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Avec la mort du Sultan Qabous, Oman et la région perdent un médiateur de paix vital
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Une page se tourne

Le sultan d'Oman, Qabous ibn Saïd, qui régnait sur le pays depuis près de 50 ans, est mort à l'âge de 79 ans. L'information a été communiquée ce samedi. Il était le chef d'Etat arabe resté le plus longtemps au pouvoir. Haitham ben Tarek, ministre du Patrimoine et de la Culture et cousin de Qabous, a été désigné pour lui succéder.

Sébastien  Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois est Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et consultant de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism). Il est l'auteur de Pays du Golfe les dessous d’une crise mondiale (Armand Colin, 2019), de Sauver la mer Morte, un enjeu pour la paix au Proche-Orient ? (Armand Colin) et Daech, la suite (éditions de l'Aube).

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La mort du Sultan Qabous Ibn Saïd était malheureusement attendue. Gravement malade depuis des années, il s’est éteint à l’âge de 79 ans à Mascate après un demi-siècle de règne. Alors qu’il avait tenté un dernier traitement en Belgique en décembre dernier à Leuven par protonthérapie, ses multiples séjours médicaux en Allemagne n’y avaient rien fait et le pays plonge désormais dans l’incertitude. Sans héritier désigné et sans enfants, Qabous laisse un pays stable et au rôle très particulier neutre et de médiation dans une région ébranlée alors que depuis 2017, le Conseil de Coopération du Golfe est en crise, divisé entre d’un côté l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, et de l’autre le Qatar. Et surtout dans le cas des tensions avec l’Iran autour du nucléaire, Oman a toujours joué la carte de l’apaisement. Le pays a quelques jours pour se trouver un nouveau dirigeant.

Le sultanat d’Oman du Sultan Qabous a toujours eu une position particulière par rapport à ses pairs au sein du CCG et vis-à-vis de Téhéran. Il a toujours tenu à préserver une politique d’équilibre entre les différentes parties en présence. Cette position tient largement à sa culture ibadite qui ne relève ni du sunnisme ni du chiisme qui caractérisent les autres pays de la région. Son islam est toujours considéré comme le troisième islam, un islam de paix. Pour le chercheur David Rigoulet-Roze, « C’est un cas unique en son genre. Cela explique pourquoi – ceteris paribus un peu à l’image de la Suisse en Europe – il sert souvent de go-between entre les parties en conflit. Il est parfois le lieu de négociations secrètes comme ce fut le cas lors de la crise sur le nucléaire iranien . » (interview déjà citée).

Oman a toujours eu de la gratitude pour l’Iran de l’avoir aidé à mater la révolte du Dhofar qui souhaitait faire sécession, et pour laquelle, de 1964 à 1976, des milliers de soldats iraniens ont perdu la vie. Au sujet du nucléaire, l’histoire est ancienne. Une première rencontre entre responsables américains et iraniens s’était déroulée discrètement à Mascate en juillet de 2012. Elle devait être suivie d’une rencontre secrète à Oman en mars 2013 entre le n° 2 du State Department de l’époque, William Burns, le principal conseiller diplomatique du VIP de l’époque Joe Biden, Jake Sullivan et une petite équipe d’experts techniques d’une part et des négociateurs iraniens, dont Majid Takht Ravanchi, le vice-ministre des Affaires étrangères de Mohammad Javad Zaif d’autre part. Son but initial consistait à explorer la possibilité d’une discussion bilatérale portant sur le nucléaire. Le rôle d’Oman allait se poursuivre jusqu’à la fin 2014 et le début 2015. Ainsi, le Sultanat facilita la tenue de plusieurs réunions secrètes de négociations entre Américains et Iraniens et se chargea également de transmettre également des messages contenant des termes importants des négociations directes entre les États-Unis et l’Iran. Ces négociations bilatérales secrètes tenues sous les auspices de Mascate devaient contribuer à poser les fondations de ce qui deviendra l’accord provisoire de Genève en novembre 2013 qui allait déboucher sur le fameux JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) du 14 juillet 2015. Le Sultanat d’Oman a donc une position stratégique en termes diplomatiques qui rejoint d’ailleurs sa situation stratégique en termes géographiques puisque la péninsule de Musandam qui fait face à l’Iran sur le golfe Persique est en fait une excroissance territoriale singulière du Sultanat par-delà les Émirats arabes unis.

En réalité, l’histoire est plus ancienne. Mascate est un peu la Zurich du Moyen-Orient. En réalité, l’émirat est aussi discret que la Suisse pour ses talents de négociateur et médiateur à l’international. Bien qu’Oman ait toujours privilégié, depuis 1981, le cadre du CCG, l’émirat avait été missionné pour réfléchir à moyen terme et long terme sur l’organisation politique du Golfe. Et ce pour au moins un atout de taille : les Omanais ne sont pas pris dans les contradictions péninsulaires, et ont toujours constitué une thalassocratie (priorité donc à la domination des mers). D’ailleurs, même à Mumbai, n’est-ce pas encore la mer d’Oman qui balaie les flancs de l’Inde ? L’empire maritime d’Oman allait jusqu’à Mombasa dans l’actuel Kenya. 

C’est aussi pour cela qu’avec les Iraniens, les Omanais ont très souvent été considérés comme les gardiens du Golfe. Ce qui leur donne une force de médiation très importante. Au moment de la crise du Golfe en 1991, ils ont ainsi suggéré qu’une armée du Golfe soit levée avec 100 000 hommes pour assurer sa propre sécurité régionale. Oman avait été missionné pour réaliser une mission exploratoire sur le sujet mais en réalité, les Saoudiens n’en voulaient surtout pas pour garder la main sur la région. Enfin, le sultanat a de tous les pays du CCG une des armées les plus aguerries, quand des pays comme le Qatar ont, eux, toujours parié sur le soft power et la diplomatie.

Jusque-là, le sultan Qabous, apprécié de toutes les parties au sein du CCG tentait d’apaiser toutes les tensions et modérant notamment Riyad et Abu Dhabi. Quid désormais ? Dans un article paru dans le Monde diplomatique en juillet 2017, Fatiha Dazi Heni, montrait à quel point Oman peut résister à l’emprise saoudienne et probablement jouer aussi un rôle plus important à l’avenir dans la gestion de crise : « En 2013, à la suite des révoltes populaires du monde arabe, le roi saoudien Abdallah proposa ainsi une transformation du CGG en Union du Golfe, de sorte que l’ensemble des pays membres suivent une même ligne politique, diplomatique et sécuritaire. Le projet fut perçu comme une tentative saoudienne de mettre sous sa coupe les autres monarchies, à l’image de ce qui s’est produit avec Bahreïn depuis l’intervention armée de mars 2011. Seul Oman exprima publiquement une hostilité largement partagée chez ses voisins. » 

Et, dans le contexte actuel de tension extrême autour de l’Iran, l’histoire se répète puisque « déjà au début de la décennie 1980, Mascate avait refusé la proposition saoudo-koweïtienne de créer une force armée commune, le “Bouclier de la Péninsule” pour soutenir les troupes de Saddam Hussein, qui venait de déclarer la guerre à l’Iran. » 

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