Atos : autopsie d’une faillite économique si française<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ex-fleuron de l'informatique français fait face à de lourdes échéances de dette.
L'ex-fleuron de l'informatique français fait face à de lourdes échéances de dette.
©AFP / ERIC PIERMONT

Naufrage

En grande difficulté financière, l'ex-fleuron de l'informatique français a demandé la désignation d'un mandataire ad hoc.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : En grande difficulté financière, l'ex-fleuron de l'informatique français a demandé la désignation d'un mandataire ad hoc . Quelles sont les erreurs faites par les différents dirigeants, notamment Thierry Breton dans ce dossier ?

Don Diego De La Vega : L’échec d'Atos est très lié à Thierry Breton. Parce que très souvent les gens se figurent que des grandes entreprises sont des choses très impersonnelles, des choses très quasiment conceptuelles et qui seraient complètement détachées de la dimension humaine. Or c’est faux. On s'en est aperçu au moment de l'affaire Orpea, avec Lauvergeon à l'époque de Areva, ou encore avec le Crédit Lyonnais. En fait, les entreprises, même grosses, sont des choses qui sont humaines, trop humaines. Et il suffit d'un mauvais directeur général, de quelques sbires choisis parmi les plus mauvais pour qu’une belle boîte industrielle et commerciale se transforme en véritable four. On l'a déjà vu. Et fondamentalement, Atos, c'est ça. Parce que pour le reste, il y avait des sous-jacents très convenables, des positionnements qui n'étaient pas parfaits, mais sur des domaines qui sont plutôt des domaines où il y avait une des projections de croissance.

Donc Atos aurait pu et aurait dû être plutôt dans les firmes gagnantes. Et si Atos est en train de couler sous nos yeux, c'est parce que c'est une société qui a été extraordinairement mal conduite. On parle des problèmes de gouvernance depuis quatre ou cinq ans, mais le gros des problèmes préexiste et c'était la période des dix ans de Thierry Breton entre 2009 et 2019. Et c'est là où l'entreprise s’est endettée, c'est là où l'entreprise a voulu se faire plus grosse que le bœuf. C'est là où les mauvaises orientations stratégiques ont été prises.

Et quelles décisions mauvaises a-t-il pu prendre ? Et quelle était la situation d’Atos quand il est arrivé en 2009 ?

Le problème, c'est que une entreprise, c'est un projet de conquête. Et donc, pour mener un projet de conquête, vous devez être un conquérant, vous devez être un entrepreneur. Vous ne devez pas être un aventurier, vous ne devez pas être un énarque. Vous ne devez pas être quelqu'un qui a essentiellement un carnet d'adresses politiques. Vous n'allez pas non plus être un comptable, vous devez être un entrepreneur. Et Thierry Breton n'est pas un entrepreneur. C’est quelqu'un qui se présente comme entrepreneur mais qui ne l'a jamais été. Et à chaque fois qu’il a eu des responsabilités un peu plus éminentes, un peu plus nationales, cela a été une catastrophe, on l'a vu à Bercy, et on le voit aussi depuis maintenant quatre ou cinq ans à la Commission européenne. Ce type est un destructeur de valeur. Ça arrive. On l'a vu avec Lauvergeon, on l’a vu avec Jean-Yves Haberer. Il y a des gens qui sont capables à eux tout seuls, quasiment, de démolir de la valeur à grande échelle.

Il y a eu un trop gros appétit pour grossir trop vite. Le mode de développement d'Atos pendant les années 2010 était un mode de développement externe, c'est-à-dire qu'on achetait des boîtes, on achetait une partie de Siemens, une partie de Xerox, et cela s’est fait avec le levier de la dette. Et quand ce levier n'est plus disponible parce qu'on est allé trop loin et ou parce que les taux d'intérêt remontent là, patatras, c'est la catastrophe.

Alors il y a eu des accélérateurs. L'accélérateur numéro un, c'est que Atos a refusé l'outsourcing. Elle a fait très peu de outsourcing, contrairement à Capgemini. Donc Atos se retrouve avec une structure de coûts très importante pour peu que vous payez un salarié en France, c'est pas la même chose que de payer un salarié en Inde. Et ça, c'était en grande partie pour des raisons politiques. Et puis Atos a aussi raté le virage du cloud, le cloud public, soit la nouvelle façon de faire du cloud à grande échelle depuis quelques années. Le fait d'avoir raté ce virage, là encore, c'est une position très politique du board. Le fait que ces gens n'ont pas vu un client de leur vie, ou alors c'était il y a très longtemps, cela a fait qu'une partie du matériel d'Atos s’est retrouvé quelque part “disrupté”. Ils se sont retrouvés propriétaires de tout un tas de machines qui n'ont plus d'utilité. Bon, après, il y a d'autres facteurs qui sont venus se greffer.

Et puis maintenant, on parle évidemment des problèmes de dette. Parce qu'évidemment, quand vous avez 50 milliards de capitalisation, vous pouvez vous permettre d'avoir quelques échéances de dettes. Mais quand votre capitalisation a fondu et qu'elle a été quasiment divisée par dix ou par cent, évidemment, si vous avez des échéances de 3 milliards et demi à payer en 2025, ce n’est pas la même chose. Mais ça, ce sont les conséquences. Le fait générateur, c'est d'avoir voulu grossir, grossir trop vite. C’est toujours la même histoire. Ce sont des gens qui, quelque part, ont l'État derrière eux ou pensent avoir l'État derrière eux. Ils ne gèrent plus une entreprise privée, il se perd alors quelque chose qui est de l'ordre de l'intelligence économique, ou qui est de l'ordre de la stratégie nationale comme ils disent. Et quelque part, on peut dire qu’ils gèrent avec de l'argent qui n'est plus tout à fait le leur. Disons que vous en prenez moins soin que si c'était le vôtre. Et ça, c'est une longue histoire du capitalisme français et de très nombreux cas, de très nombreuses histoires.

À quel point cette consanguinité des élites économiques françaises et les allers-retours entre l'État et les grandes entreprises vont abîmer la prise de décision dans ces entreprises de considérations politiques plus qu'économiques au final ?

C’est un vieux classique parce qu'on a ça aussi ailleurs qu'en France. Ce n’est pas une spécificité française, c'est juste qu'en France on est allé très loin et sur de très nombreux dossiers. Si vous voulez, il y a de très nombreux domaines où on ne sait pas très bien quelle est la différence entre l'État et l'entreprise. Souvenez-vous de la gestion d'Airbus il y a quelques années, quand un certain nombre de gens, la DGSE, était très proche du dossier. On a de très nombreux sujets comme ça et c'est pas une spécificité française. A chaque fois que vous lisez effectivement les choses, vous vous retrouvez avec des conflits d'intérêts, mais au pire avec des mauvaises orientations. Mais moi ce qui me choque dans ce genre de dossiers, c'est le manque d'évaluation, parce que comme c'est très consanguin et tout le monde se tient un petit peu par la barbichette parce que l'Etat est un des gros clients et un des gros commanditaires, à la fin, tout le monde finit par se taire. Et ce qui est gênant dans ce genre de schéma, et c'est pour ça que ça se reproduit, car in fine il ne peut pas y avoir de sanction.

Il y a un double système de protection. Ces gens ne sont pas vraiment actionnaires, donc ils ne prennent quasiment aucun risque personnel. Ils sont pleinement salariés. C'était le cas pour Jean-Yves Haberer. C'était le cas pour Anne Lauvergeon, et c’était le cas à Atos pour Thierry Breton. Donc, premier mécanisme de sécurité, les gens ne prennent pas le risque de l'actionnaire, il joue avec de l'argent qui n'est pas le leur. Et deuxième mécanisme de sécurité, ils savent qu'ils échapperont pour l'essentiel au tribunal.

Où est l'utilité de l'inspection des finances ? Où est l'utilité d'un certain nombre de commissions publiques ou parapubliques ? Il doit y avoir normalement des mécanismes à l'intérieur de l'Etat qui permettent de mettre un peu en alerte. Ces mécanismes n'ont pas fonctionné, de même qu'ils n'ont pas fonctionné sur Areva à une certaine époque ou avec Orpea. Or, on n'a pas entendu parler du fait d'une enquête de l'IGAS, on a entendu parler du scandale d’Orpea parce qu'il y a un livre qui est sorti et que, au bout d'un moment, c'est de l'extérieur qu’est venue la critique et pas de l'Inspection générale des affaires sociales.

Comment peut-on juger la proposition, par exemple, d'un Olivier Marleix qui souhaite une nationalisation temporaire d'Atos ? Est-ce la bonne solution d'après vous ?

Si la nationalisation conduit à une commission d'enquête, on va commencer par parler un peu plus de deniers publics et on met des gens véritablement sur la sellette. Pourquoi pas, puisque aujourd'hui l'entreprise ne vaut quasiment plus rien. Donc ce n'est pas un gros poids pour les finances publiques. Il faudrait porter une partie de sa dette, ça c'est un peu embêtant, mais à la limite, on fait pire tous les jours à la Caisse des dépôts ou ailleurs. Si ça conduit à véritablement nettoyer les écuries d'Augias, l’idée n’est pas mauvaise. Mais je crains que cela conduise simplement à éponger les conneries de Thierry Breton. Et ça, ça m'arrange beaucoup moins en tant que contribuable et en tant que citoyen. Ce qui importe, c'est que ça se reproduise pas. Mais ce n’est pas possible puisque aujourd'hui, Thierry Breton passe ses journées à donner des leçons au secteur privé en tant que commissaire européen.

Je pense qu'il faut lancer le scandale sur la place publique, en parler. Il faut aussi signaler qu’aucune entreprise aussi politisée n'a réussi. Il faut vraiment le dire parce qu'il faut vraiment que les gens arrêtent de penser que parce qu'on a un carnet d'adresses au niveau étatique, c’est le succès assuré. Ce n’est pas vrai. Les grandes réussites aujourd'hui sont faites par des entreprises qui sont assez peu politisées ou évitent en tout cas d'être trop liées à l'État. On le voit bien avec le luxe (LVMH). Plus vous êtes à l'extérieur de ce genre d'activité, plus en général, vous réussissez.

Et puis il faut reparler de gouvernance, il faut reparler de contrôle. On nous parle des ESG, vous savez. Dans les ESG, il y a le G de gouvernance. Par exemple, moi je suis contre les administrateurs indépendants. Pour ce type d'entreprise, les administrateurs indépendants sont choisis par le PDG parmi ses copains. C'est une mauvaise idée. Il faut mettre les actionnaires. Les gens prennent un risque. Ils savent qu’ils sont sanctionnés en cas d'échec de la boite. Il faut réhabiliter la notion d'actionnaire. Atos a été dirigé dans une logique qui était une logique de puissance et non pas dans une logique d'entrepreneur.

Atos l'a fait un peu trop avec de la dette, il a un peu trop politisé et est tombé dans des problèmes de gouvernance. S'il avait pris un peu plus le tournant du cloud et un peu plus de outsourcing, Atos pouvait devenir une sorte de petit Capgemini.

Et tout ce que touche l'État, malheureusement, je l'ai bien vu avec Arianespace, ça se transforme en mouroir. Il faut maintenant que l'État arrête de vouloir s'ingérer dans des logiques d'entreprises, dans des Meccano industriels. Que l'État arrête d'actionner la Caisse des dépôts et consignations et des pays tous les quatre matins et que l'État redevienne penseur. Stratège mais surtout évaluateur. Un État qui crée les conditions de la réussite des entreprises privées mais qui ne s'amuse pas à essayer de piloter ou de renationaliser.

Don Diego De La Vega précise qu’il n’est ni ancien dirigeant d'Atos, ni ancien consultant pour Atos, ni ancien salarié d'Atos, ni ancien client d'Atos.

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