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Aymeric Caron contre Caroline Fourest : petit portrait de l’état de la gauche à travers un clash homérique
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Bataille

Dans "On n'est pas couché" sur France 2 samedi soir, le journaliste et l'auteur de "Eloge du blasphème" se sont violemment accrochés.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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On en trépignait par avance. Toute la presse l’avait annoncé à grands coups de clairon. On savait que le clash allait être violent, terrible, sanglant. La production oserait-elle même tout montrer ? Ne faudrait-il pas interdire le spectacle aux moins de 18 ans ou, du moins, censurer les passages les plus violents ?

Il est évidemment facile d’ironiser. Si l’on voulait aller dans ce registre, on pourrait presque faire un parallèle avec les combats de catch qui pimentaient jadis la télévision du samedi soir. Nos grands-parents adoraient : c’était leur petit rituel hebdomadaire avec juste ce qu’il fallait de violence contrôlée pour créer le frisson sans avoir à déplorer les dégâts.

Le sujet mérite toutefois mieux qu’un mépris hautain. L’affaire n’est pas si légère, même si elle se déroule sur un plateau de télévision. Aymeric Caron et Caroline Fourest incarnent chacun des positions emblématiques dans le débat qui travaille désormais la gauche. Le lieu du clash n’est d’ailleurs pas anodin. L’émission de Laurent Ruquier s’adresse à un public particulier, bien différent de celui de TF1. C’est un public urbanisé, un public de classes moyennes et supérieures, plutôt éduqué, plutôt de gauche, intéressé par l’actualité culturelle et politique.

Aymeric Caron est assez proche de cet univers. Il représente une certaine gauche morale, celle qui est née dans les années quatre-vingt et dont le socle idéologique est constitué par l’antiracisme, l’ouverture européenne, le pluralisme culturel. Sa préoccupation est de déconstruire le discours des Cassandre du malheur, des réacs en tout genre, des pessimistes qui annoncent le pire. Ses interventions sont souvent talentueuses, quoique prévisibles. Il agace aussi par son côté pinailleur, qu’il présente comme une preuve de rigueur mais qui masque une posture plus idéologique que méticuleuse.  

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De son côté, Caroline Fourest est plus complexe. Elle a tout pour figurer en bonne place au Panthéon de la gauche morale. C’est une militante féministe, engagée de longue date en faveur de l’avortement, du PACS et du mariage gay ; c’est aussi quelqu’un qui dénonce les catholiques intégristes, le Front national, Marine Le Pen et même Nicolas Sarkozy. Et pourtant, elle brouille les cartes. Elle met les pieds dans le plat en prenant pour cible l’islamisme, en critiquant les multiples renoncements de la part des progressistes, en pointant l’indulgence face à l’obscurantisme. Dans ses ouvrages, elle dévoile le double langage de Tarik Ramadan, ce personnage trouble que la gauche a considéré un peu vite comme la preuve définitive du progressisme musulman. Elle dénonce surtout la complaisance et le manque de clairvoyance d’une partie de l’intelligentsia envers l’islamisme, accusant les anti-racistes de renoncer à leurs valeurs sous prétexte de ne pas froisser ceux qui sont supposés être les nouveaux damnés de la terre. Ce faisant, Caroline Fourest met en lumière les tensions qui traversent la gauche. Elle la contraint à se poser des questions douloureuses : la défense de l’islam doit-elle se faire au détriment des femmes, des homosexuels et des juifs ? Faut-il renoncer à la laïcité au prétexte que celle-ci pénalise l’islam, ou au blasphème au prétexte que celui-ci froisse les musulmans ? Faut-il brûler Voltaire et Renan au nom de la lutte contre l’islamophobie ?

Comme toute militante engagée, Caroline Fourest cède probablement à des facilités ou à des excès. Et sans doute aussi commet-elle des erreurs, malgré une rigueur dont elle a encore fait la démonstration samedi soir. Mais son tort principal, on le voit, est surtout de mettre le doigt là où ça fait mal, de relever les contradictions, de retourner les armes de la gauche contre une partie de la gauche elle-même, cette gauche qui semble aujourd’hui victime de la même fascination que celle qui a autrefois conduit les intellectuels à se laisser emporter par les promesses du communisme et de l’émancipation prolétarienne. A ce titre, Caroline Fourest s’inscrit dans une lignée rare et précieuse : celle des vigies qui savent rester lucides en période de tempête. 

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