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Bye-bye Marine ? Fillon-Macron, le duel qui se profile mais qui n’aura (probablement) pas lieu
©Crédit Flickr mastermaq

Projections pré-élection

En pleine dynamique dans les sondages, Emmanuel Macron semble en mesure d'arracher des voix à l'ensemble des candidats déclarés (ou non) à l'élection présidentielle. Cette situation rend naturellement tentante l'idée d'un duel Macron-Fillon en anticipation du second tour en 2017, mais l'hypothèse reste hautement improbable. Tant sur le plan idéologique que logistique, Macron rencontre encore trop d'obstacles.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Emmanuel Rivière

Emmanuel Rivière est Directeur Monde pour les Etudes internationales et le Conseil Politique de Kantar Public. Il préside le Centre Kantar sur le Futur de l’Europe

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Atlantico : Le dernier sondage Kantar-Sofres Onepoint révèle une véritable dynamique en faveur d'Emmanuel Macron dans la mesure où il parvient à prendre des voix à presque tous les candidats testés. Comment y parvient-il ? Dans quelle mesure une telle situation est-elle susceptible de nourrir des discours médiatiques et des velléités de duel Macron-Fillon dans la presse ?

Emmanuel Rivière : Emmanuel Macron capte effectivement un électorat qui en son absence pourrait voter Hollande, Fillon, Bayrou, confirmant sa capacité à attirer dans tous les camps et à enjamber le clivage gauche droite. Il les capte précisément parce qu'il répond à une attente d’une partie du corps électoral : revisiter l'organisation spatiale politique du pays et réunir des gens "compétents et de bonne volonté", qui auraient une vraie vision de la manière dont il faut faire réussir la France. Cette frange de l'électorat n'est pas positionnée de manière partisane, idéologique, selon les schémas classiques. Elle est sensible à la notion de performance dans l'action politique. Cette performance se recherche autour des notions du savoir-faire, d’inventivité et de capacités d'anticipation, et de maîtrise d’un environnement complexe et mouvant. C'est aujourd'hui ce que parvient à incarner Emmanuel Macron, son défit restant d’une part de parvenir à prouver qu’il ne s’agit pas d’une fausse promesse, en avançant des propositions concrètes, et d’autre part qu’il peut gagner, sans quoi il risque de se dévaluer très vite.

Comme vous le soulignez, cette capacité pourrait alimenter les intentions de la presse à s’intéresser de manière prématurée à un duel Emmanuel Macron-François Fillon. Rappelons d'ailleurs qu'Emmanuel Macron est déjà largement capable d’attirer l’attention médiatique : il n'y a qu'à voir le succès des différentes étapes de son parcours politique. Fondation d'En marche, démission du gouvernement, déclaration de candidature… Les unes des magazines dont il bénéficie à chaque occasion ne sont pas une manière des titres concernés de s'immiscer de manière partisane dans le débat politique : il s'agit de répondre à un intérêt des lecteurs, dont attestent les chiffres de ventes quand Macron fait la une. Il constitue à lui seul un sujet susceptible d'intéresser les lecteurs. Dans de telles conditions, il est évident que l’hypothèse d'un duel Emmanuel Macron-François Fillon dans le cadre de la présidentielle va intéresser. Particulièrement une fois que l'offre à gauche sera clarifiée. La question qui va se poser est la suivante : Emmanuel Macron, troisième des sondages, peut-il devenir Emmanuel Macron deuxième ? Aujourd’hui improbable, ce duel sera d’autant plus facilement étudié et évoqué que les médias pourront se prévaloir du reproche qui leur a été adressé de ne s’intéresser durant la primaire qu’au duel Juppé-Sarkozy, qui n’a finalement pas eu lieu. Mais pourquoi pas dans ce cas traiter du duel Macron-Le Pen ?

Le duel le plus probable reste le duel Fillon-Le Pen, non pas en raison des sondages, mais parce que dans notre paysage politique à trois pôles, chacun des deux représente un pôle sans concurrence sérieuse, quand la gauche est très divisée. Cependant il n'est pas faux de dire qu'il y a aujourd'hui une incertitude sans précédent. Par conséquent, il n’est pas interdit d’étudier l’hypothèse d’un duel final Fillon-Macron. Mais raisonnablement il faudrait d’abord s’intéresser au combat qui opposera peut-être Emmanuel Macron à celui dont il fut le secrétaire général adjoint puis le Ministre, François Hollande, où à l’affrontement Macron Valls. C’est entre le fondateur d’En Marche et le représentant (s’il y en a un) de l’exécutif que l’électorat sera le plus disputé. Je crois que c'est ce qui captera d’abord, légitimement, l'attention. Une autre compétition importante sera celle qui l’opposera à François Bayrou si le président du Modem est candidat. En outre, si Bayrou et Hollande ou Valls se présentent, cela limitera fortement les chances de qualification d’Emmanuel Macron pour le second tour.

Christophe Bouillaud : Emmanuel Macron profite probablement du fait qu’il représente pour l’instant pour une partie des électeurs déçus par la politique la nouveauté absolue dans un paysage politique qui parait devoir reproduire les habituels clivages. Par ailleurs, le fait que François Fillon soit considéré comme un candidat bien à droite de son propre camp laisse s’ouvrir un espace au centre-droit. L’UDI a participé à la primaire de la droite et du centre, mais elle n’a même pas été capable d’y exprimer son propre candidat et celui auquel elle apportait globalement son soutien, Alain Juppé, a été platement battu. Pour l’instant, il semble que François Bayrou hésite à entrer en lice encore une fois. Il y a de quoi d’ailleurs. Le Modem n’est plus l’ombre que de lui-même et Bayrou aura du mal à se relancer dans la course sans que son discours et sa personne n’apparaissent comme datés. Enfin, au centre-gauche, la situation est apocalyptique avec un François Hollande et un Manuel Valls qui ont du mal à cacher leurs désaccords sur la suite. Pas étonnant dans ces conditions que Macron en profite dans les sondages.  

Si la dynamique Macron existe aujourd'hui, permettra-t-elle néanmoins réellement un tel duel ? La France est-elle idéologiquement assez libérale pour porter deux candidats libéraux au deuxième tour de la présidentielle ?

Christophe Bouillaud :Pour qu’un tel duel de second tour Fillon/Macron ait lieu, il faudrait vraiment que Marine Le Pen fasse une campagne électorale piteuse ou même qu’elle ne puisse pas participer à la prochaine présidentielle pour un motif ou pour un autre, ou bien encore que la gauche de gouvernement soit incapable de se regrouper autour du vainqueur de la primaire de la "Belle Alliance populaire". Il est tout de même bien peu probable que les masses électorales de la gauche (autour de 30/35% de l’électorat en additionnant toutes ses composantes) et surtout de l’extrême-droite (autour de 30/25%) laissent aller au second tour deux candidats très largement inspirés tous deux par la doctrine néo-libérale, François Fillon et Emmanuel Macron, qui représenteraient l’un la droite et l’autre le centre. Cela ne correspond guère à ce qu’on peut savoir de l’état d’esprit général de la population, qui demande plus de protection contre les aléas du marché et de la mondialisation. Bien sûr, on pourrait imaginer que François Bayrou et le Modem, le PRG finalement, le PS et ses proches alliés renoncent à présenter un candidat… et là alors, c’est sûr Emmanuel Macron pourrait apparaître comme une option majeure, puisqu’il couvrirait un vaste espace politique. Dans le même genre, on peut aussi imaginer que les moins de 60 ans s’abstiennent presque tous d’aller voter, et là sans doute parmi les personnes âgées et aisées, les deux finalistes seraient Fillon et Macron.  

Emmanuel Rivière :C’est vrai que c’est peu probable, même si les Français sont plus ambigus concernant le modèle libéral qu'on ne le dit. Ils ont le sentiment que trop de contraintes et de charges pèsent sur les entreprises, sont de plus en plus sensibles à la thématique de l’assistanat, sont par principe hostiles aux déficits et à la dette. J’ai été étonné de constater qu’une moitié des Français (y compris des sympathisants de gauche) pouvaient aussi voir un intérêt à la mise en place d’un contrat de travail unique, intermédiaire entre le CDI et le CDD. Mais ils sont aussi choqués par les délocalisations et le dumping social, par exemple, et ne regardent pas d’un très bon œil les profits boursiers. Un certain nombre de Français ont raisonnement pro-libéral mais aussi de craintes personnelles qui appellent régulation et protection. Un système libéral est par définition un système ouvert, et libre échangiste. Dans une société de défiance un tel système rencontre difficilement un large assentiment. Au fond, je crois que les électeurs ne se demandent pas ce qui est libéral ou antilibéral, mais ce qui est juste ou injuste : un patron de PME qui ploie sous les charges, c’est injuste, un grand groupe qui délocalise, c’est injuste aussi.

Tout dépend donc de ce que les électeurs retiendront prioritairement de François Fillon, notamment les électeurs de droite qui n’ont pas voté à la primaire. François Fillon a su convaincre un électorat qui certes demande qu’on allège la fiscalité des ménages, la part du secteur public, les charges sur les entreprises. Mais il y a aussi une demande de protection, de reprise de contrôle sur la destinée du pays notamment dans nos rapports avec l’Union européenne, dont les traités prônent, dans leurs grands principes la libéralisation de l’économie à l’échelle du continent. Si François Fillon, ou un autre candidat, parvient à associer un discours de libération de la sphère économique à un discours de protection, il y a un espace qui s’élargit pour le camp libéral. Inversement, si Emmanuel Macron parvient à justifier ses propositions de dérégulation comme une opportunité pour ceux qui ne partent pas avec les meilleures chances, voire à bénéficier de la nouveauté qu’il incarne pour inspirer confiance, son propre espace peut s’élargir.

Cependant, le scénario le plus probable, c'est la présence de Marine Le Pen au second tour face à un candidat libéral, vraisemblablement François Fillon. Si ce dernier mordait suffisamment Marine Le Pen pour permettre l'accession d'Emmanuel Macron au second tour, c'est qu'il aurait probablement mis beaucoup d’eau protectionniste et souverainiste dans son vin libéral. Compte tenu des inquiétudes en France – mais pas uniquement, comme en témoignent l'avènement de partis eurosceptiques partout en Europe – il parait improbable de voir deux candidats défendre un programme économiquement libéral s'affronter au second tour de l'élection présidentielle en 2017. Ce serait ignorer toutes les craintes liées au déclassement, à la perte de souveraineté, de contrôle, etc.

Outre ce seul problème idéologique, quelles sont les entraves institutionnelles et logistiques que pourrait rencontrer Emmanuel Macron ? Ne manque-t-il pas de culture politique, mais aussi de soutiens et de moyens ?

Christophe Bouillaud : A regarder l’histoire des élections présidentielles sous la Vème République, la tentative de Macron parait très irrationnelle si l’enjeu est vraiment de gagner l’élection. En effet, tous les prétendants et surtout tous les gagnants ont rallié à eux des réseaux d’élus non négligeables. Ils ne viennent jamais de nulle part. Même un VGE dans les années 1970, qui pourrait paraître représenter un modèle pour Macron, est en fait très loin d’être un nouveau venu en politique. VGE a déjà son parti, ses réseaux, depuis bien longtemps. Pour l’instant, Macron n’a rien de tout cela. Il est en train de le construire, mais cela n’existe pas depuis dix ou vingt ans. Il vient de recevoir le soutien des Jeunes de l’UDI, c’est bien. Peut-être que ce qui reste du Modem l’appuiera. Au total, même en ramassant les débris du centre, cela ne représente pas grand-chose face aux grosses machines électorales que sont Les Républicains, le PS et même le FN. Certes, il y a quelques individualités issues du PS qui le soutiennent - dont des élus du sud de la France qu’on aurait cru en retraite… -, mais cela me paraît pour l’instant fort léger.

Son espoir, probablement, est que la primaire de la gauche fasse émerger un candidat de la gauche du PS, Montebourg par exemple, et que, de ce fait, toute la droite du PS, horrifiée et orpheline, se rallie à lui. Il me paraît aussi possible que ceux qui soutiendront Macron veulent moins le voir gagner que prendre ainsi des gages pour l’avenir. En effet, logiquement, lorsqu’au printemps prochain, au second tour, il faudra que la gauche appelle à voter Fillon pour faire barrage à Le Pen, les partisans d’Emmanuel Macron pourront bien mieux négocier leur ralliement à Fillon contre des maroquins ministériels et des sièges de députés que ceux qui auront mené une campagne plus à gauche. Un grand élu comme le maire de Lyon, qui dirige déjà la Métropole de Lyon sur une majorité composite, fait probablement ce calcul. Il n’a pas envie d’être cantonné dans une opposition radicale au futur pouvoir national de la droite.

Emmanuel Rivière : C'est une question qui sort un peu de mon champ de compétence. Néanmoins, sans être spécialiste des réseaux militants, je crois effectivement qu'il est plus facile de mener une campagne en s'appuyant sur un appareil partisan un peu rôdé. Je ne suis pas sûr que les militants qui rejoignent le mouvement d'Emmanuel Macron, En Marche, soient tous très aguerris de ce côté. Or, la distribution de tracts, le porte-à-porte, et toutes ces techniques ont à mon sens une réelle vertu. Cependant, ils sont peut-être les plus affûtés sur d'autres outils, développés par des consultants, et qui permettent la mobilisation et l'animation d'un réseau militant via des outils numériques. C'est une question qui mérite d'être soulevée, les supporters de Nicolas Sarkozy sur les médias sociaux, très mobilisées et affûtés, n'ont pas su faire pencher la balance en sa faveur. En outre, il est difficile de dire si l'appareil politique sera prêt à s'ouvrir à quelqu'un d'à ce point disruptif vis-à-vis des positions installées.

Comment l'ancien ministre de l'Économie pourrait-il réagir, à quelques mois du premier tour ?

Emmanuel Rivière : L'espace de tir d'Emmanuel Macron implique pour lui d'incarner un changement à la fois radical et raisonnable. Il doit être en mesure de donner aux électeurs toute la jouissance d'avoir adressé un pied-de-nez au système tout en étant dans un dépassement par le haut, qui ne soit pas fait en rupture totale, ni ne fasse table-rase. C'est quelque chose qu'il incarne assez bien aujourd'hui mais qui sera de plus en plus difficile à étayer au fur et à mesure de la campagne. Il doit le concrétiser au travers d'un discours qui fasse envie, montre une vraie vision de l'avenir, et surtout ne se contente pas de traduire des constructions intellectuelles ou des exemples bien choisis. A un certain moment, il devra incarner un projet, des propositions permettant à chacun de se projeter.

Christophe Bouillaud : Tout ne dépend pas de lui. Il serait cependant déjà bien avisé de se débarrasser des communiquants qui lui ont suggéré d’appeler son livre-programme Révolution, sans qu’on y trouve quoi que ce soit de bien révolutionnaire. De fait, il se met ainsi en pleine contradiction : ce n’est pas en se mettant au centre des idées reçues qu’on fait la révolution, mais depuis les extrêmes – ou alors, a minima, il faut avoir identifié un enjeu complètement nouveau sur lequel il y aurait dans la société un consensus inaperçu par les autres partis et ensuite l’exploiter. Pour l’instant, je ne vois rien de tel dans les propositions d’Emmanuel Macron. La nouveauté du personnage qu’il entend incarner ne va pas suffire très longtemps à entretenir la légende.

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