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Aveuglé par la rancœur ou extra-lucide : mais que voit donc Jean-Marie Le Pen quand il affirme que la présence de Marine au second tour n’est pas une évidence ?
©Pixabay

Madame Irma

Alors que nombre d'observateurs de la vie politique estiment que Marine Le Pen sera présente au second tour de l'élection présidentielle de 2017, son père Jean-Marie n'en est pas si sûr. Et pour cause : le départ du fondateur du parti pourrait bien avoir laissé un vide à droite de la droite.

Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique est un ancien journaliste.

Proche du Front national, conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen de 1984 à 1994, secrétaire départemental du FN dans le Gard et conseiller régional du Languedoc-Roussillon, de 1992 à 1998. Il avait été écarté du FN en 1994 à l’occasion d’un conflit avec Bruno Mégret. Il a publié Dans l'ombre de Le Pen (Hachette Littératures) en 1998. A la suite de l’exclusion de Jean-Marie Le Pen du FN, il renoue avec celui-ci : depuis le 1er octobre 2015, il exerce la fonction d’assistant parlementaire du député au Parlement européen, en charge des questions de presse.

 

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François Kraus

François Kraus

François Kraus est Directeur des études politiques au département Opinion de l'Ifop.

 

 

 

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Atlantico : Dans une interview accordée à Boulevard Voltaire, Jean-Marie Le Pen déclare que Marine Le Pen n'est pas assurée d'être au second tour de la présidentielle de 2017 si elle ne fait pas l'unité derrière elle. S'agit-il d'une nouvelle pique destinée à sa fille, ou celle-ci est-elle réellement susceptible de ne pas se qualifier pour le second tour ? 

Lorrain de Saint Affrique : Jean-Marie Le Pen s’efforce toujours d’analyser les rapports de forces politiques le plus objectivement possible, avant toute décision d’action. Il lui semble évident qu’en tentant de l’écarter et d’entraver sa capacité d’expression, la direction du Front National commet une faute morale, mais aussi stratégique. C’est peu dire que depuis des mois il multiplie les gestes d’apaisement, pas au point cependant de rendre plus facile l’entreprise de dénigrement et même de destruction qui le vise. Lors de la publication d’un livre de fiction, Une élection ordinaire du journaliste Geoffroy Lejeune, le récit de l’arrivée d’Eric Zemmour à l’Elysée, un sondage avait évalué à 12% l’impact d’une telle candidature. Quelle que soit la vraisemblance d’un scénario de ce genre, lorsqu’on se souvient de la surprise créée par le succès massif de La Manif pour Tous, traiter légèrement un courant d’opinion aussi mobilisé en lui tournant ostensiblement le dos comporte un immense risque. L’affaire du "bonsaï" de Florian Philippot a profondément choqué cette droite conservatrice plus éclairée que passéiste sur le terrain des valeurs familiales, ou tout simplement humaines. Jean-Marie Le Pen n’a pas oublié les élections européennes de 1999, où l’alliance inopinée conclue entre Philippe de Villiers et Charles Pasqua avait fortement bousculé les lignes. Alors oui, si un candidat réussissait à incarner en l’élargissant ce mouvement bien ancré dans la société, d’autant plus vigoureux qu’il a été méprisé par la gauche et trahi par la droite, la dynamique de la campagne de Marine Le Pen en souffrirait, au point peut-être de lui faire rater plusieurs marches du podium qui lui est, un peu tôt peut-être, assuré par les enquêtes.

D'après un récent sondage, 74% des Français estiment que Marine Le Pen sera au second tour de l'élection présidentielle. Dès lors, les doutes de Jean-Marie Le Pen sur la capacité de sa fille à dépasser le premier tour sont-ils fondés selon vous ?

François Kraus : Prédire qui sera présent au second tour de l'élection présidentielle est  toujours un exercice hasardeux à un an du scrutin, l'exemple de 2002 ayant servi de leçon aux instituts de sondage... Plusieurs éléments peuvent en effet venir d'ici la bouleverser la configuration politique actuelle, tels que de nouveaux attentats terroristes en France, un engagement militaire du pays à l'étranger ou l'aggravation de la crise des migrants en Europe. Plus largement, il est toujours difficile d'évaluer les intentions de vote présidentielles des Français tant que l'offre électorale n'est pas figée à droite comme à gauche mais aussi au centre : quid d'une candidature Bayrou ? Quel peut être l'impact d'une candidature Hulot ? Quel serait le potentiel électoral du PS s'il en venait à ne pas être représenté par l'une des deux têtes de l'exécutif actuel (Hollande, Valls) mais par d'autres personnalités de gauche (Aubry, Macron, Montebourg... ) ? 

