Antifas, islamistes, identitaires… : cette violence politique qui explose en Europe<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Il y a une tradition, issue de l'ultra gauche et des mouvements antifas, qui n'a jamais abandonné la violence politique et la violence contre leurs adversaires.
Il y a une tradition, issue de l'ultra gauche et des mouvements antifas, qui n'a jamais abandonné la violence politique et la violence contre leurs adversaires.
©FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Danger

Plusieurs personnes ont été blessées par arme blanche, le 31 mai sur une place du centre de Mannheim, dans le Land du Bade-Wurtemberg. Michael Stürzenberger, cadre d’un mouvement d’extrême droite, a été poignardé sur une place de Mannheim. Si la ministre de l’Intérieur a mentionné la piste islamiste, le dirigeant participait à une manifestation politique.

Olivier Vial

Olivier Vial

Olivier Vial est Directeur du CERU, le laboratoire d’idées universitaire en charge du programme de recherche sur les radicalités.

Voir la bio »
Aurélien Marq

Aurélien Marq

Aurélien Marq est haut fonctionnaire et polytechnicien, chargé des questions de sécurité intérieure.

Voir la bio »

Atlantico : Plusieurs personnes ont été blessées par arme blanche, le 31 mai sur une place du centre de Mannheim, dans le Land du Bade-Wurtemberg. Michael Stürzenberger, cadre d’un mouvement d’extrême droite, a été poignardé sur une place de Mannheim. Si la ministre de l’Intérieur a mentionné la piste islamiste, le dirigeant participait à une manifestation politique. En quoi ce fait témoigne-t-il de la violence politique à l’œuvre en Europe ? Comment expliquer que les personnalités politiques soient de plus en plus ciblées en Europe ? De quoi cette violence politique est-elle le nom ? Quelles sont ses racines ?

Aurélien Marq : Connaissant peu le contexte local, je resterai prudent au sujet de cette agression. Les éléments communiqués jusqu'ici évoquent avant tout une attaque islamiste, initialement dirigée contre un homme qui, justement, dénonce certains aspects de l'islam. Si tel est bien le cas, cette violence s'inscrit dans le cadre du jihad armé conquérant, dans lequel Ash-Shâfi'î (767-820) ou Ibn Khaldoun (1332-1406) voyaient il y a des siècles un aspect fondamental de l'islam. Rien de neuf, donc. La violence politique que vous évoquez est malheureusement une réalité, mais même si l'agresseur à Mannheim visait à obtenir un résultat politique (faire taire un opposant à l'islam) au moyen de la violence, il me semble que ce fait précis relève d'avantage du jihadisme. Quand aux racines de la violence politique, je les crois multiples, mais je crois surtout indispensable de nous efforcer de distinguer entre un résistant et un terroriste, ou un nervi. Sachant que quiconque se drape un peu trop vite dans les habits du résistant et s'enivre de ses propres certitudes a toutes les chances d'être plutôt un terroriste.... Il me semble que le résistant veut rétablir la possibilité d'un désaccord, d'un débat, de la confrontation intellectuelle plutôt que physique, alors que le terroriste veut au contraire imposer l'unanimité, et utilise la confrontation physique pour empêcher la confrontation intellectuelle. L'un a conscience de l'extrême gravité du recours à la violence, l'autre en jouit.

Olivier Vial : La violente attaque en Allemagne s’inscrit dans le cadre d'une violence djihadiste, qui est aussi une forme de violence politique, mais qui ne repose pas sur les mêmes ressorts. Il y a eu une gradation, une montée de la violence politique de plus en plus fréquente en Europe et en France. Une culture de la violence a été prônée par l'ultra gauche pendant une dizaine d'années et aujourd'hui elle devient assez fréquente. Cette violence est d'ordre très différent de ce qu'on a connu dans les années 1970-1980. A l’époque, les actes violents étaient entre militants. Il s’agissait d’affrontements « classiques », presque traditionnels, des cultures militantes. Mais depuis 2018, avec la culture antifa, l’auteur Mark Bray a défini ce qu'il estime être l'antifascisme du quotidien. Selon lui, il n’est pas possible d’interdire à des gens de penser comme ils le souhaitent ou de ne pas défendre leurs idées. En revanche, les antifas vont rendre ces pensées ou ces idées trop coûteuses socialement, politiquement ou physiquement. Selon Mark Brey, l’objectif n'est pas essayer d'argumenter ou de faire changer d’avis son interlocuteur mais en réalité de faire en sorte que les personnes qui pensent ainsi n’osent plus exprimer leurs idées parce qu'il y aurait trop de risques, soient sociaux, la possibilité de s'en prendre à eux, de les harceler sur les réseaux sociaux, de faire en sorte que leur employeur les licencie avec des campagnes de pression qui sont menées, mais des coups de pression physiques sont aussi envisagées.

Cela se voit de plus en plus avec une déculpabilisation très importante de leur part. Les antifas vont faire presque œuvre de renseignement. Ils vont ficher leur adversaire. Mark Brey explique que les principales missions des mouvements antifa sont de ficher les adversaires, savoir où ils se réunissent, où ils habitent et à partir de là, ils essayent d'aller leur mettre la pression ou même de les agresser en dehors du lieu où ils militent politiquement. Ce phénomène est beaucoup plus inquiétant. Ces derniers temps, des individus se sont fait agresser pour leurs convictions chez eux, à la sortie de leur domicile, en pleine rue, à la sortie d'un restaurant. Ils ont été reconnus ou même suivis par des militants. L'exemple très récent concerne deux responsables de l'UNI qui ont été agressés à Saint-Etienne en pleine rue, par une vingtaine de militants antifas qui les avaient attendus dans une sorte de guet-apens. Ces agressions sont de plus en plus liées à la culture antifa qui revendique depuis toujours le fait de mener des actions, de recourir à la violence physique contre les personnes. Traditionnellement, la violence politique, y compris dans les mouvements les plus radicaux, se limitait à une violence contre des biens matériels. Dans certains mouvements radicaux, une forme de frontière ne peut pas être franchie. Il s’agit de la frontière contre les personnes. Ce qui était un interdit très fort a tendance petit à petit à être moins suivi. Cela s’observe de plus en plus. Cela a été le cas à Sainte-Soline avec les manifestations contre les méga bassines. Aux côtés de militants écologistes, des black blocs ont attaqué les forces de l'ordre avec des disqueuses et avec des engins explosifs. Dès lors que ce matériel là est utilisé, il n’est plus possible de dire que l'on est contre la violence contre les personnes. 

Petit à petit, avec cette habitude de la violence, il y a une forme d'accoutumance qui permet de monter d'un niveau à chaque fois. Il y a un risque que de plus en plus de gens utilisent des méthodes extrêmement violentes contre les personnes. 

Pour l'instant, en France, cela n’a pas réellement touché les milieux écologistes. Cela a concerné les milieux antispécistes. Des gens ont été menacés avec des tirs de carabine contre leur exploitation. Mais dans d'autres pays, comme dans les pays anglo-saxons ou en Allemagne, il y a eu des violences beaucoup plus fortes. C'est cela qu'il faut craindre aujourd'hui.

Alors que les agressions et les menaces de mort envers les élus locaux et les dirigeants politiques se multiplient, la France n’est pas épargnée par la violence politique comme en témoigne la récente agression à Saint-Etienne de représentants de l’organisation étudiante de l’UNI par des militants d’extrême gauche. Comment expliquer ce phénomène de violence politique ? Cela reflète-t-il une crise démocratique et l’ultime étape de la défiance des citoyens ?

Olivier Vial : Ces éléments sont exacts. Pour certains mouvements, notamment le mouvement des gilets jaunes, la majorité des groupes activistes ont retenu de ce mouvement là que la violence paye. Et malheureusement la violence paye quand elle est extrêmement choquante et quand elle est extrêmement dure. Aujourd'hui, les militants sont convaincus que la violence fait partie de l'arsenal légitime d'un combat politique. Il y a une crise de démocratie. Quand les gens estiment que l’on ne va pas dans leur sens ou que l'on ne va pas assez vite, l’idée est d'utiliser la violence physique ou le harcèlement. Des sondages montraient récemment que cela était de plus en plus accepté. Une partie des Français ne trouvait pas anormal que l'on puisse s'en prendre à des élus pour des sujets sur lesquels il y avait un désaccord. Cela correspond à une volonté de mettre les élus en situation de pression physique. Cela est de plus en plus accepté et a pu être effectivement constaté pendant la réforme des retraites, pendant les Gilets jaunes. Il y a toute une partie des militants qui sont qui aujourd'hui dans cette logique de mettre la pression physiquement ou à travers des actions ou des agressions. Cela peut être par exemple la CGT qui avait coupé l'électricité à certains élus pendant la réforme des retraites. Il y a cette volonté de s'en prendre nommément à un élu pour lui faire peur. Lors des émeutes, des élus comme le maire de L'Haÿ-les-Roses, Vincent Jeanbrun, ont été ciblés. Son domicile a été attaqué à la voiture bélier. Il y a cette volonté d'une partie de nos concitoyens de considérer qu'il est légitime de se faire justice soi même. Les élus sont les premières victimes de ce phénomène. 

Aurélien Marq :Cette agression illustre à merveille ce que j'évoquais à l'instant : les militants d'extrême-gauche qui ont agressé des représentants de l'UNI ont voulu empêcher l'expression d'un désaccord, rendre impossible le débat d'idées. C'est un type de violence résolument anti-démocratique. Mais il y a aussi, par ailleurs, une violence politique dont vous avez évoqué les causes : conséquence de la crise démocratique et de la défiance croissante des citoyens envers des institutions dont ils jugent (à tort ou à raison) qu'elles ne respectent plus la démocratie. C'est la violence dont ont pu faire preuve par moment des Gilets Jaunes, ou plus récemment certaines manifestations d'agriculteurs. Sans l'excuser, cette violence là ne doit surtout pas être mise sur le même plan que celle de l'ultra-gauche : les Gilets Jaunes comme les agriculteurs voulaient que leurs demandes soient soumises au débat démocratique, alors que l'ultra-gauche veut que le débat démocratique se taise devant ses exigences. Derrière votre question, je vois le constat évident que la France d'aujourd'hui a tout d'une cocotte-minute sous pression. La démocratie - y compris le Parlement - est piétinée par des institutions non-élues (Conseil Constitutionnel, Conseil d'Etat, etc), les principaux médias (notamment ceux payés par nos impôts) bafouent le pluralisme et passent leur temps à cracher au visage d'au moins 40% des citoyens (c'est, d'après les sondages, ce que pèsent ensemble le RN et Reconquête!), et le gouvernement nargue ouvertement le Peuple Français. Quand Gérald Darmanin parle de "supporters anglais" ou de "Kévin et Mattéo", il provoque. Quand Emmanuel Macron dit "qu'ils viennent me chercher", c'est une incitation à la violence. Ça ne justifie pas la violence, mais ça en porte largement la responsabilité.

Pourquoi certains militants d’extrême gauche en viennent à souhaiter la mort de leurs opposants politiques ? Comment expliquer un tel basculement ? Est-ce l’illustration de la récupération de l’idéologie d’Andreas Malm qui a relégitimé l’utilité de la violence dans l’esprit des militants ?

Aurélien Marq :Vous avez raison d'évoquer Andreas Malm, mais il n'a probablement fait que dire ouvertement ce que beaucoup, à l'extrême-gauche, pensent et pensaient déjà depuis longtemps. Si basculement il y a, il est plutôt dans le fait que quelqu’un le dise aussi clairement. Un auteur de droite se permettrait le centième de ce que se permet Andreas Malm, il serait immédiatement poursuivi en justice. On pourrait débattre longuement des raisons de cet évident deux poids, deux mesures, je vais juste proposer ici une hypothèse : des gouvernements qui rêvent de s’affranchir de la souveraineté populaire et de la décence commune ont spontanément plus d’indulgence envers des mouvements qui se veulent une « avant-garde éclairée » dominant la plèbe, qu’envers des mouvements « populistes » exigeant un retour collectif à la décence commune. Ce qui est également révélateur, c’est que Malm semble avoir conservé son aura à l’extrême-gauche malgré ses propos immondes sur le pogrom du 7 octobre. J’y vois une conséquence de l’immoralité d’une certaine gauche qui réduit le monde à des rapports de force, et se croit tout permis au nom des causes qui l’arrangent tandis qu’elle méprise la décence commune qu’elle appelle « morale bourgeoise », on dira aujourd’hui « blanche » ou « cis-hétéro-normée ». C’est ce qui, hier, a conduit cette gauche à faire l’éloge de la pédophilie, et désormais l’amène à relativiser, voire dans le cas d’Andreas Malm à exalter, le 7 octobre – on songe aussi à Virginie Despentes et aux Kouachi, par exemple. Quand on professe que le Bien et le Mal ne sont pas des réalités en soi mais seulement des conventions sociales, que la seule réalité objective est le rapport « dominants »/« dominés », on croit inévitablement que tout est bon pour prendre l’avantage dans cette lutte. D’où, sans doute, une si forte propension à la violence.

Olivier Vial : Andreas Malm participe à  ce courant de pensée. Mais ils sont nombreux à l’encourager. En Allemagne, il y a notamment eu Günther Anders, un philosophe allemand qui a été un des héros du retour de la violence politique. Il disait clairement, dans un livre qui s'appelait “La violence, oui ou non”, qu'il était impossible d’atteindre ses objectifs sans la non-violence. 

Andreas Malm, aujourd'hui, l'applique de façon beaucoup plus scientifique puisqu'il va même essayer de réfléchir à la façon dont on reçoit la violence et jusqu'où elle est acceptable. Il va dire que, selon les traditions politiques, selon le moment, selon la perception des dangers que peuvent ressentir l'opinion publique, la violence sera plus ou moins légitime. Andreas Malm estime par exemple qu’une violence menée par des militants pro climat, anti réchauffement climatique, serait d'autant plus légitime dans une période où il fait très chaud et où les craintes de sécheresse sont importantes. S'attaquer à ceux qui arroseraient leur pelouse ou qui rempliraient leur piscine semblerait beaucoup plus légitime que si on le faisait dans le mois qu'on vient de connaître. Le mois de mai a été le mois de mai le plus pluvieux depuis 1950. Andreas Malm estime que pour l'instant, concernant la violence physique, les opinions ne sont pas prêtes à ce que le sang coule. Mais il encourage la violence politique. De plus en plus de militants songent à recourir à la violence politique. Auparavant, il y avait une tradition dans tout le courant écologiste, y compris chez les radicaux, à ne pas céder à la violence politique. Andreas Malm a réhabilité la violence politique. 

Il y a une autre tradition, issue de l'ultra gauche et des mouvements antifas, qui en revanche n'a jamais abandonné la violence politique et la violence contre leurs adversaires. 

Une hybridation s’opère entre une volonté de légitimer la violence politique sous une forme de sabotage avec cette tradition beaucoup plus liée à l'ultra gauche qui n'a jamais abandonné la violence physique. Les deux, effectivement, peuvent amener à des actions qui risquent d’être réellement dangereuses. Les militants maintenant ne s'interdisent rien. Léna Lazare, par exemple, une des porte-parole des Soulèvements de la Terre disait il y a quelques mois, dans une émission de radio sur France Inter, qu'il allait bientôt falloir se poser la question de l'utilisation de bombes dans le cadre des actions militantes. Dès lors qu'on utilise des engins explosifs, même pour saboter du matériel, une étape est franchie. Cette gradation dans la violence s'approche du terrorisme. Il peut y avoir des morts. Quelqu’un pourrait passer au moment où la bombe explose.

Il y a aujourd’hui un climat qui légitime la violence. Les militants sont prêts à passer à des étages supérieurs. Il y a un risque de dérapages de plus en plus fréquent.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !