Brexit, dette grecque et élections espagnoles : juin 2016, le mois de tous les dangers pour l’avenir de l’Union européenne<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Brexit, dette grecque et élections espagnoles : juin 2016, le mois de tous les dangers pour l’avenir de l’Union européenne
©REUTERS/John Kolesidis

Ça passe ou ça casse

Alors que l'Europe s'apprête à vivre des crises dont les issues et la simultanéité menacent sérieusement l'avenir du projet européen, les dirigeants politiques étouffent et repoussent les problèmes.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »

Atlantico : Dans les prochains mois, l'Europe fera face à des échéances cruciales. En juin auront lieu le référendum au Royaume-Uni sur sa sortie de l'Union européenne et de nouvelles élections en Espagne. En juillet, la Grèce ne pourra vraisemblablement pas rembourser comme convenu la BCE sans sa tranche de prêts supplémentaire, et risque donc de faire face à une crise similaire à celle de l'été 2015. Dans quelle mesure ces événements influenceront-ils l'avenir du projet européen ? 

Christophe Bouillaud : Chacun d’entre eux peuvent aussi bien être déstabilisateur que stabilisateur pour l’Union européenne.

Une défaite du Brexit, même d’un cheveu, sera bien sûr accueillie avec un lâche soulagement par les élites européennes, et, sans doute, cela ne changera rien aux tendances actuelles à l’absence presque totale de projet européen ambitieux de la part des dirigeants continentaux. Ils auront le sentiment d’avoir sauvé les meubles, c’est tout. Une victoire du Brexit par contre serait évidemment un événement majeur, un moment historique au sens fort du terme, mais ses conséquences dépendraient largement de la manière dont les élites politiques continentales sauraient ou non y répondre.

D’une part, du strict point de vue technique, il y a la capacité à bâtir, en cas de Brexit et d’application en conséquence de l’article 50 du TUE, une relation apaisée avec le Royaume-Uni. Il ne faudrait pas que le Brexit débouche sur une querelle amère entre Britanniques et continentaux sur les clauses du divorce à mettre en œuvre.

D’autre part, le Brexit appellerait sans doute à une réaction de la part des dirigeants continentaux qui en profiteraient pour mieux intégrer la zone Euro. Cela peut être fait de manière très différente entre les propositions "ordo-libérales" du gouvernement allemand actuel et les propositions fédéralistes d’un Varoufakis ou d’un Thomas Piketty par exemple. En outre, et c’est sans doute là le plus important, une telle réaction devrait tenir compte du fait qu’un peuple, les Britanniques, a dit non à l’Union européenne après un vrai débat. Il faudrait que les dirigeants européens en profitent pour se demander pourquoi donc ce refus. Il ne faudrait pas le réduire à une idiosyncrasie britannique. Un bilan sincère des relations entre le projet européen et la démocratie nationale s’imposerait peut-être enfin. Et là, cela pourrait être très intéressant pour l’avenir. Il ne faudrait pas refaire l’erreur de 2005, où les "non" français et hollandais ont été ignorés - ce qui explique largement la situation actuelle.

Pour ce qui concerne les élections espagnoles, elles recèlent a priori un moindre potentiel de déstabilisation ou de stabilisation. De fait, Podemos, même en alliance avec la gauche extrême, n’obtiendra jamais une majorité parlementaire, et ce seront des forces traditionnelles, le PP ou le PSOE, voire les deux, qui finiront par former le cœur du prochain gouvernement espagnol. Au mieux (ou au pire pour la plupart de vos lecteurs), il y aura une alliance des gauches comme au Portugal autour du PSOE. Celle-ci pourra être déstabilisatrice pour les équilibres au sein du Conseil européen, mais j’en doute un peu tant l’exemple portugais ou italien montre la prudence des Européens du sud en matière de revendication face à l’ordre imposé par Berlin et Francfort.

Enfin, il me semble que le scénario grec va continuer à se répéter en 2016, parce qu’il n’existe pas de majorité politique en Grèce prête à organiser la sortie du pays de la zone euro. Le gouvernement Syriza-ANEL s’écroulera peut-être dans les prochaines semaines, mais on aura alors un gouvernement intérimaire qui suivra les indications des partenaires européens. En cas de nouvelles élections, la droite reviendra probablement aux affaires, et elle acceptera tout ce que les partenaires européens demanderont. Cela veut dire d’ailleurs que la Grèce continuera à s’enfoncer dans la crise, et cela, par contre, démentira toute prétention à la vraie solidarité européenne. En ce sens, l’affaire grecque continuera à déstabiliser le récit enchanté de l’Union européenne soucieuse des peuples…

Quel est le risque que l'Europe implose si elle ne parvient pas à surmonter les différentes crises qui la traversent ? La simultanéité des crises accroît-elle le risque d'implosion ?

Il y a des gens qui parlent à propos de période récente de "polycrise" pour désigner la multiplication des crises sectorielles. Comme le montrent les dernières années, les dirigeants européens ont tout de même une extraordinaire capacité à trouver des compromis, médiocres certes, sur tous les sujets. Ils sont passés maîtres dans l’art de remettre à plus tard les questions qui fâchent et de faire porter sur les plus faibles le côté désagréable des décisions prises. De fait, ce ne sont tant pas les crises en soi qui posent problème que le fait qu’elles favorisent la montée en puissance de forces politiques hostiles au projet européen tel qu’il a été formulé dans les années 1950-1980 : libéralisme politique et libéralisme économique.

