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Articles publiés directement sur Facebook : la stratégie qui va changer le visage des groupes médias demain
©Reuters

La presse est morte, vive la presse

Facebook bouscule les règles du jeu de la presse en annonçant d'importants partenariats avec des médias américains. Des nouveautés en perspectives pour le monde journalistique.

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon est sociologue, spécialiste des médias et chercheur au CNRS. Il a notamment co-dirigé avec Arnaud Mercier l'ouvrage collectif Armes de communication massives : Informations de guerre en Irak 1991-2003  chez CNRS Éditions

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Erwan le Nagard

Erwan le Nagard

Erwan le Nagard est spécialiste des réseaux sociaux. Il est l'auteur du livre "Twitter" publié aux éditions Pearson et, Social Media Marketer. Il intervient au CELSA pour initier les étudiants aux médias numériques et à leur utilisation.

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Atlantico : Facebook a annoncé un partenariat avec des médias américains allant du New York Times à Buzzfeed pour publier directement des articles issus de ces journaux sur le réseau social. Est-ce une bonne nouvelle pour la presse ? Qu'a-t-elle à y gagner et qui va en profiter ? 

Erwan Le Nagard : Il est important de donner un peu de contexte. Facebook est une plateforme de réseautage qui met en relation des individus entre eux, et leur propose d’accéder et de partager des contenus. Le double enjeu de Facebook est de faire croître sa base d’usagers, tout en leur faisant consommer un maximum de contenus, de manière à pouvoir monétiser cette audience. Plus j’ai d’utilisateurs sur ma plateforme, plus ils sont actifs, plus je vais pouvoir générer des revenus grâce à des services publicitaires et me valoriser auprès d’investisseurs. Un partenariat avec des producteurs de contenus (des médias) s’inscrit logiquement dans la stratégie de Facebook mais aussi de ces éditeurs. Rappelons que les revenus du New York Times et de Facebook proviennent majoritairement de la vente d’espaces publicitaires. Ils ont donc tout intérêt à tisser des partenariats à partir du moment où les flux de trafic entre les deux sites sont générateurs de revenus. D’autant plus que les contenus du New York Times transiteront quoiqu’il arrive par Facebook, le partage d’actualité étant l’un des usages dominants en ligne. Enfin, n’oublions pas que ces partenariats ne sont pas nouveaux : Facebook a acquis des services tels que Snapchat pour faire croître sa base d’utilisateurs et a déjà commencé à intégrer les contenus de CNN, MTV, du New York Times et d’autres grands groupes médias au sein de cette application.

Jean-Marie Charon : C’est un signal intéressant de voir qu’un infomédiaire, en l’occurrence, le principal réseau social reconnaisse, de fait, l’importance des éditeurs d’information dans l’offre numérique. Ce qui est également intéressant, c’est que contrairement à Google, il propose un partage des revenus générés par cette information journalistique. Ce qui est beaucoup plus problématique c’est que c’est Facebook qui décide de qui peut être son partenaire. C’est aussi que c’est lui qui définit les règles. Il s’agit du niveau de rémunération, mais aussi de l’obligation de contenus exclusifs. Il ne faut pas oublier non plus les normes écrites ou non, du réseau social, proprement nord-américaines, notamment en matière de mœurs. Quid par exemple des questions de laïcité sur lesquelles la France et les Etats-Unis ne sont pas sur la même longueur d’ondes.

Le pouvoir de l'audience de Facebook va-t-elle poussé les médias partenaires à toujours plus de formalisme ? L'usage d'un réseau social de la sorte va-t-elle changer les lignes éditoriales ou les manières de travailler ?

Erwan Le Nagard : Les groupes médias s’adaptent à leur marché et doivent assurer leur transformation digitale. Facebook à lui seul n’engendre pas la transformation des processus de production de l’information. Le flux d’actualité de Facebook est régit par un algorithme qui donne plus ou moins de visibilité à une publication, ce qui peut avoir un impact très fort pour les groupes médias en terme de génération d’audience. Rappelons que pour certains pure player, plus de 50% de leurs visites proviennent des réseaux sociaux. On peut espérer que ces partenariats offre des opportunités pour générer plus facilement du trafic, en limitant leurs investissements publicitaires.

Jean-Marie Charon : La plupart des médias d’information sont déjà présents sur Facebook et connaissent largement les règles que fait observer le réseau social par algorithmes interposés. De ce point de vue, il en va de ce partenariat, cette fois-ci formalisé, comme de celui qui s’est imposé aux éditeurs dans beaucoup de domaines de l’Internet. La question du référencement sur Google est aujourd’hui beaucoup plus contraignante que d’éventuelles normes introduites par Facebook. Le problème plus général est celui de la place qu’ont pris les « infomédiaires » (réseaux sociaux, moteurs de recherches, fournisseurs d’accès, plateformes d’échange) sur l’ensemble de l’univers du numérique. Le Monde d’avant-hier indiquait que 10% des consultations sur son site viennent de Facebook. Nombre de sites ont plus de la moitié de leur trafic qui provient des infomédiaires. Et que dire des déséquilibres sur le marché publicitaire où Google à lui seul est à plus de 50% des revenus sur le mobile dans de nombreux pays.

Le partenariat concerne pour l'instant des médias américains, où les nouveaux propriétaires de presse sont plus favorables aux évolutions numériques. Mais ce système pourrait-il marcher en France où le média numérique est plus souvent considéré comme une contrainte que comme un atout ? 

Erwan Le Nagard : Je ne pense pas qu’en France le numérique soit vécu comme une contrainte. On peut observer de nombreuses initiatives, enviées outre-Atlantique. Pensez, par exemple, à MediaPart, Rue89, LeMonde.fr... Aujourd’hui, les grands groupes médias ont largement investi dans le digital et font se rapprocher les rédactions « traditionnelles » des équipes web. Cet isolement des rédactions ne fait plus sens. On observe autant de jeux d’écritures propres au digital sur les supports papiers (formats d’articles, URL en bas d’articles, impression de tweets…) que l’inverse. Les grands groupes médias français ont déjà tissé de nombreux partenariats avec les acteurs numériques dominants. Le partenariat évoqué en début d’article est actuellement testé aux Etats-Unis pour en déterminer sa valeur, mais on peut imaginer qu’il sera déployé à terme dans d’autres pays, y compris en France. 

Jean-Marie Charon : Il ne me semble pas que le décalage entre nos deux pays soit tel à l’égard de Facebook, pour interdire le développement de partenariats de ce type. Quel est le média français qui n’a pas de page Facebook ? Il en va de même pour les associations, institutions, entreprises. Le décalage même entre générations se comble dans son usage, au point d’inciter les plus jeunes à rechercher d’autres réseaux sociaux pour retrouver un territoire qui leur soit propre.

La presse qui n'aura pas accès à ce type de partenariat soit par choix soit par contrainte pourra-t-elle encore exister dans le "black-out" numérique ? Reste-t-il un marché pour une presse totalement déconnectée ? 

Jean-Marie Charon : Le vrai problème est ici. Facebook a choisi ses partenaires aux Etats Unis et entreprend la même démarche ailleurs. Google en annonçant l’extension de son fonds d’aide au niveau européen donne immédiatement la liste des journaux qui seront ses partenaires en la matière. Il est possible que d’autres infomédiaires à l’image également de Youtube acceptent l’idée de rémunérer les auteurs. Mais dans chacun de ces cas les infomédiaires dictent leur loi, au-dessus des états. Leurs choix sont logiquement déterminés par l’optimisation de leurs revenus. Ils n’ont rien à voir avec la conception française du pluralisme de la presse.

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