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"Tout est plus compliqué dans un monde avec huit milliards de personnes par rapport aux chiffres d’il y a quelques décennies", selon l'auteur.
"Tout est plus compliqué dans un monde avec huit milliards de personnes par rapport aux chiffres d’il y a quelques décennies", selon l'auteur.
©AHMAD GHARABLIAFP

Crise

Ou plus exactement nous faire regretter le manque de prudence dont nous avons fait preuve pendant la phase de mondialisation qui a suivi l’an 2000.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Qu’est-ce qu’une polycrise ?

Alexandre Delaigue : L’utilisation d’origine de ce terme remonte aux années 90 sous la plume d’Edgar Morin. Plus récemment, au moment de la crise de la zone euro il y a une dizaine d’années, un des rapports de l’administration européenne évoquait ce terme de polycrise. La véritable popularisation de ce terme est venue chez l’historien Adam Tooze. Ce terme, selon lui, a permis de donner un nom à la situation dans laquelle nous sommes. Cette expression a été reprise pour caractériser l’époque.

L’idée de polycrise signifie qu’il y a plusieurs crises en même temps. La crise étant considérée comme la caractéristique d’un dysfonctionnement. Une crise est une période dans laquelle l’ancien n’est pas encore mort, le nouveau n’est pas encore apparu et entre les deux les monstres apparaissent, comme le disait Antonio Gramsci. De la même manière pour une « crise économique », un ancien système avec certaines caractéristiques ne fonctionne plus. Des manifestations négatives apparaissent alors comme l’augmentation du chômage ou l’inflation. Cela va être caractérisé comme une crise.

Avec une polycrise, il y a plusieurs crises simultanément et elles sont en interaction. Elles vont générer des boucles de rétroactions positives. Ce qui se passe dans l’une va en amplifier une autre, puis encore d’autres. Plusieurs étapes s’enchaînent ensuite. Ce qui est fait pour résoudre éventuellement un problème en réponse à l’une des crises va en amplifier une autre en réalité. Cela va être une autre source pour des boucles de rétroactions positives. Lorsque l’on cheche à en résoudre une, on en amplifie une autre.

Dans le cadre de la guerre en Ukraine, de nombreuses sanctions sont appliquées à l’égard de la Russie mais l’une des conséquences est que nous avons consommé énormément de charbon. Cela va à l’encontre d’une autre crise qui est causée par le réchauffement climatique.

Il y a plusieurs crises simultanément et qui sont liées les unes aux autres. Mais à cause de ces différents liens, il est possible de se retrouver avec des boucles de rétroaction possibles. Le déroulement de l’une va en amplifier une autre. Cela au final va encore plus amplifier la première.

Le sociologue Charles Perrow avait notamment développé la théorie des accidents normaux en étudiant les accidents nucléaires. Selon lui, avec un système très complexe dans lequel beaucoup d’éléments sont liés les uns aux autres, l’accident peut se produire dans de telles conditions.

A quel point sommes-nous actuellement dans une polycrise à l’heure actuelle ?

Nous sommes confrontés effectivement à plusieurs crises de manière simultanée et qui se retrouvent liées ne serait-ce que par la mondialisation : le Covid-19, l’inflation, la guerre en Ukraine, les difficultés énergétiques, les problèmes environnementaux, une situation délicate sur le plan de l’économie. Tous ces problèmes arrivent en même temps. Il y a toujours une crise en cours ou à venir de nos jours. Ce phénomène n’est pas nouveau. A travers l’histoire,  le contexte de la Seconde Guerre mondiale était aussi très lourd et d’une extrême gravité. Tout était néanmoins subordonné à la question de la guerre. Cela ne correspondait pas réellement à une polycrise.

Nous sommes actuellement dans une période avec de multiples crises et de manière simultanée.

De plus en plus de problèmes peuvent se nourrir mutuellement les uns, les autres. Lorsque l’on cherche à agir, cela peut modifier les autres.

Il peut y avoir une alternative également avec une boucle de rétroaction négative. La crise arrive mais elle est tellement significative que les problèmes dans un domaine font que l’on se retrouve dos au mur pour résoudre ces problèmes-là alors que dans le même temps toute une série d’autres difficultés est en cours de résolution.

Le danger créé par la Russie avec la guerre en Ukraine provoque une crise mais elle devient le déclencheur d’un certain nombre de mesures et de décisions en faveur de l’environnement et pour la réduction de la dépendance aux énergies fossiles que l’on aurait fait sans cela. Il s’agit d’un effet de rétroaction négatif. L’invasion de l’Ukraine par la Russie nous permet de nous rendre compte de notre dépendance vis-à-vis de la Russie et des énergies fossiles. Des moyens et des mesures sont alors utilisés pour développer les énergies renouvelables. Cela crée un sentiment d’urgence et participe à une boucle de rétroaction négative.

La polycrise est difficilement maîtrisable et très complexe. Mais des questions demeurent. Cette modification de crise peut aussi être annonciatrice d’un renouveau.

A quel point est-ce que les termes du débat sont liés à ce que nous avons fait de la mondialisation et notamment après les années 2000 ?  

Il y a énormément d’interactions à travers la planète. Mais il n’est pas possible de lier cela seulement à la mondialisation.

Un certain nombre de choix politiques ont pu être faits depuis les années 2000. Mais se dire que nous aurions pu échapper à la situation dans laquelle nous sommes dorénavant relève de la fantaisie.

Il y a toujours une tentation de scruter le passé et de s’interroger sur le fait que la situation aurait pu être différente dans tel ou tel contexte.

Tout est plus compliqué dans un monde avec huit milliards de personnes par rapport aux chiffres d’il y a quelques décennies.

Dans les années 70, tout le monde redoutait une guerre nucléaire. Aujourd’hui, mécaniquement, il y a de plus en plus de pays qui sont dotés de l’arme nucléaire par rapport à il y a une cinquantaine d’années. De manière générale, cela augmente le risque et rend la situation beaucoup plus complexe.

La question que tout le monde se pose est la suivante : est-ce qu’il aurait été possible que l’expansion de la Chine se fasse différemment ? Si cette expansion dépendait de la mondialisation et de son ouverture aux échanges internationaux, cela a été un phénomène purement interne pour la Chine. Si la Chine avait échangé un peu moins avec l’extérieur ou à travers une entrée à l’OMC plus tardive, cela n’aurait pas changé grand-chose à la situation où en est la Chine actuellement.

Cet exercice intellectuel est un peu vain. Il y a un exercice intellectuel qui consiste à dire que l’on va établir le journal des 50 dernières années afin d’observer ce qu’il s’est passé. L’enrichissement de certains pays, l’explosion démographique, la question de l’environnement étaient déjà écrites et inéluctables.

A quel point est-ce que l’interdépendance entre différentes crises est-elle sous-estimée ?

L’action politique et la perception médiatique consistent à alterner des problèmes qui deviennent une focalisation du moment. Les dirigeants politiques ont tendance à réagir à l’instant présent, à court terme. Cela s’incarne à travers la volonté de créer une nouvelle loi à chaque fait divers. Cette manière de réagir directement à l’instinct. Cela donne un séquentiel des problèmes. Le phénomène est amplifié également par les réseaux sociaux. La conséquence va être un traitement très immédiat et séquentiel des problèmes et des crises.

L’appréhension d’une situation de polycrise va être faite de manière tragique. Il est difficile de la résoudre de manière simple. La polycrise a une dimension tragique et très angoissante car elle est impossible à maîtriser. La polycrise est trop complexe et interdépendante. 

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