Il y a de fait déjà deux pays au moins qui sont dirigés par des forces politiques qui croient pour tout dire très moyennement à ces deux piliers du projet européen : la Hongrie depuis 2010, et la Pologne depuis peu. Pour l’instant, ces deux pays jouent plutôt le jeu de la dissidence interne et mesurée, et aucun des deux ne veut quitter l’Union européenne. Le risque majeur, c’est en fait l’arrivée au pouvoir dans un grand pays de l’ouest européen d’une force politique nationaliste ayant vraiment la volonté ferme, soutenue par une large majorité populaire, d’en finir avec les règles de l’Union européenne. Pour l’instant, c’est vraiment peu probable. Madame Le Pen n’est en effet pas encore présidente de la République et Geert Wilders Premier ministre des Pays-Bas. Il y a certes presque partout de grosses minorités de droite extrême, mais elles restent des minorités, le plus souvent sans alliés.

Sans aller jusqu'à l'implosion, en quoi le projet européen pourrait-il être remis en question, voire profondément dégradé, par les décisions qui seront prises au cours de ces deux mois ? Que restera-t-il alors de l'Europe ?

Le scénario du Brexit abîmerait d’évidence la légitimité de l’Union européenne. Si à cela s’ajoutait, en Grèce, la fin de l’expérience Syriza et en Espagne, la reconduction sous une forme ou sous une autre de la domination du PP et du PSOE, cela donnerait surtout l’impression qu’il n’existe pas de manière démocratique de changer la politique européenne de l’intérieur. Tout continuerait comme avant, mais les opposants aux politiques actuelles de l’Union européenne auraient sans doute bien compris que la seule solution pour s’opposer est de la quitter. Cette leçon sera sans doute facilement apprise par les opposants nationalistes de droite aux politiques actuelles de l’UE, mais elle aurait plutôt tendance à désespérer les opposants internationalistes de gauche. Ce n’est pas un hasard si un Varoufakis fait campagne contre le Brexit.

Le 12 mars, François Hollande a convié une quinzaine de dirigeants sociaux-démocrates européens pour anticiper les initiatives à prendre en cas de Brexit. Face à la menace d'"effacement" de l'Europe, le Président français a évoqué la relance par l'investissement et la création d'un "gouvernement et d'un budget pour la zone euro". De quelle(s) façon(s) les institutions et responsables politiques européens anticipent-ils les difficultés à venir ? Y a-t-il des projets en préparation visant à enclencher une dynamique positive autour du projet européen ? Cela suffira-t-il à "sauver" l'Europe ? 

Il faut distingue deux plans.

Un plan strictement économique d’abord. Il serait possible de faire une relance économique par l’investissement. C’est déjà l’idée du "plan Juncker" de 2015. Puisque la BCE accepte de tenir les taux d’intérêt à court terme au plus bas, rien n’interdit aux Etats européens d’emprunter massivement en propre ou collectivement pour investir, sinon les fantasmes, essentiellement allemands inscrits dans les traités européens, d’un surendettement insoutenable des Etats. De ce point de vue-là, les options sont très diverses : aussi bien écologistes que militaristes par exemple. On peut investir pour la transition écologique ou bien pour réarmer les pays européens face aux menaces aux frontières sud et est. On peut même faire les deux. Quoi qu’il en soit, une solide reprise de la croissance économique en Europe, et en particulier dans la zone Euro, avec une vraie baisse du chômage, ferait sans doute énormément pour que les Européens voient l’Union européenne d’un œil plus positif. L’Europe devait apporter la prospérité pour tous, il serait temps de se souvenir de cette promesse.

Un plan institutionnel ensuite. Première option, proposée par les dirigeants allemands : on peut avoir un renforcement de la vision "ordo-libérale" de la zone Euro, dans la lignée de ce qui a été fait depuis 2010. Autrement dit, on pourrait créer une autorité indépendante qui validerait ou non les budgets nationaux, sur le modèle de la BCE. La politique économique serait donc complètement soustraite aux politiciens nationaux au profit d’un "dictateur bienveillant" européen sur le modèle du banquier central actuel. Seconde option, plutôt proposée par les fédéralistes de gauche, comme un Thomas Piketty : il faudrait créer un Parlement de la zone Euro qui remplirait les mêmes fonctions ou qui nommerait à cet effet un "Premier ministre" de la zone Euro. Les deux options sont très différentes en fait dans leur esprit : s’agit-il en effet de garantir la stabilité d’une monnaie partagée entre des nations "cigales" et "fourmis" aux comptes séparés, ou bien s’agit-il de gérer en commun les recettes et dépenses communes d’une vraie communauté politique ? Ce second aspect de discussion institutionnelle peut se révéler complètement délétère pour l’Union européenne. En effet, que fait-on si la conclusion du débat ainsi ouvert est qu’en fait les peuples ne sont pas du tout d’accord sur la direction à suivre ?

En fait, si l’on veut "sauver l’Europe", le plus urgent serait de se demander si l’on peut bâtir à très court terme une Europe qui profite vraiment à tous les citoyens européens. Le plus simple me paraît être déjà de remettre l’économie en ordre en donnant la priorité à la résorption du chômage, plutôt qu’à la protection des épargnants et à la lutte contre l’inflation.

Propos recueillis par Emilia Capitaine

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !