, je veux contribuer à unifier l’Eglise dans sa foi pour qu’elle vive dans l’amour et la communion. Enseigner la doctrine, être fidèle à l’enseignement intangible de l’Eglise, c’est contribuer à créer la communion et l’unité de l’Eglise. Il est triste de voir une famille divisée.

Non, je vous demandais simplement comment tenir une position difficile. Un article du Figaro paru la semaine passée rebondissait sur vos propos sur l’immigration ou sur l’identité de l’Occident, très éloignés dans l’esprit de ceux tenus par le Pape lors de son voyage au Maroc, pour vous présenter comme un opposant à François. Cela correspond-il à une forme de réalité ? 

Tous ceux qui veulent m’opposer au Pape perdent leur temps et leurs énergies. Leurs propos sont du vent ou un paravent qui masque leur propre opposition au Saint-Père. Et, ici, je ne parle pas spécifiquement du Figaro. Affirmer que je m’oppose au Pape  est à la fois injuste et malhonnête. On a l’impression que, de nos jours, il est interdit de réfléchir. Pourquoi veut-on interdire à un Africain de réfléchir à une question aussi grave et l’opposer au Pape ? Nous devons tous creuser et approfondir ce phénomène tragique des migrations, au lieu de nous opposer les uns aux autres. Ma réflexion sur les migrations présente dans mon livre : Le soir approche et déjà le jour baisse, publié le 20 mars 2019, date de plus d’un an. Pourquoi l’opposer à celle du Pape ! Chacun s’exprime avec ses propres mots tout en assumant ses propos et sa responsabilité devant Dieu. De toute façon, jamais l’Eglise ne peut coopérer à cette nouvelle forme d’esclavage, de mépris de la dignité humaine. L’Occident déstabilise les pays pleins de ressources minières, crée le chaos et les guerres par les armes qu’il fabrique et qu’il troque pour s’emparer par la force et la corruption des richesses de ces pays. On fait semblant de faire la charité et d’accueillir ceux dont on a démoli le pays et la stabilité. Dieu et l’histoire nous révéleront un jour, la vérité de ce phénomène tragique et inédit.

Le livre s'ouvre sur le mystère de Judas et de la trahison. Certains considèrent que Judas était une sorte de mal nécessaire pour que le Seigneur souffre et offre sa passion aux hommes. Diriez-vous qu'aujourd'hui, certains –au sein de l’Eglise- seraient des sortes de Judas : des traîtres qui lui causent un grand tort mais dont la trahison pourrait provoquer le choc qui lui permette de se sauver ?

Je ne le crois pas. Le seul mal nécessaire, ou plutôt heureux, pour saint Augustin, est le péché originel, qui nous a valu le Sauveur. Je ne sais pas si Judas était nécessaire. Le Seigneur a  tenu des propos extrêmement sévères à son sujet : « Le Fils de l’Homme s’en va selon qu’il est écrit de lui, mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’Homme est livré ! Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître » (Mt 26, 24).  Ce qu'il a fait est horrible, parce qu’il avait été choisi par le Seigneur, et il avait donc été témoin de tout ce que Jésus avait fait. Il l'avait initié à la prière, dans la solitude, il avait reçu son enseignement, il lui avait ouvert le mystère du salut, mais Judas était fermé à cela. Ce qu'il aimait, c'était l'argent. Et saint Jean dit : "comme il tenait la bourse commune, il prenait pour lui ce que l’on y mettait". Je pense que Jésus a tout fait pour le sauver, même à Gethsémani, au Jardin des Oliviers. Le Seigneur lui a tendu encore la main en lui disant : "Mon ami, pourquoi es-tu là ? Ce que tu es venu faire, fais-le ".
Les grands prêtres auraient pu se saisir de Jésus en se servant de cette bande armée qu’eux-mêmes et les Anciens avaient envoyée. Ils auraient pu se passer de Judas. Celui-ci ne fut pas un mal nécessaire. Il reste que Jésus est très sévère à  son égard. 

Et il est vrai que, aujourd’hui,  nous tous pouvons être des Judas,  et aussi devenir des Pierre, celui qui a trahi par trois fois le Christ en disant : "Je ne connais pas cet homme". Nous le sommes lorsque nous renions Jésus, son Evangile, en voulant un Evangile « liquide », qui n’exige rien. 

Vous dites que l'Eglise a trop souvent cédé à la commodité.

Bien sûr. Et la facilité nous éloigne de Jésus parce que le Fils de l'Homme n'avait même pas où reposer sa tête. Ceux qui l'ont suivi d’une manière radicale, comme Pierre ou Paul, ont tout abandonné, laissé leur métier, leur famille… Mais, aujourd'hui, la plupart d'entre nous recherche l'argent, le pouvoir, la facilité, etc... Nous sommes tous un peu comme Judas. Parce que ce qui nous intéresse, c'est notre tranquillité et notre confort. Alors on n’ose plus rien dire, on renonce à la radicalité de la foi, on la noie dans un langage marqué par l’ambiguïté et la confusion, un langage expurgé de toute conviction et de toute exigence, ce qui nous évite d’être attaqué, pour qu'on nous laisse tranquilles.

Justement, les évêques de France se réunissaient il y a quelques jours. Dans votre livre, vous écrivez que « ni les embrassades ni le ghetto ne peuvent résoudre durablement pour le chrétien le problème du monde moderne ». Diriez-vous que certains évêques ont cédé à l'une ou l'autre des tentations que vous évoquiez – celle d'une trop grande facilité à embrasser le monde tel qu’il est ou celle du repli en ne cherchant plus à donner l'exemple de la sainteté ?

Je crois que Jésus a une parole très claire à ce sujet : "Vous êtes dans le monde, mais vous n’êtes pas du monde". Ceux qui sont attachés au Christ sont obligés d'être dans le monde, mais ils ne sont pas du monde. Nous devons à la fois montrer cette séparation, mais dire aussi que nous sommes porteurs d’un message pour le monde, que nous avons une lumière à proposer à ce monde, celui d’aujourd’hui qui est plongé dans les ténèbres du péché et de l’ignorance. Nous devons être le sel et la lumière pour illuminer le monde et lui donner le goût de vivre.
Dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, nous voyons que le monde marche dans les ténèbres. Nous, les chrétiens, nous sommes la "lumière du monde", nous sommes le "sel de la Terre". Donc, nous ne pouvons pas nous alignés sur le monde. Nous ne devons pas abandonner le monde mais le sauver, comme Jésus l'a fait. Nous rendons témoignage à la vérité en montrant que nous n’appartenons pas au monde. Nous sommes appelés à apporter la Lumière de Dieu, et donc conduire le monde vers Dieu, pour ne pas le laisser s’enfoncer dans son égoïsme, sa violence et ses ambitions. Même si le monde réalise parfois d’excellents projets. Toutefois, si ce que la personne humaine réalise est uniquement bon pour cette vie sur la terre, je ne pense pas qu'elle corresponde entièrement à sa vocation, qui est de vivre pleinement avec Dieu.

Vous dites que ce livre a vocation à réconcilier les chrétiens et les prêtres fidèles, ceux qui n'ont pas perdu de vue le message mais ont pu être décontenancés par les évolutions de ces dernières décennies. Trouvez-vous que le Pape ou d'autres prélats se soient parfois détournés de leur mission et de la fidélité à cette parole vraie ?

Mon intention est vraiment d'encourager les prêtres, qui sont souvent surchargés de travail, seuls et isolés. Quelquefois, ils ont même du mal à rencontrer leur évêque, ils sont dans une paroisse où les pratiquants sont peu nombreux, ce qui peut être décourageant. Je désire aussi encourager les évêques, dont la mission, aujourd’hui, est difficile, délicate, et requiert beaucoup d’amour, beaucoup de souffrances et de courage.
Aujourd'hui, il arrive que les prêtres soient pointés du doigt et qu’on leur dise : « tu es  un pédophile », ou « tu es homosexuel ». La semaine dernière, un religieux est venu d'Assise pour me saluer. En se promenant sur l’une des places de Rome avec trois autres franciscains, ils se sont tous fait traiter de pédophiles par des personnes qui avaient croisé leur chemin. Il m'a dit : « Sans rancœur, ni énervement, nous les avons bénis ». De fait, se fâcher pour cela n’en vaut pas la peine. Toutefois, pour beaucoup de prêtres, il est difficile de réagir de cette manière, en bénissant ceux qui les insultent : soit ils ont honte, soit ils pleurent… J'ai vraiment voulu les aider à demeurer sereins en toutes circonstances. 
On a chargé Jésus  de tous les péchés du monde ; il les a portés sur son dos avec sa croix. C’est pourquoi, je dis à tous ces prêtres qui souffrent : vous aussi, vous êtes appelés à porter sur votre dos tous les péchés du monde, avec Jésus : ne vous étonnez pas si certains vous accusent de pédophilie, de vénalité, d’avidité et de soif de pouvoir, d’homosexualité (d’après certaines enquêtes récentes, tous, évêques et prêtres, nous serions homosexuels, ce qui est complètement absurde et diffamatoire !)…

Un péché qu’on peut difficilement assimiler à une accusation gratuite n’est-il pas la non-dénonciation des crimes commis par quelques-uns au sein de l’Eglise ?

Bien sûr. Mais vous savez, moi aussi j'ai été évêque diocésain. Et bien souvent, le dernier à savoir ce qui se passe dans son diocèse, c’est justement l'évêque. Pour de multiples raisons, on hésite à lui donner les informations qui blessent ou semblent se présenter comme des dénonciations.
Prenons le cas du Cardinal Barbarin. Je suis certain que ses actions n’étaient pas dictées par la volonté de cacher quelque chose, mais par la volonté de trouver une solution au très grave problème posé par un prêtre dont les actes sont absolument inacceptables. Ses prédécesseurs avaient certainement eux aussi cherché une solution. Mais pas selon les critères d’aujourd’hui. Il me semble qu’il ne faut pas juger la manière dont on résolvait hier ce genre de problèmes selon notre mentalité d'aujourd'hui. 
Les statistiques prouvent que dans les familles, les cas de pédophilie sont encore pires. Et on ne dit rien à ce sujet. On ignore tout simplement le drame. Et personne ne le dénonce ! Etrange !
Je veux vraiment encourager les prêtres, et aussi les laïcs, qui sont également désemparés, et leur dire que l'Eglise n'est pas en crise. Ce ne sont que quelques membres de l’Eglise qui sont en crise. En effet, l'Eglise est sainte, sans tache, ni ride, immaculée. Elle est notre Mère, issue des mains de Dieu, intacte. Seuls certains de ses membres, parfois même haut placés dans la hiérarchie, ternissent le visage de leur Mère, la sainte Eglise. 
Nous devons continuer à aimer l'Eglise, à nous comporter comme des enfants de notre Mère, la sainte Eglise. Il faut encourager les évêques, qui ont souvent peur aujourd'hui qu’on en vienne à découvrir quelque chose de gravement répréhensible dans leur diocèse, et que les médias s’acharnent à convaincre le public en affirmant : « Voilà ce que l’évêque a délibérément voulu vous cacher ».
Et je veux aussi leur dire que derrière ces diverses accusations, toutes les revendications ne sont pas justifiées. Certains ont le souci de la justice, et il est vrai que les membres de l’Eglise qui ont commis des fautes doivent répondre de leurs actes. Mais d’autres instrumentalisent les égarements d’une infime minorité dans le seul but de faire taire l'Eglise, de la contraindre à changer absolument et totalement sa doctrine et son enseignement moral. Mais la doctrine de l’Eglise n’est pas sa doctrine propre, c’est celle de Dieu. Et la doctrine de Dieu, personne au monde ne peut la modifier. Nous devons apprendre à vivre dans cette situation, c’est-à-dire à la fois que la justice soit rendue, sans pour autant ne rien céder sur la doctrine de l’Eglise. La Parole de l’Eglise n’est pas la sienne, mais celle de Dieu. Or, personne ne peut réduire Dieu au silence.

Vous parlez de ne pas vous renier, l’un des points essentiels de votre livre est justement la description de la menace qui plane sur l’Eglise avec la crise de la doctrine catholique et la crise de la théologie morale. Vous affirmez que quatre colonnes soutiennent l'unité de l'Eglise : la prière, la doctrine catholique, l'amour de Pierre et la charité mutuelle. Un certain nombre d'évêques, notamment américains, considèrent de ce point de vue-là que le pape François trahit la doctrine catholique. Au-delà des forces qui cherchent à faire taire l’Eglise de l’extérieur, que dites-vous de ses affaiblissements internes ?

Je pense qu’il est à la fois inconvenant, injuste et incorrect de parler ainsi du Pape. Nous devons tous nous examiner à ce sujet. De toute façon, une personne est incapable à elle seule de dénaturer l'Eglise. Mais si nous tous, nous trahissons, nous falsifions la Parole de Dieu pour nous accommoder au monde l'Eglise, alors c'est beaucoup plus grave. On peut comprendre, tout en s’opposant radicalement, qu’un évêque ou un cardinal trahisse l'Eglise par ses paroles et son comportement. Toutefois, les apôtres étaient douze, et tous n’ont pas trahi, ni livré le Seigneur. Un seul, Judas, l’a livré,  et un autre, Pierre, l’a trahi, lui qui a dit par trois fois : "Je ne connais pas cet homme".
Saint Jean se tenait au pied de la Croix avec la Vierge Marie. Voilà pourquoi j’estime que si, du fait de leurs comportements et de leurs paroles, des personnes haut placées dans la hiérarchie oublient ce qu'est l'Eglise, celle-ci n'est pas pour autant affaiblie. Saint Jean et la Vierge Marie étaient au pied de la Croix et beaucoup de femmes pieuses pleuraient non loin de la Croix, les autres avaient eu peur et s’étaient cachés. Il faut comprendre que l'âme humaine est marquée par la faiblesse et par la peur. Toutefois, on sait aussi que les Onze, après la résurrection de Jésus, ont repris courage. Ils ont publiquement annoncé le Seigneur et son Evangile. Que quelqu'un affaiblisse la doctrine ou l'enseignement de l'Eglise, cela relève de sa propre responsabilité. Mais nous devons savoir que personne ne peut dénaturer l'Eglise, car elle est le Corps mystique du Christ.

Est-ce la raison pour laquelle vous ne voulez pas vous laisser enfermer dans la figure d'opposant au pape François ?

 Ce sont uniquement ceux qui me connaissent par ouï-dire qui s’expriment de la sorte et cherchent à me poignarder dans le dos. Face à ces accusations ou ces soupçons à la fois injustes et fallacieux, je demeure serein. Ma réponse à votre question est donc claire : « Le Cardinal Sarah, un opposant au Pape ? Non, absolument pas, et cela vaut pour le passé, le présent et l’avenir. Quand j’ouvre la bouche ou quand j’écris, c’est pour dire ma foi en Jésus, ma fidélité à l’Evangile qui ne change pas d’un iota quelles que soient les circonstances, les périodes et les cultures.

Vous dites aussi que l'Eglise ne peut pas être une société moderne, une démocratie alors qu’on entend souvent, y compris chez des catholiques, que l'Eglise devrait être plus ouverte, qu’elle devrait plus s'adapter plus au monde. Qu'est-ce qui vous paraît dangereux dans cette attitude-là ?

C'est dangereux car cela revient à croire que l'Eglise est une réalité que nous avons nous-mêmes fabriquée, et que nous pourrions ou même devrions la changer et la transformer selon les circonstances, ou selon les votes ou l’opinion de la majorité. Mais l'Eglise ne nous appartient pas ! Elle nous vient de Dieu.

Les Protestants peuvent faire ce qu'ils veulent, c'est leur création, mais pas l'Eglise ?

