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Blanquer atout clé de la macronie : mais au fait, ça donnerait quoi le blanquérisme décliné sur la totalité d’un projet de gouvernement ?
©AFP

A la baguette

Jean-Michel Blanquer a su se rendre populaire depuis son arrivée au poste de ministre de l'Education nationale grâce à son approche singulière par rapport au "macronisme".

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : En quelques mois, Jean Michel Blanquer est apparu comme une pièce maîtresse du dispositif d'Emmanuel Macron, en ayant notamment su appliquer une méthode qui lui est propre. En définissant un objectif précis à son ministère, apprendre à lire et à écrire aux enfants, en lieu et place d'autres objectifs comme le traitement des inégalités - qui devient dès lors un objectif induit - et en favorisant dès une forme de "bon sens" par rapport à ce qui a été appelé le "pédagogisme technocratique" de l'ancienne majorité, cette "méthode Blanquer" apparaît. En quoi cette approche peut-elle être particulière, quelles sont ses limites , et diffère t elle du "macronisme" ? 

Eric Verhaeghe : ​La méthode Blanquer est très macronienne pour au moins trois raisons. 

La première est qu'elle apparaît comme apolitique, ou en tout cas comme non-partisane. Elle est celle d'un homme venu de la société civile. Dans la pratique, la réalité est un peu différente, car Jean-Michel Blanquer avait un engagement marqué à droite, mais il n'a pas acquis de véritable notoriété partisane dans son parcours antérieur. Dans sa méthode, en tout cas, Blanquer a le bon goût de ne pas se laisser emprisonner par les grands débats idéologiques qui ont paralysé l'éducation depuis 40 ans. Il arrive avec une démarche pragmatique typique du macronisme. 
La deuxième est qu'elle porte un sceau idéologique "en creux", derrière sa posture pragmatique. Blanquer est en effet un homme de rupture avec le blabla pédagogiste. Fondamentalement, il porte une vision qu'on pourrait qualifier de traditionnelle de l'éducation, avec un attachement discrètement nostalgique à ce qui a fait les grandes heures de l'école publique en France. Au fond, Blanquer est une résurgence des hussards noirs de la République et de leurs valeurs historiques. 
La troisième tient à son internationalisme, voire à son mondialisme. Blanquer est proche d'un pilotage du système au rythme des enquêtes internationales de type Pisa. Cette méthode d'évaluation le distingue beaucoup de ses prédécesseurs. De ce point de vue, il est probablement le premier ministre moderne de l'éducation que nous ayons eu.  

En appliquant une telle méthode, c'est à dire en définissant un objectif prioritaire, et en privilégiant le bons sens à la technocratie, quel serait le résultat produit sur le ministère de l'économie ? Quel serait l'objectif à suivre ? En quoi le bon sens peut il s'opposer à l'administration ?  

Eric Verhaeghe : Si Blanquer passait au ministère de l'économie, sa méthode ferait merveille pour réformer l'action publique et initier une cure d'amaigrissement dans les services de l'Etat et dans la technostructure elle-même. On pourrait imaginer qu'il fixe un plafond de dépenses publiques à atteindre chaque année, ainsi qu'un plafond de prélèvements obligatoires à ne pas dépasser. Imaginez un ministre de l'Économie qui explique que, dans les 5 ans, la dépense publique doit revenir à 50% du PIB, et que les prélèvements obligatoires doivent baisser de trois points! Cette méthode modifierait la face de la réforme de l'État, et la vie quotidienne des Français. Elle permettrait de fixer un cap concret, pragmatique aux réformes à l'oeuvre. 

Bruno Le Maire ferait bien de s'en inspirer d'ailleurs. On le voit à l'occasion du projet de loi PACTE, dont on voit mal l'utilité, en dehors d'accoler le nom du ministre à une loi. Cette méthode permettrait d'alléger de façon concrète les interventions intempestives de l'État dans la vie économique et dans le champ concurrentiel. 

Jean-Paul Betbeze :La « méthode Blanquer » paraît d’autant mieux acceptée qu’elle corrige des dérives absconses (par exemple en grammaire !) et correspond à de vrais besoins : lire, écrire, compter et – il ajoute : « se comporter ». C’est cette double logique, de connaissance et d’attitude, que l’on retrouvera d’ailleurs au baccalauréat, avec un socle commun, du contrôle continu et un oral « en bon français ». Mais, malheureusement, ce n’est pas parce que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée » qu’elle le sera dans ce monde-là ! Attendons, espérons et aidons !

Pour ce qui concerne le Ministère de l’économie, il faut d’abord, comme ce qui se passe avec la grammaire actuelle à laquelle les (pauvres) jeunes sont exposés, mettre les responsables des administrations devant leurs sites, comme autant d’utilisateurs. 

D’abord, comme pour la « méthode Blanquer », c’est assez bon de connaître les objectifs poursuivis pour l’économie en général, avec quels moyens et quels systèmes de suivi et de contrôle. Ce serait ainsi bien avisé de reprendre les objectifs majeurs du quinquennat : croissance, emploi, budget, dette… et de mettre en place un suivi permanent, contrôle continu si l’on veut, des décisions prises. Et de les mettre en page 1 du site, mis à jour.

« Lire » : en latin legere qui donne intelligence (faculté de comprendre), c’est donc « lire » la démarche générale qui est suivie par le Ministère. On doit la retrouver dans tous les travaux menés et dans toutes les décisions prises. Ceci veut dire que tous les documents publiés doivent préciser ce qu’ils recherchent, notamment en corrigeant la situation passée, et toujours en liaison avec les objectifs centraux. Ils commencent par les objectifs spécifiques poursuivis, en lien avec les objectifs généraux, puis viennent les décisions prises, les moyens mis en œuvre, les mesures retenues pour suivre les résultats, les « rendez-vous de chantier » (le contrôle continu !) et les modalités de correction envisagées. 

« Ecrire » : suppose que l’on est concis et clair, sachant que des documents plus complets définissent la démarche d’ensemble, qui doit être complète. Ecrire précise et engage. Les définitions techniques doivent donc être prévues dans le texte, ou le renvoi à un glossaire, et les acronymes développés (ce qui est en général le cas). Pour ce qui concerne les formations, le site se charge de parler d’économie, mais de manière pasteurisée. Ainsi, pour les objectifs de l’entreprise, « maximisation du profit » dans « l’approche des économistes, « maximisation du profit ou de la taille de l’entreprise » dans « le regard des gestionnaires » et « répondre aux attentes de la société… et contribuer au bonheur… ». Tout est dans tout, dit au fond le site (voir faciléco). « Les objectifs poursuivis par l’entreprise sont donc multiples, tout dépend du point de vue duquel on se place, et de l’échelle à laquelle on regarde cette organisation bien particulière.»

« Compter » : on doit s’attendre à trouver des chiffres. Allons à l’Agence France Trésor qui gère la dette publique. Les indicateurs économiques… ont été mis à jour le premier février. Le Ministère a l’heureuse idée de s’ouvrir à des économistes externes. On peut ainsi lire que « les OAT continueront de susciter une demande importante en 2018 ». C’est indéniable, d’autant que les déficits vont demeurer, même en baisse. En 2017, le Trésor a renouvelé 115 milliards de dettes, plus 68 de dettes nouvelles. La dette négociable totale est ainsi de 1686 milliards d’euros en 2017. 

« Se comporter » : c’est dire ce que l’on entend faire, ne pas cacher les risques et les incertitudes, ne pas transférer des charges sur le successeur, ne pas cacher les dettes hors bilan. Pour le Ministère de l’économie, c’est donc aussi simplifier, réduire les charges et permettre plus de croissance et d’emploi avec des entreprises qui auront ainsi plus de profit, pour réduire la dette que gère le Ministre, un profit qui fera le bonheur de tous !

Pour le ministère de la santé ? 

Eric Verhaeghe : ​Cette question est amusante, parce qu'Agnès Buzyn, avec sa rigidité et sa docilité vis-à-vis de sa technostructure, est sans doute l'anti-Blanquer. On l'a vu à l'occasion de la vaccination obligatoire: au lieu de prendre le pouls de l'opinion et d'avancer sans a priori idéologique, elle donne plutôt le sentiment de procéder par contraintes que par pragmatisme. Cela dit, son plan pour la transformation du système, malgré son opacité technocratique, procède un peu (mais un peu seulement) de cette logique. Il s'ouvre sur l'ambition de mettre la satisfaction du patient au coeur de l'hôpital public. On verra là une forme de préhistoire de la méthode Blanquer, puisqu'il s'agit de créer un marqueur, un repère, à partir duquel l'action publique doit s'organiser. 

Le problème de la santé est que cette méthode est pratiquée de façon chaotique. La ministre évite, pour l'instant, de transposer cette logique à la protection sociale ou à la médecine de ville. 

Pour le ministère de l'intérieur ? 

Eric Verhaeghe : ​La méthode Blanquer n'y manquerait pas de piquant. Elle serait particulièrement utile pour organiser la mise en place de la police du quotidien que veut le ministre en question. Il existe en effet aujourd'hui une profonde rupture entre les missions de haute police qui occupent l'esprit des ministres et les préoccupations quotidiennes des Français en matière de sécurité. 

Partir d'un objectif concret de sécurité, d'un objectif concret de baisse effective de la délinquance, d'un objectif concret à atteindre de "confort" dans la vie quotidienne permettrait de réorganiser autrement les services de police. Il existe une bonne raison pour expliquer l'efficacité de cette méthode. Aujourd'hui, nos policiers chargés de la tranquillité publique doivent poursuivre une multitude d'objectifs tous très différents les uns des autres. Fixer un objectif commun, structurant, lisible, redonnerait du sens à l'action de chacun. 
C'est probablement ce qu'il faut retenir de la méthode Blanquer: fixer un objectif concret, lisible et structurant à l'action publique, et demander aux organisations de l'atteindre...

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