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"Au secours, la droite revient" ? Et si c’était plutôt "Au secours, la gauche déconnectée s’acharne" ? La preuve par la vérité sur six points de la réforme revotée par le Sénat
©Reuters

Idéologie face au réel

En se penchant sur la loi El Khomri, les sénateurs ont cherché à revenir à l’esprit originel de la loi, en réintégrant une part des éléments qui ont pu être supprimés lors des diverses étapes de la négociation.

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

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1/ Les 39h à défaut d'accord d'entreprise ou de branche

Bertrand Martinot : L’horaire de référence serait fixé librement par l’entreprise, dans la limite de 39h. Il n’y a rien d’anti-social dans cette disposition. D’une part, les maxima européens (48 heures par semaine) continueraient de s’appliquer. D’autre part, cela ne ferait que nous rapprocher des standards européens. Et ce serait une excellente chose pour le pouvoir d’achat, surtout au niveau des plus faibles salaires. 

En France, la question du temps de travail est abusivement associée à celle – bien réelle – de la souffrance au travail, du burn out, etc. Or, comme nous le rappelons notamment avec Franck Morel dans notre ouvrage Un autre droit du travail est possible (Fayard, mai 2016), la France est à la fois l’un des pays de l’OCDE où l’on travaille le moins (à temps plein) et où le mal-être au travail est le plus répandu. Notre problème n’est donc pas de travailler une ou deux heures de plus par semaine, mais plutôt des questions de management, de pressions excessives ou de mauvais climat social très bien décrites par les sociologues des organisations. 

2/ La défiscalisation des heures supplémentaires

La défiscalisation des heures supplémentaires est une mesure intéressante pour lancer une dynamique d’accroissement réel – et pas simplement sur le papier – du temps de travail. Mais il faudrait voir exactement les marges de manœuvres financières que nous avons pour procéder à cette mesure. Cette baisse doit donc être mise en balance avec d’autres baisses d’impôts indispensables pour relancer l’économie et l’emploi (taxation des bénéfices, suppression d’impôts aberrants comme la C3S, baisse des cotisations sociales, par exemple). 

3/ Le plafonnement des indemnités prud’homales

Le plafonnement des indemnités prud’homales, qui est pratiquée dans de nombreux pays voisins (Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, Belgique…) est une mesure simple et efficace. D’une part, elle permet de réduire les aléas et les coûts des contentieux qui demeurent excessifs pour les PME françaises. D’autre part, elle permet d’encourager les transactions : quand vous savez à l’avance l’indemnisation maximale à laquelle vous avez droit, vous êtes incité à transiger. Cela ferait moins de procès, moins de contentieux interminables. 

4/ Un compte personnel d’activité allégé du CEC (compte d’engagement citoyen)

La suppression de cet étrange"machin" qu’était le "compte d’engagement citoyen" est une très bonne chose. Pour autant, la question du CPA n’est pas close : il n’est pas financé, pas défini précisément, pas organisé, il est très bureaucratique (songeons aux innombrables listes de formations éligibles définies par les partenaires sociaux dans les régions et les branches professionnelles…). En outre, il n’est pas adossé à un quelconque dispositif efficace de conseil aux salariés. Or, pour évoluer ou se reconvertir professionnellement, il faut être sérieusement conseillé et orienté, que l’on soit chômeur ou en emploi. Il faudra donc complètement remettre cette belle idée de CPA à plat. 

5/ L’indexation des licenciements sur une baisse du chiffre d’affaires de plus de 30% sur une période de plusieurs mois

Je suis très dubitatif sur la possibilité pour le législateur de définir aussi précisément les cas où un licenciement est légitime ou pas, qui plus est selon des critères dépendant de quatre seuils différents d’entreprises… ! Il y a des cas d’entreprises nouvellement créées dont la viabilité n’est assurée que si non seulement le chiffre d’affaires ne baisse pas, mais augmente d’au moins 50% !

A ma connaissance, seule l’Espagne s’est engagée dans ce type de définitions. Encore l’a-t-elle fait plus simplement que ce qui est prévu dans le projet de loi Travail. Mais c’est sans doute qu’en France, nous sommes beaucoup plus intelligents. Plus sérieusement, il vaudrait mieux en rester à des principes simples, quitte à introduire des motifs de ruptures prédéfinies dans le contrat de travail, comme nous le proposons avec Franck Morel dans Un autre droit du travail est possible. C’est ainsi que la grande diversité des situations concrètes pourrait être saisies par le droit du travail. 

6/ 5h de travail supplémentaires par semaine pour les apprentis

Cela correspond à de vraies préoccupations de certaines entreprises, qui sont restées en pratique aux 39 heures. Mais ce n’est certainement pas une mesure d’ampleur pour relancer l’apprentissage. Pour développer vraiment l’apprentissage, il faudrait refondre totalement notre système de formation professionnelle initiale, c’est-à-dire notamment privilégier l’orientation vers l’apprentissage plutôt que vers les lycées professionnels. Mais là, ce ne serait ni plus ni moins qu’une révolution !

"Au secours, la droite revient !", un procès illégitime ?

Quand on a échoué par le passé et qu’on n’a aucun programme pour l’avenir, il peut être tentant de dire "nous ne sommes certes pas géniaux, mais regardez les méchants du camp d’en face". Mais sur le fond, les projets des principaux candidats déclarés de l’opposition convergent sur un certain nombre de souplesses qui sont indispensables aux entreprises, tant sur le temps de travail que sur le droit du licenciement. Il faudrait y ajouter une bonne dose de réforme des institutions du dialogue social dans l’entreprise pour le faciliter, sujet souvent insuffisamment développé. 

Pourtant, les critiques, mêmes basiques, qui sont en train de monter du côté de la gauche ne sont pas à prendre à la légère. Le risque est en effet l’acceptabilité des réformes proposées par l’actuelle opposition. Si elle met l’accent exclusivement sur une liste de mesures par ailleurs nécessaires de flexibilisation du droit du travail, elle pourrait bien – à supposer qu’elle gagne les élections, bien sûr… – faire face à une France bloquée, coupée en deux, impossible à réformer. 

Si l’on veut convaincre en profondeur le corps social, il ne faut donc pas négliger la dimension "protectrice" des réformes : pas en faisant miroiter la perpétuation indéfinie d’un modèle social à l’agonie, mais en réformant aussi et de manière crédible notre système de formation professionnel et améliorer le service public de l’emploi. Sans ce complément massif sur l’éducation,  la formation, le placement et l’orientation, seul capable de donner à la réforme tout son sens, une vraie flexibilisation du droit du travail aura du mal à passer.

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