Enfin, le renforcement de l'assise électorale de Marine Le Pen dépendra aussi de l'espace politique laissé par le candidat investi par les sympathisants LR - la ligne d'un Nicolas Sarkozy apparaissant par exemple plus de droite que celle d'Alain Juppé - mais aussi de certaines inconnues telles que l'ampleur de la dynamique électorale qui se dégagera des primaires de la droite et, selon le gagnant, l'impact que les affaires judiciaires autour de l'ex-UMP et de son président pourraient avoir sur la campagne. 

Après, si l'on met de côté ces précautions d'usage, force est de constater que les inquiétudes de Jean-Marie Le Pen ne semblent pas très fondées. 

Au regard des résultats du dernier baromètre de l'élection présidentielle Ifop-Fiducial pour Sud Radio, I-Télé et Paris Match, si les élections présidentielles avaient lieu dimanche prochain (et si seulement), le Front national devrait se retrouver au second tour d'une élection présidentielle. En effet, Marine Le Pen arriverait en position de se qualifier dans toutes les hypothèses testées.

Elle est même en tête dans la majorité des cas, recueillant entre 26,5 et 28% des intentions de vote exprimées. Ce n'est que lorsqu'Alain Juppé est le candidat de la droite que le maire de Bordeaux termine devant la présidente du Front national, avec 34 % des intentions de vote et même 37% si François Bayrou ne se présente pas.

Fin mai aura lieu à Béziers un rassemblement de la droite dite "hors les murs", à l'initiative de Robert Ménard. Cette droite, qui ne se reconnaît ni dans Les Républicains ni dans le Front National, peut-elle être le caillou dans la chaussure de Marine Le Pen en 2017, même sans candidat déclaré pour l'instant ?

Lorrain de Saint Affrique : Encore oui ! La ligne suivie par Robert Ménard, élu avec les voix du FN principalement, est particulièrement lisible, l’accusation de simplisme ou de cynisme ne l’intimide pas. En soutenant l’année dernière la manœuvre anti-Jean-Marie Le Pen, on sent bien que le bénéfice qu’il en attendait en terme d’intérêt personnel le conduirait plus tard à rêver d’un destin moins local ou régional. Une brèche a été ouverte, beaucoup y voient leur chance. On connaît la formule : "l’été à la télévision, l’hiver à la maison". Mais encore une fois, qu’un candidat réussisse à sauter tous les obstacles d’ici 2017 et parvienne à se présenter vraiment, sur le bon terrain, il ne s’agira plus d’un caillou dans une chaussure, mais d’un vrai boulet. J’ignore si Marine Le Pen est invitée aux Journées de Béziers ; à sa place, j’y ferais un petit tour de séduction avant que le fossé ne se creuse. Marion Maréchal-Le Pen, elle, l’a bien compris, la première.

>>>> A lire aussi : Mais sur quoi pourrait déboucher la grande réunion des droites "hors les murs" invitées par Robert Ménard à Béziers en mai ?

Alors que le Front National a fait du vote contestataire, voire révolutionnaire, l'une de ses valeurs sûres, est-il possible que le fameux "plafond de verre" du second tour pour le FN puisse décourager certains de ses électeurs ? Si oui, vers qui ces derniers pourraient-ils se tourner ? Un autre candidat ? L'abstention ?

Lorrain de Saint Affrique :C’est l’éternel argument du vote utile, qui a pu dans le passé coûter très cher au FN : en 2007, le parti a bien failli sombrer.

Parce qu’il est devenu plus fort électoralement, le Front peut maintenant rechercher des partenaires sur sa ligne à lui, non sur les leurs. En revanche, autoritarisme et caporalisation préparent rarement au succès, quand il faut séduire et rassembler. Le paradoxe, c’est qu’au moment où l’opinion fait mouvement vers les positions classiques de droite nationale défendues depuis des décennies, on nous parle de France Apaisée en réponse à la montée des périls que tous perçoivent. Depuis les élections régionales, le militant frontiste semble peu mobilisé, peu enthousiaste, découragé. Sans élan venu de la base, cet élan caractéristique des années Jean-Marie, je vois mal la vraie réussite se profiler.

François Kraus : Si le terme de "plafond de verre" à un sens aux élections locales ne reposant pas sur principe de la proportionnelle - on a pu particulièrement bien le mesurer lors des élections départementales  de 2015 -, c'est moins le cas à l'élection présidentielle où le scrutin est plus personnalisé et moins dépendant des étiquettes. Dans certaines configurations récemment testées par l'Ifop, Marine Le Pen parvient même à gagner face au candidat de gauche.

Il n'en reste pas moins que la fonction tribuniciennne du FN a toujours joué un rôle de mobilisation dans des catégories de la population (jeunes, ouvriers, non diplômés) ayant des dispositions moindres à participer aux élections.

Le lissage de son discours avec des éléments de langage plus modérés pourrait donc en démobiliser certains, d'autant plus si aucune alternative à gauche (avec Jean-Luc Mélenchon) ou à droite avec Nicolas Sarkoy ou Nicolas Dupont Aignan) n'a réussi à s'imposer aux yeux.

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