L’Evangile selon Saint Matthieu dit clairement : "Tu es Pierre, et sur cette Pierre, je bâtirai mon Eglise". Nous ne bâtissons pas nous-mêmes l’Eglise, et nous n’avons pas le pouvoir de la modifier. L’Eglise, c’est Jésus qui la construit. Elle est le roc que nous sommes tous en tant que baptisés, que tous nous devons être. La démocratie n'y a pas de place. Dans l'Eglise, ce n'est pas le peuple qui décide. C'est Dieu qui décide. Elle appartient à Dieu. En outre, vous voyez bien comment fonctionne la démocratie : trop souvent, ce sont en fait quelques personnes puissantes financièrement et politiquement, qui dirigent la société. Les autres sont laissés de côté, voire abandonnés, entraînés à leur insu vers des décisions ou des orientations désastreuses.

Vous expliquez aussi que derrière les bonnes intentions de gens qui voudraient moderniser l'Eglise pour permettre de la sauver, il y a une sorte de faille de raisonnement : comme si ces mêmes personnes doutaient en fait de Dieu alors que la foi doit consister en une espérance et une forme d'abandon. Que son principe même est de se donner tout entier à Dieu y compris dans des circonstances difficiles…

Oui, il y a des personnes intelligentes qui veulent moderniser ou perfectionner l’Eglise, perfectionner le christianisme, le rendre plus moderne. Mais, on ne peut pas moderniser ou perfectionner l’Eglise. Comme l’a écrit Charles Péguy : « C’est un peu comme si on voulait perfectionner le nord, la direction du nord. Le malin qui voudrait perfectionner le nord. Le gros malin (…) Le nord est naturellement fixe, le christianisme est naturellement fixe. Ainsi, les points fixes ont été donnés une fois pour toutes dans l’un et l’autre monde, dans le monde naturel et dans le monde surnaturel, dans le monde physique et dans le monde mystique. Et tout le travail, tout l’effort est ensuite au contraire de les garder, de les tenir, loin de les améliorer au contraire ». Nous n’avons pas à moderniser l’Eglise. Elle est conduite  par la puissance de l’Esprit Saint et sous la vigilance de Pierre. Et ce que Dieu fait est saint, pur et parfaitement ordonné à réaliser son plan de Salut pour l’humanité. Je ne peux pas entreprendre une quelconque transformation de l’Eglise sans consulter Dieu, ce que je fais dans la prière. Dans la prière, je sais que ce n'est plus mon œuvre, que je dois suivre les inspirations venant de Dieu, et que celles-ci ne sont pas seulement celles d'aujourd'hui, mais de l'Eglise depuis son origine jusqu'à nos jours. L'Eglise n'a jamais été gouvernée par un peuple, mais par une hiérarchie. Au début, elle était constituée des douze apôtres dont l’un était Pierre. La seule et véritable transformation possible de l’Eglise, c’est qu’elle s’applique à mettre en pratique la Volonté de Dieu. Et la Volonté de Dieu, c’est que nous devenions des saints. Ainsi, dans l’Eglise, tous, qu’ils appartiennent à la hiérarchie ou qu’ils soient régis par elle, sont appelés à la sainteté (cf. Lumen Gentium, 39). C’est Dieu qui transforme l’Eglise en faisant de nous des saints comme lui-même est Saint. Comme l’écrit Georges Bernanos : « Mais sans les saints, moi je vous le dis, la chrétienté ne serait qu’un gigantesque amas de locomotives renversées, de wagons incendiés, de rails tordus et de ferrailles achevant de se rouiller sous la pluie. Aucun train ne circulerait plus depuis longtemps sur les voies envahies par l’herbe ».

Vous dites que l'Eglise a besoin d'une tête. Mais si cette tête, que ce soit le pape François ou un successeur éventuel amenait l'Eglise sur des chemins qui la détourneraient de ce qui est à vos yeux son message véritable, son message de Vérité, redoutez-vous que l'Eglise soit alors menacée de schisme ou de divisions qui mettent en péril son existence même ?

Il y a déjà eu des schismes, parce que certains, se croyant inspirés, ont voulu orienter l'Eglise dans une autre direction que celle qui lui avait été assignée par le Christ. Saint François d’Assise a vécu à une époque où la hiérarchie de l’Eglise et le clergé, mais aussi les fidèles chrétiens n’étaient pas des modèles de perfection. La mauvaise conduite d’un grand nombre donnait l’impression que l’Eglise était en train de s’écrouler. Et c’est à ce moment précis que le Christ a demandé à saint François de reconstruire son Eglise. Alors, pour entreprendre cette œuvre magnifique de reconstruction, saint François a opté pour la radicalité de l’Evangile vécu dans le quotidien de  son existence. 
François a d'abord cru qu'il fallait reconstruire la petite église en ruines de Saint-Damien à Assise, mais il s'agissait en réalité de l'Eglise universelle. Saint François aurait pu concevoir la réforme de l’Eglise à la manière de Luther, en sortant de l’Eglise et en la critiquant sévèrement, en abandonnant les sacrements qui sont des sources de grâces et en s’opposant au Pape. Il était tout autant scandalisé que Luther par les mœurs dépravées du clergé. Mais il a choisi de réformer l’Eglise en réformant sa propre vie, en se convertissant, en priant et en jeûnant, et en s’abandonnant totalement au Christ. Il a voulu ressembler absolument à Jésus, et le Seigneur l’a pris au mot en le marquant des mêmes stigmates, c’est-à-dire de ses plaies et des souffrances de sa Passion. On ne réforme l’Eglise qu’en souffrant avec le Christ et en mourant avec lui et pour lui.

Vous le répétez dans votre livre : ce ne sont pas les institutions qui sont en cause mais les hommes et ce qu'il y a dans leurs cœurs. Vous croyez par ailleurs beaucoup à la force de l’exemple. Le titre de votre livre renvoie à cela : "Le soir approche et déjà le jour baisse", citation de Saint Luc mais dont il manque le début : "Reste avec nous, le soir approche et déjà le jour baisse". Ce « reste avec nous » qui dans l’Evangile s’adresse à Jésus que les apôtres n’ont pas reconnu alors qu’ils le croisent sur la route d’Emmaüs après sa crucifixion, à qui s’adresse-t-il dans le cas de votre livre ? Qu'est-ce qui vous a inspiré cette citation en particulier ?

Cette phrase ne doit pas être isolée de son contexte. Il s’agit d’une longue catéchèse que l'Eglise a assumée avant de parvenir à cette étape qu’exprime cette phrase : "Reste avec nous, car le soir approche et le jour baisse". Je dirais que, dans la situation actuelle, nous avons l'impression, comme les disciples d'Emmaüs, que l’espérance a disparu comme un brasier dont il ne resterait que les cendres. L’épisode des disciples d’Emmaüs a lieu le soir de Pâques ; trois jours avant, le Christ avait été crucifié, il était mort, et il avait été enterré. Il semblait alors que toute espérance était vaine. C’est pourquoi les disciples d’Emmaüs, saisis par le découragement, éprouvaient une grande tristesse, et retournaient chez eux pour reprendre leur vie ordinaire comme si Jésus n’avait jamais existé.
Aujourd’hui, le Seigneur nous demande à nous aussi pourquoi nous sommes tristes. Il semble avoir disparu. De fait, Jésus n’est plus au centre de notre vie. Nous vivons comme si Jésus n’avait jamais existé. Sa parole n’oriente plus notre vie, notre travail, nos familles.
Selon Saint-Luc, les disciples d’Emmaüs dirent à l’homme qui leur demandait pourquoi ils éraient tristes : « Vous ne savez donc pas ce qui s'est passé à Jérusalem ? Celui que  nous considérions comme le Messie, ils l'ont tué, il est enterré depuis trois jours, et nous avons décidé de rentrer chez nous ». Alors, Jésus ouvrit leur esprit au sens des Ecritures, et à partir de l'Ancien Testament, il leur expliqua ce que les prophètes avaient annoncé. Nous aussi nous devons aujourd'hui reprendre cette catéchèse. Nous devons redécouvrir l'enseignement de l'Eglise. C’est là que le Christ se rend présent et révèle tout de lui-même.
Jésus a révélé à ses disciples que le Messie devait souffrir pour le Salut de l'humanité. En effet, quand on aime, on souffre. Il n'y a pas d'amour sans souffrance. La plus grande preuve d'amour, c'est de mourir pour les autres. Et le Messie, qui aime tous les hommes, a vécu jusqu’au bout cet amour suprême, celui de la Rédemption.  
Tandis que Jésus expliquait le sens des Saintes Ecritures en marchant à leurs côtés, les deux disciples l'écoutaient. Ils arrivèrent dans un village appelé Emmaüs. Jésus fit semblant de continuer sa route, mais les deux disciples lui demandèrent de rester avec eux, car il se faisait tard. Il accepta leur invitation. Et là, alors qu’il étaient à table, il répéta les gestes de la sainte Cène du Jeudi Saint : la très Sainte Eucharistie. Il prit le pain, le bénit, le rompit et le leur donna. Les disciples le reconnurent, mais il disparut à leurs yeux.
Nous avons tellement altéré l'Eucharistie, tellement défiguré la liturgie eucharistique, qu’elle est devenue trop souvent une sorte de spectacle, du théâtre, du folklore. On va même jusqu’à faire participer des personnes âgées, depuis une maison de retraite, à la messe des Rameaux en réalité virtuelle. Il n’y a donc aucun prêtre pour leur donner la joie d’une messe célébrée avec elles et pour elles, pour les préparer à cette rencontre non pas virtuelle, mais réelle avec Dieu. Si nous ne retrouvons pas l'enseignement de Jésus, de l'Ancien au Nouveau Testament, si nous ne recommençons pas à célébrer correctement et dignement la Sainte Eucharistie, nous n’avons aucune espérance de rencontrer de nouveau Jésus, de le reconnaître, et de sentir notre cœur brûler d’amour pour lui et pour notre mission d’évangélisation. 
Il faut que nous soyons comme les disciples d’Emmaüs, dont le cœur brûlait de l'enseignement de Jésus, que nous ne nous arrêtions pas pour nous reposer, mais que nous retournions le soir-même à Jérusalem pour recréer la communauté ecclésiale, pour reconstruire l’Eglise. Lorsqu’ils arrivèrent, ils dirent qu’ils avaient vu le Seigneur. Ceux qui les reçurent leur dirent qu'à Jérusalem aussi on avait vu le Seigneur ressuscité. Notre problème essentiel est que nous avons abandonné l'enseignement, que nous avons abandonné la liturgie. Il y a un adage qui dit: lex orandi, lex credendi : on croit de la même façon qu'on prie. En essayant de dissocier ces deux éléments, on provoque la crise de la foi, et aussi le désespoir dont nous souffrons à notre époque. En abîmant la liturgie et en dénaturant la doctrine, nous provoquons une terrible crise de l’Eglise et une grande désespérance du monde.

Justement, je me permets de vous soumettre quelque chose qui n'est pas vraiment très catholique. Je ne sais pas si vous connaissez Michel Houellebecq, qui est ce grand romancier français qui a beaucoup décrit le désespoir de l'homme dans nos sociétés contemporaines, la dépression de ceux qui se sentent abandonnés, perdus dans une société de marché où tout est marchandisé, les biens, les corps, le désir. Son dernier roman s'appelle Sérotonine. La Sérotonine est une hormone qui permet de fabriquer un médicament contre la dépression. Voici les derniers mots de son livre, que vous inspirent-ils ? 

"Dieu s'occupe de nous en réalité. Il pense à nous en chaque instant et il donne des directives parfois très précises. Ses élans d'amour qui affluent dans nos poitrines jusqu'à nous couper le souffle, ses illuminations, ses extases inexplicables si on considère notre nature biologique, notre statut de simple primate, sont des signes extrêmement clairs. Et je comprends aujourd'hui le point de vue du Christ, son agacement répété devant l'endurcissement des cœurs. Ils ont tous les signes, et ils n'en tiennent pas compte. Est-ce qu'il faut vraiment, en supplément, que je donne ma vie pour ces minables ? Est-ce qu'il faut vraiment être à ce point explicite ? Il semblerait que oui."

Il est évident que Dieu ne nous abandonne pas, qu'il est toujours avec nous, qu'il nous envoie des signes, qu'il nous parle. Ce que dit Michel Houellebecq est tout à fait vrai et peut être compris selon une acception catholique. Nous sommes les créatures de Dieu, des enfants bien-aimés de Dieu. Dieu nous aime comme un père. Et il utilise des moyens qui peuvent nous paraître étranges, pour nous parler, nous révéler des vérités, expliciter ce qu'il nous demande, veut et attend de nous. Mais nous sommes souvent aveugles. Nous avons des yeux, mais nous ne voyons pas. Nous avons des oreilles, mais nous n'entendons pas. Nous préférons prendre des antidépresseurs pour nous sentir moins seuls, mais nous ignorons l’amour de Dieu qui est déjà présent dans nos cœurs, sa présence si tendre et si attentive à nos souffrances, à l’image de celui que vous avez cité, Michel Houellebecq, qui a encore ce pas décisif à franchir, avec la grâce de Dieu. Faut-il mieux expliquer cet Amour ? Pourtant, tout est dit dans la Bible et la vie des saints. 
Il faut que l'homme redécouvre que, lorsqu’il adore et reçoit la Sainte Eucharistie, il touche le Christ lui-même. Lorsqu'il boit le Sang de l'Eucharistie, il boit le Christ. Et lorsqu'il contemple et adore l'Eucharistie, il contemple et adore Dieu.
Telle est notre foi. Dieu reste constamment avec nous. Il est là, il nous parle par les Saintes Ecritures et dans l'Eucharistie.

Avons-nous besoin de plus de témoins ?

Les exemples de témoins du Christ existent. Citons les apôtres, les saints martyrs des premiers siècles. Citons le pape saint Jean-Paul II, qui croyait profondément, réellement en l'Eucharistie : on le vit toujours se mettre à genoux devant la présence réelle, même quand sa santé était tellement dégradée qu’on était obligé de le soulever pour qu’il s’agenouille, et le relever car il n’était plus capable d’aucun mouvement autonome. Sainte Mère Teresa de Calcutta disait qu'elle n’aurait pas été capable de s'occuper des pauvres si elle n'avait pas eu cette relation quotidienne avec l'Eucharistie. Je suis heureux aussi de citer le saint Padre Pio, saint Josemaría Escrivá dont les vies étaient totalement envahies et possédées par Dieu. Ils rayonnaient la lumière et la sainteté de Dieu. Bien sûr, il faudrait que cet exemple vienne aussi de nous, les prêtres, et de nous, les évêques et les cardinaux. Toutefois, je peux vous assurer qu’il existe des milliers de Jean-Paul II et de Mère Teresa parmi les chrétiens, en particulier les petits et les âmes consacrées.
Il faut que nous soyons des hommes de prière, que nous mettions notre confiance en Jésus, en Dieu, et non pas dans nos œuvres ou dans nos capacités personnelles. Aujourd’hui, nous sommes immergés dans le pélagianisme. La grâce ne compte plus : seules importent nos œuvres, notre intelligence, nos capacités. Alors que Jésus a dit : "sans moi, vous ne pouvez rien faire".
C'est pourquoi Jésus a toujours insisté sur ce point : nous devons vivre constamment dans la prière. Sans ce lien intime avec Dieu, sans cette relation personnelle avec lui, sans ce cœur à cœur avec Jésus, nous ne sommes rien. Nous, les prêtres, nous devons constamment reposer notre tête sur le Cœur de Jésus, dans la prière. C’est seulement ainsi que nous pouvons changer l'Eglise, la rendre plus lumineuse, plus apte à porter le Salut au monde entier.

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