Amende Google : un abus de politique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Amende Google : un abus de politique
©JOHN THYS / AFP

Lourde sanction

La Commission européenne a infligé le 18 juillet 2018 une amende de 4,34 milliards d’euros à Google, dans le cas Android. Par cette décision, la Commission européenne sanctionne Google pour avoir abusé de sa position dominante, freiné l’innovation et privé les consommateurs d’un choix plus large d’applications. Il y aurait sans doute beaucoup à dire de cette décision au fond.

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
Voir la bio »

La Commission européenne a infligé le 18 juillet 2018 une amende de 4,34 milliards d’euros à Google, dans le cas Android. Par cette décision, la Commission européenne sanctionne Google pour avoir abusé de sa position dominante, freiné l’innovation et privé les consommateurs d’un choix plus large d’applications. Pour paraphraser Boileau à propos de Malherbe, « enfin cette décision vint », tant cette affaire était devenue une véritable saga au long cours.

Evidemment sur la question du marché pertinent, centrale dans toute décision en matière de droit de la concurrence. En l’occurrence la Commission, comme il est d’usage chez le régulateur, a considéré le marché comme restreint, en estimant qu’Apple et son système d’exploitation iOS ne faisaient pas partie du même marché pertinent qu’Android, ce qui étonne tant il est patent que les deux écosystèmes Apple-iOS et Google-Android constituent bien une alternative pour les consommateurs finaux. 
Mais aussi sur l’analyse concurrentielle proprement dite. Car ce cas s’inscrit dans le cadre plus vaste du marché des applications. Ce marché, qui vient de fêter ses 10 ans (l’Apple Store a ouvert en mai 2008 ; Google Play a ouvert en octobre 2008), est extrêmement dynamique. Son chiffre d’affaires a été estimé à 1 500 milliards de dollars en 2016 ; il est estimé qu’il atteindra plus de 6 000 milliards en 2021. Or la théorie et la réalité économiques indiquent que plus un marché croît, plus il est concurrentiel, les concurrents actuels et potentiels étant désireux de trouver une « place au soleil ».
Mais l’intérêt de cette décision est autre. Il est dans la mise du droit de la concurrence au service des ambitions de la Commission à la concurrence, Margrethe Vestager. Car, prenant appui sur cette affaire, la commissaire à la concurrence fait campagne.
Campagne car elle ne déguise pas ses ambitions pour la prochaine Commission qui entrera en fonction en 2019. A plusieurs reprises, Mme Vestager a publiquement indiqué qu’elle souhaitait demeurer commissaire à la concurrence (ce qui ne s’est jamais produit), accréditant l’idée que l’on puisse non pas servir l’Europe mais bien s’accrocher à un poste. Façon habile de ne pas afficher plus clairement sa réelle ambition, que l’on dit regardée avec faveur à l’Elysée : succéder à Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission. Tâche d’autant plus compliquée - et justifiant d’autant plus son zèle - qu’elle est issue d’un pays, le Danemark, qui n’est pas membre de l’euro et qui est connu pour son euro scepticisme, et qu’elle n’appartient plus à la majorité politique danoise.
Campagne, car au travers de cette décision, Mme Vestager prend opportunément la tête, côté européen, de la guerre larvée qui oppose l’Union européenne aux Etats-Unis, guerre qui avant de se déplacer vers le volet commercial depuis l’arrivée de Donald Trump, avait commencé sous le volet numérique. L’on se souvient à cet égard des déclarations fortes du Président Obama en février 2015, quand ce dernier avait accusé l’Europe de faire une application opportuniste du droit de la concurrence européen pour nuire aux Etats-Unis. Mme Vestager, habile politicienne, a saisi tout l’intérêt qu’elle pourrait tirer de cette opposition entre l’Europe et les Etats-Unis. La dureté à l’égard des entreprises américaines est l’un des trop rares sujets sur lesquels les européens, et en particulier un couple franco-allemand en recherche désespérée de points de vue partagés, sont capables de tomber d’accord. Dans ce contexte, Google, entreprise médiatique si l’en est, est à l’évidence le parfait « vilain » des années 2010, comme Microsoft l’avait été durant les années 2000. Il est vrai que Mme Vestager, dans sa croisade n’oublie pas Apple, Facebook et Amazon.
Cette campagne, il faut le dire, est d’ailleurs menée au mépris des principes de l’Union européenne. D’abord le respect des compétences des autres Commissaires. Mme Vestager, tout à sa passion, s’est même faite fiscaliste quand elle venue il y a quelques mois à Paris plaider pour une fiscalité frappant les GAFA, au mépris des compétences de Pierre Moscovici, commissaire chargé du sujet. Il est d’ailleurs assez piquant qu’elle ait par la suite souhaité que Facebook devienne payant : parlera-t-on d’une « taxe Vestager » ? 
En définitive, l’action politique de Mme Vestager fragilise la cause qu’elle prétend défendre. Car dans le domaine de la concurrence, l’Union européenne est d’autant plus astreinte à la neutralité que ses décisions sont ensuite déférées à la Cour de Justice de l’Union. L’on imagine combien au cas d’espèce, les fonctionnaires de la Commission chargés de défendre la décision Android auront du mal à convaincre les juges qu’une telle décision n’a été prise que pour des raisons juridiques, loin de toute opportunité politique. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !