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Bitcoin : le FBI met la main sur les auteurs du casse du siècle. Mais comment expliquer ce qui était censé ne pas être possible du tout…?
©JOE RAEDLE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / GETTY IMAGES VIA AFP

Casse du siècle ... ou pas

Alors qu'on les croyait difficiles voire impossibles à hacker, la police fédérale américaine a saisi l'équivalent de 3,6 milliards de dollars de bitcoins

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : La police fédérale américaine a saisi une partie des 119 574 jetons de bitcoin qui avaient été hackés en 2016 auprès de la plate-forme Bitfinex, un montant équivalent aujourd’hui à plus de 3.6 milliards de dollars. On pensait les bitcoins difficiles voire impossibles à hacker. Que s’est-il passé, comment est-ce possible ? 

Rémi Bourgeot : Ce piratage avait fait grand bruit en 2016 et fait plonger le bitcoin de 20% instantanément. On sait aujourd’hui qu’il ne s’agit pas d’un événement vraiment isolé. Les plateformes d’échange, qui font notamment le lien avec le système financier traditionnel, sont vulnérables. Il s’agit de Bitfinex en l’occurrence, mais ça n’est pas la seule concernée. C’est ce qui permet notamment à la Corée du Nord d’aller s’y financer en siphonnant des comptes en bitcoin ou, de plus en plus, en ethereum, à hauteur de 400 millions de dollars l’an passé. Le piratage est manifestement faisable, avec les compétences très poussées et spécialisées de ces groupes de hackers. Une fois les unités de cryptomonnaie virées illicitement sur le compte anonyme des hackers, la principale difficulté réside dans le blanchiment vers le monde réel, un travail très minutieux, qui nécessite une démultiplication des tâches. Cette démultiplication passe souvent par le recours à de petites mains. Dans le cas nord-coréen, il s’agit par exemple, une fois passé par une multitude de plateformes de crypto asiatiques ne répondant pas aux rudiments d’identification qui commence à être imposées aux Etats-Unis, d’intermédiaires chinois blanchissant par petits montants le tribut dans les casinos de Macao. Dans le cas présent, on ne connait pas l'identité des hackers mais le blanchiment s’est fait au moyen d’un improbable couple « d’artistes »-entrepreneurs-youtubers qui semble cocher à peu près toutes les cases de l’hyperactivité numérique et du néant culturel. 

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Ce qui surprend aussi, c’est là capacité du FBI à arrêter les criminels et à récupérer les jetons. Pourquoi les voleurs n'ont-ils pas pu dépenser les bitcoins comme ils le souhaitaient ? Le bitcoin n’échappe-t-il pas à la traçabilité comme on tendait à le dire jusqu’à présent ? 

Le FBI savait depuis le début sur quel compte les bitcoins volés avaient été transférés, mais il était impossible d'en identifier les détenteurs. Ceux-ci ont naturellement été obligés de passer par diverses plateformes d’échange pour le blanchiment. Et l’une d’entre elles, Alphabay, a été fermée par les autorités car elle était notoirement utilisée pour tous types de trafic, le criminel le disputant au sordide. Le paradoxe des crypto c’est que derrière l’ultra-décentralisation et l’anonymat, toutes les transactions sont parfaitement enregistrées. Le problème consiste, pour l’heure, à remonter des identifiants anonymes aux individus réels en suivant une longue et tortueuse chaîne de transactions à l’opacité variable. Bien que le couple de « blanchisseurs » aient pris les précautions les plus avancés du moment, une fois la plateforme Alphabay démantelée, ses dossiers ont pu être saisis, peu à peu, on a pu faire le lien du compte en bitcoin qui avait reçu les crédits volés dès 2016 avec les dernières transactions, allant de l’achat de matières précieuses à des bons d’achat Walmart… Notons tout de même que les ressources mises en œuvre par les autorités sont sans doute sans commune mesure avec ce qui aurait été suffisant pour des transactions par des circuits financiers plus classiques. Les crypto sont tout à fait piratables, au travers des plateformes d’échange, mais l’élucidation des vols reste une tâche redoutable qui, en l’occurrence, a été mise en œuvre pour tracer des montants astronomiques.

On commence à utiliser le bitcoin comme monnaie dans de nombreux espaces, cette affaire pourrait-elle remettre en cause la fiabilité et l'inviolabilité de la monnaie ? Le bitcoin pourrait-il perdre en crédibilité ?

Le bitcoin est évidemment loin d’être infaillible dans la réalité. Derrière la décentralisation extrême qui définit les transactions entre comptes en bitcoin, agissent de nombreux acteurs, et notamment des entreprises ou institutions organisant les transactions, faisant en particulier le lien avec le système financier traditionnel. Celles-ci peuvent présenter toutes sortes de failles, en plus de questions frauduleuses. Par ailleurs ces services reposent sur des comptes de natures assez diverses, plus ou moins connectés à Internet et, dès lors, plus ou moins piratables. Dans la réalité, si l’on regarde la réalité des transactions aujourd'hui, avec la bulle phénoménale et l’engouement de gens qui ne savent souvent même pas de quoi il retourne, on retombe sur de bons vieux problèmes de croyances, de fraudes et d’abus. Les institutions financières vont même jusqu’à proposer des ETF, des fonds indexés, sur le bitcoin. En comparaison, les produits dérivés de prêts subprime, dans les années 2000, relevaient de la diamanterie la plus fine. 

Le sujet des monnaies numériques, notamment celles envisagées par les banques centrales, est passionnant. Mais il faut mesurer la perte de repères dans laquelle est embourbée la perception générale, notamment politique et journalistique, dès lors qu’il semble s’agir de gains faciles et rapides répondant à une forte de demande. Sur une note anecdotique, il est divertissant, par exemple, de voir le Figaro avoir tendance, dans chaque phase de hausse, à présenter le bitcoin comme un investissement pour foyers consciencieux (entre deux articles s’extasiant des bulles immobilières en tout genre) puis présentant les variations extrêmes comme de malheureux accidents de parcours… sans considération pour la définition même de ces constructions numériques.

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