Budget 2015, beaucoup de bruit pour rien : pourquoi les débats masquent une totale perte de contrôle des finances publiques par l’État <!-- --> | Atlantico.fr
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Le budget 2015 fait beaucoup de bruit pour rien.
Le budget 2015 fait beaucoup de bruit pour rien.
©Reuters

Dérapage

Paris remet ce mercredi 15 octobre à la Commission européenne son projet de loi de finances (PLF) pour 2015. Au programme : 21 milliards d'euros d'économies, mais 1/5 du budget reste non financé.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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Atlantico : La copie du budget de la France pour 2015 est remise ce mercredi 15 octobre à la Commission européenne. Au programme, 21 milliards d'euros d'économies sur un an. Mais que représente réellement cette économie sur l'ensemble du budget (en proportion et volume) ? A quels grands postes budgétaires ces 21 milliards peuvent-ils être comparés ?

Philippe Crevel : 21 milliards d’euros, c’est beaucoup et peu. Beaucoup, cela représente près du quart de l’impôt sur le revenu ; c’est faible au regard du montant des dépenses publiques. Ces 21 milliards d’euros ne représentent que 1,75 % des dépenses publiques françaises. C’est l’équivalent des dépenses de recherche et d’enseignement supérieur et un peu moins que les dépenses militaires (29 milliards d’euros). C’est 40 % des dépenses de pension de l’Etat.

 Il faut savoir que de 2001 à 2011, les dépenses publiques ont progressé de plus de 2 % et deux fois plus vite que le PIB. Même en 2014, les dépenses ont progressé de 0,9 %. En France, quand les pouvoirs publics parlent d’économie, c’est avant toute une moindre croissance des dépenses.

Ces 21 milliards d’euros ne sont pas à la charge exclusive de l’Etat. Ces économies sont réparties entre l’Etat à hauteur de 7,7 milliards d’euros, les collectivités locales à hauteur de 3,7 milliards d’euros et les régimes sociaux à hauteur de 9,6 milliards d’euros. L’effort représente 2 % des dépenses pour l’Etat, 1,6 % des dépenses des collectivités locales et 1,9 % des dépenses des régimes sociaux.

Pour atteindre cet objectif d’économies, les acteurs ne sont pas égaux. Les régimes sociaux doivent faire face à des dépenses peu flexibles sauf à revoir à la baisse les prestations. Les collectivités locales sont également confrontées à la rigidité de leurs dépenses sociales. Elles peuvent réduire comme elles l’ont fait en 2014 réduire leurs investissements ou augmenté leurs impôts.

Pierre-François Gouiffès : Rappelons d’abord les grands chiffres du budget pour 2015. Si on se limite au périmètre de l’Etat, cela représente 373 milliards d’euros de dépenses et 291 milliards d’euros de recettes, à l’origine d’un déficit de l’Etat d’environ 80 milliards d’euros représentant donc 27% des recettes… Mais il est plus important de raisonner avec les dépenses publiques consolidées après prise en compte de la Sécurité sociale et des collectivités locales. On arrive à un montant 2015 d’environ 1.220 milliards d’euros représentant 56,1% du PIB selon les données au gouvernement.

De de fait l’effort de 21 milliards d’euros mise en avant par le gouvernement représente 1,7% de la dépense publique totale française, donc 7,7 milliards pour l’Etat (2% des dépenses totales), 3,7 milliards pour les collectivités et 9,6 pour la protection sociale.

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Depuis 2007, et la crise économique en 2008, il n'est question que d'économies budgétaires, et ce quelle que soit la couleur politique des gouvernements en place. Comment le budget français a t-il évolué ces six dernières années ? Des économies ont-elles été réellement faites ? Si oui, à quelle hauteur ?

Philippe Crevel : De 2007 à 2014, le poids des dépenses publiques est passé de 51,7 % à 56,5%. Pour 2015, les dépenses publiques devraient progresser de 0,2 %. La progression des dépenses publiques est d’autant plus marquée que la croissance est faible.

L’Etat a réalisé des économies et a réduit ses effectifs sur la période de 2007 à 2012 mais les collectivités locales et les régimes sociaux ont accru leurs dépenses. Il faut noter que l’Etat a eu tendance à transférer certaines dépenses sur les collectivités locales et leur a demandé de répondre à ses demandes en termes de contrats d’emplois aidés.

Le rythme de progression des dépenses publiques a été divisé par deux. Il y a un effort indéniable mais insuffisant pour réduire magistralement le déficit public qui s'élève à 4,3 % du PIB. Certes, le déficit dépassait 7 % en 2009 mais le chemin à réaliser pour revenir à 3 % ou  à 0 % semble hors de portée. Le programme de réduction du déficit public du Gouvernement français apparaît irréaliste car l'effort est concentré sur les années 2017 à 2019 après l'élection présidentielle...

Pierre-François Gouiffès : Dans les faits les dépenses en montant nominal ont augmenté sans arrêt depuis 2008 puisque les dépenses 2008 s’élevaient à 1.030 milliards contre 1.220 prévues en 2015.

Les économies mises en avant chaque année par les gouvernements consistent à s’écarter à la baisse d’une hausse "tendancielle" de la dépenses publique définie comme "l'évolution prévisible au regard de la tendance passée, en l'absence de toute mesure ou événement nouveau".

Bref, faire des économies ce n’est pas baisser la dépense en termes absolus mais "réduire la hausse". Cela marche dans une certaine mesure : la Cour de comptes a évalué la hausse en volume (hors inflation) des dépenses publiques à +1,7 % sur 2007-2011 contre +0,2% dans le PLF 2015.

Les dépenses ont-elles augmenté proportionnellement d'autant ? Ces économies budgétaires pèsent-elles réellement dans le budget et dans le temps ou sont-elles d'office annihilées par l'augmentation des dépenses (s'agit-il réellement d'économies ou de stagnations des dépenses) ?

Philippe Crevel : Sur la période 2002-2007, la dépense publique a augmenté par an de 37,5 milliards d’euros, soit + 6,7 milliards d’euros pour la dépense de l’État, la 19,2 milliards pour les dépenses de sécurité sociale et 11,6 milliards pour la dépense locale.

De 2007 à 2012, la dépense publique a progressé de 34,1 milliards d’euros par an, soit + 10,7 milliards d’euros pour la dépense de l’État, + 17,4 milliards pour les dépenses de sécurité sociale et + 6 milliards pour la dépense locale.

Enfin, de 2012-2014, malgré les annonces des Gouvernements, les dépenses continuent à augmenter à hauteur de 21,5 milliards d’euros par an, dont + 3 milliards d’euros pour les dépenses de l’État, + 12,9 milliards pour les dépenses de sécurité sociale et + 5,6 milliards pour les dépenses des collectivités territoriales.

Des économies ont donc été réalisées mais avant tout par rapport à une tendance. Oui, l’Etat a économise de l’argent en gelant le point d’indice servant de base de calcul pour les traitements des fonctionnaires. Oui, l’Etat a réduit ses dépenses en diminuant les effectifs de l’administration fiscale. Oui, l’Etat a réalisé des économies en annulant ou en reportant certaines dépenses d’investissement en particulier dans le domaine militaire mais l’Etat a augmenté le montant de ses dépenses en matière d’éducation, de logement, de sécurité. L’Etat doit également faire face à l’augmentation des dépenses de pension des fonctionnaires d’Etat.

Les dépenses de l’Etat ont progressé de 355 à 380 milliards d’euros de 2007 à 2014, l’ensemble des dépenses publiques est passé de 1000 à 1200 milliards d’euros sur la période.

Pierre-François Gouiffès : Il ne faut en effet pas limiter l’analyse aux seules dépenses. Le déficit budgétaire est devenu très conséquent depuis 2008 avec une séquence tout inédite de déficit supérieur à 4% du PIB (4,3% prévu en 2015) à l’origine depuis l’été 2008 d’un stock supplémentaire de dette publique de 700 milliards d’euros (un tiers de nos 2.000 milliards). L’augmentation des prélèvements obligatoires n’a pas du tout permis de redresser les comptes.

Qui plus est, l’habitude française consistant à reculer en permanence sa date de retour à la norme de 3% sans même parler de l’équilibre structurel inscrit dans le traité budgétaire de 2012 semble avoir finalement induit une lassitude de nos partenaires européens, d’où les tensions et polémiques qui accompagnent la transmission ce jour de notre budget à la Commission européenne.

Les politiques entreprises au fil des mandats suivent le même objectif d'économies budgétaires mais sans forcément solliciter les mêmes leviers... Sur l'ensemble des budgets présentés depuis 2008, recense-t-on des effets cumulés vertueux (en termes de volume d'économies budgétaires) ou au contraires des effets pervers (et une annulation des effets recherchés) ?

Philippe Crevel : Au fil des années, la pratique des moindres dépenses n’évolue qu’à la marge. Ainsi, pour 2015, le Gouvernement a demandé à tous les ministères à réaliser des efforts. Dans les faits, c’est l’Agriculture, les anciens combattants, l’administration générale qui contribuent au plan d’économies mais il y a aussi l’écologie et la culture qui sont mises à contribution. Les dépenses scolaires, la sécurité voire la justice sont plutôt préservées.

Par ailleurs, les Gouvernements rognent sur les concours aux collectivités à charge pour elles d’augmenter leurs impôts ou de réaliser elles-mêmes des économies et se servent des dépenses militaires comme variables de régulation en cours d’année. De reports en annulation administrée, l’administration doit faire face à une baisse de la qualité des services offerts et à une démotivation du personnel. Le recul de l’investissement risque à terme être générateur de dépenses. La vétusté des locaux ou les retards dans la modernisation informatique sont évidemment des sources de dépenses à venir. Cette situation est encore plus nette pour les dépenses sociales.

Pierre-François Gouiffès : Regardons ici deux faits stylisés. La composante majeure de la dépense publique française est constituée de la Sécurité sociale et notamment des dépenses de retraite à la fois élevées et structurellement déficitaires.

Force est de constater que les multiples réformes entreprises depuis plus de vingt ans ont donc été insuffisantes pour revenir à un équilibre de ce poste majeur. Concernant les dépenses de personnel, on peut constater que le "un recrutement sur deux départs à la retraite" de l’ère Sarkozy a été remis en cause par les objectifs de création de postes dans l’Education nationale de la nouvelle majorité (1.278 suppressions de postes sur 1,9 millions de postes dans la fonction publique d’Etat, sans compter la forte dynamique des effectifs des collectivités locales.

Avec une croissance nulle, quel intérêt à poursuivre des économies budgétaires de grande ampleur ? Ne vaut-il pas mieux poursuivre un meilleur équilibre entre stabilisation des dépenses et augmentation des recettes ? Et donc encourager des mesures plus favorables à recréer les conditions de la croissance ? Quels ajustements budgétaires faut-il encourager ?

Philippe Crevel : Les recettes tendent à plafonner voire à diminuer depuis deux ans. La stagnation économique réduit l'assiette fiscale générant des moins-values fiscales. Par ailleurs, les agents économiques tendant à optimiser leur situation fiscale pour compenser la stagnation des revenus. Aujourd'hui il faudrait créer un climat favorable à l'expansion économique, à l'investissement, à l'innovation.

Les économies budgétaires sont indispensables pour diminuer l'effet dépressif du surendettement et pour éviter l'effet d'éviction qui pèse sur l'épargne. L'Etat devrait accroître encourager l'investissement et se battre pour un plan européen d'infrastructures. 

Pierre-François Gouiffès : La situation est effectivement très délicate car toute baisse brutale des dépenses publiques a un effet récessif à court terme. Mais cette situation est également intenable compte-tenu d’un financement externe massif de la dette publique posant à terme un problème de fond en matière de souveraineté.

La solution consiste à – favoriser le "mix" de dépense publique ayant le meilleur impact sur la croissance (investissement notamment) et vérifier que cette dépense aboutit à des résultats dépassant la simple distribution de rémunérations et prestations pour soutenir l’activité à court terme tout en renforçant la croissance sans recours à la dépense publique.

Propos recueillis par Franck Michel

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