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Alerte à l’épargne des ménages... mais certainement pas à l’euthanasie des épargnants
©DENIS CHARLET / AFP

Taux d'épargne

Lors du confinement, les Français ont épargné près de 60 milliards d'euros. Comment expliquer ce phénomène ? La politique de Quantitative Easing de la BCE pourrait-elle avoir des conséquences et un impact négatif sur les épargnants ?

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Jean-Marc Yvon

Jean-Marc Yvon

Jean-Marc Yvon, diplômé de l’IERSE-INHESJ, auditeur de l’IHEDN, est consultant-formateur en intelligence économique et en gestion des risques et des crises. Dirigeant Normarisk, il intervient notamment au CNPP (Centre National de Prévention et de Protection) et à l’université de Paris-Dauphine.

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Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Les Français ont épargné quelque 60 milliards d’euros pendant le confinement. 

A quoi cela est-il dû ? 

Michel Ruimy : Traditionnellement, on distingue trois facteurs favorisant l’épargne : la prévoyance c’est-à-dire notamment l’anticipation de la retraite, la précaution pour faire face à une dépense importante et imprévue et enfin, la transmission à ses descendants.

L’Histoire économique nous apprend que les ménages français sont structurellement averses au risque. Ils ont une préférence pour la liquidité et pour la garantie en capital, comportements qui se renforcent quand les marchés boursiers sont chahutés et volatiles et que la confiance des ménages est déprimée comme aujourd’hui (Ils sont inquiets pour leurs finances et leurs revenus futurs du fait des sombres perspectives du chômage, et estiment que l’heure n’est ni aux achats importants, ni à l’investissement financier). Même, la faiblesse des taux, qui devrait soutenir le crédit et la consommation et décourager l’épargne, n’a pas réellement d’effet. Depuis plusieurs années, avec une inflation supérieure à 1% et un livret A rémunéré à 0,75% - maintenant à 0,50% -, les Français perdent de l’argent en épargnant.

En « temps normal », ce taux s’établit, depuis plusieurs années, autour de 14%. Il s’approchait, déjà, des 15% fin 2019. Ce pourcentage ne signifie pas que les Français placent chaque mois ou chaque année 15% de leurs revenus sur des placements financiers. En fait, il prend en compte l’ensemble du patrimoine, y compris le remboursement des mensualités de crédit immobilier et l’investissement locatif. Le « taux d’épargne financière » se situe ainsi, ces dernières années, autour de 5%. 

Avec ce taux, la France est l’un des pays développés où l’épargne des ménages est la plus grande. Ils disposent d’un véritable « trésor de guerre » sous forme d’épargne réglementée et d’assurance-vie en euros. Ceci tient notamment à la générosité de notre système de retraite par répartition. Les retraités et les « plus de 50 ans » ont le taux d’épargne le plus élevé (niveau de vie élevé associé à des besoins de consommation décroissants). 

Dès lors, dans le climat anxiogène et environnement incertain actuels, il n’est pas étonnant que les ménages épargnent davantage. Le confinement, à travers les restrictions sur la consommation qu’il a entraînées, a « permis » à une large partie de la population de faire (temporairement ?) des économies et d’accroître leur capacité d’épargne. Il a donc facilité les comportements de thésaurisation. Car il faut bien comprendre que ce qui dicte les comportements des ménages, c’est l’anticipation et non la réalité.

Ce montant de 60 milliards peut sembler très élevé alors que nombre de Français finissent chaque mois à découvert. Il faut aussi bien saisir qu’il s’agit d’un chiffre global. La ventilation de ce volume est très inégale en fonction des foyers. Ce mouvement de hausse du taux d’épargne de court terme, déjà observé dans le passé récent, n’est pas un signe que l’économie va bien.

Jean-Philippe Delsol :  Les foyers épargnent lorsqu’ils sont inquiets et qu’ils ont les moyens de mettre de l’argent de coté. Le virus et le confinement ont semé l’inquiétude. Je dirai même que le gouvernement a tout fait, ne serait-ce que pour masquer son impréparation et tenter de protéger sa responsabilité, pour propager la peur en érigeant des règles draconiennes de protection. La presse l’a aidé ensuite à exacerber et diffuser cette inquiétude qui faisait vendre de l’audience. Parallèlement, beaucoup de Français ont finalement bénéficier de ressources plus importantes qu’à l’habitude puisque qu’un salarié en chômage technique recevait 84% de son net habituel mais avait moins de dépenses : pas de transport, pas de garde d’enfant, pas de sortie (café, cinéma…). De ce fait l’épargne possible a été constituée par peur de l’avenir.

Philippe Crevel : Il y a l’épargne subie et de l’épargne de précaution. L’épargne subie, c’est parce que la consommation a diminué d’à peu près 40%. À défaut de pouvoir consommer, on fait de l’épargne, et l’épargne, elle, est faite de renonciation à la consommation. Là, c'était de la renonciation obligatoire en période de confinement. Le deuxième effet, c’est de l’épargne de précaution. C’est-à-dire que les Français (et ça on le sait, ça avait déjà commencé avant la crise sanitaire) sont plutôt angoissés vis-à-vis de la situation économique. Pendant la période de confinement, il y a eu un arrêt total de l’économie, la récession la plus forte que la France ait jamais connue depuis la Seconde Guerre Mondiale. Les Français ont donc peur pour leurs revenus, leurs emplois et donc ils épargnent. Entre l’épargne subie et l’épargne de précaution, ceci aboutit à 55 ou 60 milliards d’euros mis de côté par les Français depuis la mi-mars. 

Jean-Marc Yvon : Avant tout, Il convient de rappeler que l’épargne, cette partie du revenu qui n’est pas immédiatement injectée dans la consommation, est associée dans le monde antique aux notions de prévoyance et de prudence. Cette pratique individuelle d’économie domestique s’est transformée au XVIIIe siècle en une composante clé de l’économie avec la création de « caisses d’amortissement » et de « trésor ». L’épargne individuelle rentre alors au service du collectif en participant au développement économique ainsi qu’à l’effort de guerre. L’épargne devient la composante clé de l’investissement et l’épargnant d’aujourd’hui devient l’investisseur de demain. L’épargnant et l’investisseur ne sont qu’une seule et même personne. Pour une petite entreprise ou un ménage, il s’agit bien d’un emploi raisonné et raisonnable, l’offre créant sa propre demande et le revenu issu de l’offre est alors dépensé en consommation ou en investissement via l’épargne selon la « loi » de l’économiste Jean-Baptise Say.

Mais le monde a changé et aujourd’hui, si le lien « épargne – investissement » existe toujours, les acteurs financiers sont rentrés dans le jeu. Il n’est plus nécessaire d’épargner pour investir et l’épargnant n’est plus l’investisseur. L’emploi de l’épargne échappe à l’épargnant. La tendance du ménage comme de l’État consiste à commencer par s’endetter avant de pouvoir épargner. L’endettement est devenu un principe, parfois très rentable en période inflationniste. Ce n’est plus « ce que je peux m’offrir » mais « ce que je veux m’offrir ». Consommer aujourd’hui est déconnecté du revenu et le pouvoir d’achat immédiat ne se traduit plus en consommation immédiate. L’épargne est redevenue une « prévoyance » avec l’arrivée d’un nouveau paramètre : la confiance. Nous arrivons aujourd’hui aux limites du système : les dettes de l’État comme des particuliers n’ont fait que s’amplifier. A la fin de l’année 2019, la France était endettée à hauteur de 2 400 milliards d’euros, mais paradoxalement la charge de la dette – les intérêts – était en diminution (-12% en 10 ans). Dans le même temps, et malgré la baisse des taux, la confiance n’étant pas au rendez-vous, l’épargne n’a pas cessé de progresser et ne semble pas prêt à être réinjectée dans la consommation. Un vice pour Bruno Le Maire ? peut-être pas, mais certainement un motif d’inquiétude car la maitrise de cette épargne échappe de plus en plus aux États comme aux épargnants pour le plus grand profit des banques centrales. 

La politique de Quantitative Easing de la BCE peut-elle avoir un impact négatif sur les épargnants ? 

Michel Ruimy : Dans une conjoncture déprimée, avec une contraction du commerce mondial, l’Europe et l’économie française ont besoin du soutien de la consommation des ménages, traditionnel moteur de la croissance française. Sans prise de conscience, c’est-à-dire si les ménages continuent de privilégier l’épargne à la consommation, la situation économique risque donc encore de fléchir. Ce comportement risque, au final, d’être néfaste pour la reprise et la croissance de l’activité. 

Dans ce contexte, la Banque centrale européenne peut prendre des mesures visant à faire baisser le taux d’épargne. En effet, une des modalités d’une politique monétaire expansionniste consiste à abaisser le niveau des taux d’intérêt de la banque centrale (taux directeurs). Cette diminution ambitionne d’inciter les ménages et les entreprises à moins épargner et recourir davantage au crédit. Mais, pour cela, il faut que les consommateurs retrouvent la confiance, des raisons d’espérer.

Cependant, le « robinet » du crédit peut avoir des effets pervers, notamment pour des entreprises qui sont tentées de s’endetter alors que leur rentabilité financière est faible. L’effet délétère de l’argent quasi-gratuit est la perte de la notion du risque. Les taux d’intérêt bas rendent possibles des investissements sous-performants, sous-productifs… donc peu rentables c’est-à-dire qu’ils encouragent une mauvaise allocation du capital, peu productrice de richesses.

Jean-Philippe Delsol : Selon la théorie économique traditionnelle, et de manière simplificatrice, toute hausse du volume de la monnaie supérieure à la croissance devrait générer de l’inflation puisqu’elle permet d’augmenter la demande plus que l’offre. Et l’inflation est une machine à voler les épargnants au profit des emprunteurs qui rembourse leur dette nominale avec une monnaie dévaluée. Depuis quelques années, cette théorie ne s’est pas appliquée. Notamment depuis 2008 et la mise en œuvre du Quantitative easing par les banques centrales, l’inflation est restée modeste, voire disent les banques centrales trop modeste. Le Quantitative easing est la politique par laquelle les banques centrales ont racheté, de manière massive, les obligations émises par les Etats souverains de façon à permettre aux souscripteurs de ces obligations, généralement les banques, de retrouver des disponibilités et de souscrire à de nouvelles émissions d’obligations d’Etat. Ce mécanisme permet aux Etats de s’endetter toujours plus et aux banques de prêter toujours plus.  Il créée de la monnaie scripturale, c’est-à-dire non pas du papier monnaie, mais des lignes de crédit. Il augmente donc le volume de monnaie en circulation. Depuis dix ou douze ans que le Quantitative easing fonctionne, il aurait dû produire de l’inflation. Il ne l’a pas fait sans doute pour plusieurs raisons et notamment parce que la montée en puissance de l’économie numérique et l’expansion sans précédent des échanges mondiaux ont favorisé tout à la fois la concurrence et la productivité qui ont pesé à la baisse sur les prix. Il reste qu’en soi ce mécanisme du Quatitative easing est malsain car il crée de l’argent artificiellement, il favorise les bulles sur les produits mobiliers ou immobiliers qui d’une certaine manière se sont substituées à l’inflation, ont fait à sa place le travail d’absorbation de la création monétaire. Mais un jour il faut rembourser ses dettes, un jour les bulles éclatent. Le Quatitative easing est une autre forme de pyramide de Ponzi. Les Etats et les banques centrales ne jouent-ils pas avec le feu comme Madoff en son temps ?

Philippe Crevel : Depuis 2015 la BCE pratique une politique accommodante de taux directeurs faibles et de rachat d’obligations. Nous avons pu observer les conséquences sur le rendement de l’épargne pour les ménages avec une baisse, par exemple du taux du livret A, une baisse du rendement des fonds euros… La situation actuelle rallonge la période durant laquelle les taux vont rester fortement bas, donc à priori il ne va pas y avoir de relèvement des taux dans les prochains mois ou les prochaines années. D’ailleurs si relèvement il y avait, cela signifierait que nous aurions un énorme problème. L’épargnant veut à la fois la garantie du capital, la liquidité et la sécurité du rendement. 

Aujourd’hui, c’est difficilement conciliable. L’épargnant doit malheureusement faire avec et à la limite de faibles rendements sont plutôt le gage que la situation est sous contrôle. 

Petite remarque sur le sujet du rendement, on constate que du fait que les investisseurs commencent à se dire que les taux d’endettements sont un peu élevés, dans certains pays on a vu une légère remontée de taux depuis le début de la crise financière donc ça va permettre d’un peu d’améliorer le rendement des épargnants de manière marginale par rapport à la tendance des fonds qui ont des taux qui vont rester historiquement bas. 

Deuxième incidente, le taux d’inflation a nettement baissé. Ce qui compte pour un épargnant c’est le taux de rendement réel (le taux de rendement moins l’inflation) donc celui ci s’améliore de facto quand l’inflation baisse et donc on pourrait se dire que l’épargnant est un peu mieux traité actuellement qu’il ne l’était à la fin de l’année dernière. 

Jean-Marc Yvon : Avant tout, rappelons que ce que l’on nomme « assouplissement quantitatif » - ou quantitative easing (QE) - n’est autre que le rachat à grande échelle par la banque centrale des titres de dette publique auprès d’investisseurs privés du marché financier. C’est une des modalités classiques d’intervention d’une banque centrale avec la baisse des taux d’intérêt.

Un épargnant recherche une certaine garantie de sécurité sur le capital, avec un rendement acceptable afin de constituer un complément de revenus en cas de besoin, donc de la liquidité. La finalité principale reste la retraite, donc du long terme. 

En analysant de façon plus réaliste la notion d’endettement, ce n’est pas l’État qui est endetté mais chaque ménage français. Cet endettement est cependant couvert par cette politique d’assouplissement quantitatif – rachat de la dette – qui minimise théoriquement l’impact de celle-ci, mais qui a des conséquences sur le long terme, les dettes étant parfois réparties sur des obligations à vingt ou trente ans. Cette politique de rachat est rassurante mais ne conduit pas à diminuer l’endettement ce qui explique les plans d’assouplissement successifs, aux conséquences de moins en moins maîtrisables. La BCE a réalisé son premier QE en janvier 2015, puis l’a étendu en décembre de la même année, un nouveau programme a été lancé en 2016 pour un volume estimé à 80 milliards d’euros par mois jusqu’en mars 2017 entrainant une disponibilité importante de liquidités et une forte fluctuation des marchés boursiers favorisant la spéculation. Ce qui n’était qu’une mesure d’exception devient une habitude aux conséquences non maitrisées. Investir sur des marchés boursiers, donc dans l’économie – devient trop risqué pour le petit épargnant qui se réfugie dans l’épargne de précaution. 

En 2020, c’est un nouveau plan à hauteur de 750 milliards d’euros qui a été annoncé et qui renforce la financiarisation de l’économie. Douché une nouvelle fois par l’effondrement des marchés, l’épargnant se réoriente vers des produits en euro et à capital garanti… sur de la dette ! La crise qui se profile ne fera que renforcer cette épargne colossale mais vulnérable en cas de crise de la dette en zone euro. En attendant, la BCE doit trouver des fonds pour financer son plan de relance : les idées ne manquent pas…comme la taxation de l’épargne préconisée en 2013 par le fond monétaire international et à hauteur de 10% sur tous les ménages disposant d’une épargne nette positive. Ce que la vague du covid-19 n’a pas emporté, la crise qui se profile s’en chargera. 

Quelles peuvent être les conséquences économiques et fiscales d’une épargne aussi importante ?

Michel Ruimy : C’est l’un des paradoxes que la France aime cultiver : les Français sont de grands épargnants. Mais cette épargne a aujourd’hui des effets pernicieux en raison de la baisse des taux et de la réglementation contraignante de l’assurance. Non seulement, elle finance peu le capital des entreprises, fragilise les investisseurs institutionnels mais surtout elle ne profite plus aux épargnants puisque son rendement est peu élevé. Non consommée, cette épargne ne produit pas grand-chose, sinon du logement social via le livret A, par exemple. Défiscalisée - cas des livrets A et de l’assurance-vie qui bénéficient de conditions avantageuses -, elle ne rapporte rien, ou presque, à l’État.

Pourtant, il conviendrait d’inciter les Français à être moins « Gripsous ». L’Histoire nous montre que ce serait peine perdue au regard des déterminants de l’épargne. D’ailleurs, des mesures incitatives ont été prises dans le passé comme le déblocage de l’épargne salariale. Les montants désépargnés ont été majoritairement placés sur d’autres produits financiers ! Ensuite, ce taux d’épargne élevé pose aussi un problème d’orientation ; surtout cantonnée à des produits sans risques, elle finance très peu l’économie réelle. Le taux d’actionnaires individuels est relativement bas en France alors que, sur le long terme, la Bourse rapporte plus. 

Comme lors de la crise financière de 2008, les Français remplissent leur bas de laine. En raison de la stagnation des salaires, il peut être plausible d’envisager que les Français puisent dans leur épargne pour maintenir leur pouvoir d’achat grignoté par l’inflation. Il risque de ne rien se passer. Dans un contexte d’accroissement des dépenses publiques qui ne rassérène pas les Français, la situation actuelle risque d’inciter à renforcer le taux d’épargne voire la thésaurisation dans les mois à venir. Plus que des discours, il faut créer un climat de confiance et rappeler que la situation économique a été mise sous cloche et qu’il ne s’agit pas d’une crise économique. 

Jean-Philippe Delsol : En soi l’épargne est nécessaire à l’économie, du moins si elle est investie dans l’économie, si elle permet d’aider les entreprises à augmenter leurs investissements pour produire plus, mieux et moins cher. Le problème est que l’augmentation de l’épargne constatée durant la crise sanitaire profite de manière significative aux livrets d’épargne institués par la puissance publique afin de drainer de l’argent au profit des dépenses sociales de l’Etat, notamment le logement, pas au profit de l’économie productive. Si ce phénomène se confirme, cette augmentation de l’épargne ne sera pas une bonne chose pour l’économie puisqu’elle réduira la consommation sans aider la production.

Par ailleurs, le plus inquiétant est peut-être cette idée générale et stupide qui se répand comme le virus et selon laquelle il faudrait désormais rapatrier les productions en France, limiter les échanges, en profiter pour verdir l’économie de manière radicale…. Toutes ces mesures, si elle voient le jour, auront tendance, selon les cas, à  renchérir sensiblement les prix de vente à la consommation ou à accroître la récession créée par le confinement. Dans les deux cas, inflation ou dépression, et peut-être les deux, ce sont les consommateurs de base qui en pâtiront. C’est peut-être parce qu’ils sont moins bêtes que nos gouvernants le croient, parce qu’ils pressentent ces risques à venir, qu’ils sur-épargnent.

Philippe Crevel : Depuis une vingtaine d’années, à chaque crise le taux d’épargne augmente. C’est un phénomène classique. Mais, à la fin de la crise, on ne retrouve pas le niveau initial d’enveloppe d’encours de l’épargne. Les ménages concentrent donc de plus en plus d’épargne de précaution crise après crise. 

Cela traduit une peur de l’avenir indéniable. De plus, la répétition des crises fait qu’on a de plus en plus peur de l’avenir. Aussi, nous sommes une population vieillissante, nous sommes incités à mettre de plus en plus d’argent de côté. Donc, le dégonflement de l’ensemble de l’épargne ainsi constitué depuis le mois de mars sera progressif et suppose la confiance et le risque de ne pas être total puisque nous craignons la répétition de crise qu’elle soit sanitaire ou économique. 

Alors, justement certains considèrent qu’il faudrait taxer les épargnants pour les forcer à consommer. Moi, je considère que ce serait extrêmement contre-productif dans le sens où par définition quand on taxe, soit les ménages conserveront les liquides, du numéraires, du cash, qu’ils mettront sous leur matelas et en aucun cas sera une incidence sur la consommation et ça pourrait même avoir l’effet inverse c’est que plus on taxe et que plus dans ces cas-là on est méfiant vis-à-vis des pouvoirs publics et on peut évidemment moins consommer. Et d’autre part, l’objectif c’est d’emmener l’épargne du court terme vers du long terme et de favoriser le financement des entreprises donc ce n’est pas en taxant l’épargne qu’on y arrivera donc là-dessus il ne faudrait pas tomber dans les travers de l’ISF, de la taxe sur l’épargne, de l’assurance vie… qui aboutirait à faire fuir les capitaux et qui aurait à mon sens des effets négatifs sur la consommation et la croissance. 

On répète souvent qu’il faut que l’épargne libère les action etc, mais il faut aller vers les augmentations de capital que ça renforce les fonds  propres des entreprises afin que ça puisse aller vers les PME, les entreprise de taille intermédiaire qui en ont le plus besoin à l’heure actuelle pour réellement favoriser l’investissement parce que c’est vrai qu’on sortira de la crise que par la modernisation de notre appareil productif qui a pris quelques années voir décennies de retard du fait  de prélèvements obligatoires élevés, de faits de politique erratique. Il faut vraiment favoriser l’investissement et rattraper notre retard que ce soit sur le digital, les robots, l’innovation, la recherche etc. 

Jean-Marc Yvon :  Rien que pour le mois de mars 2020, plus de 3,8 milliards d’euros ont été placés sur le livret A, soit 50% de plus qu’en mars 2019. Face à la récession qui se profile, l’épargne retrouve sa vocation première : la prévoyance. La gestion chaotique de la crise sanitaire n’a pas redonné confiance aux Français sans compter la récession économique qui se prépare et la hausse exceptionnelle (22,6%) du chômage au mois d’avril. 

Depuis plus de trente ans, l’État n’a pas démontré, loin s’en faut, ses capacités de gestion économique raisonnée. La France poursuit sa désindustrialisation, les activités stratégiques ont quitté le territoire et nous venons d’en subir les conséquences sans compter que l’Europe est restée aux abonnés absents, les Italiens peuvent en témoigner. Le Français – c’est connu – ne s’intéresse pas à l’économie, mais il n’est pas pour autant stupide. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la consommation ne reviendra qu’avec la confiance en l’avenir et en la capacité des gouvernements à mettre en place des programmes volontaristes d’investissements appuyés par un réelle politique d’intelligence économique.  

Les conséquences sur le long terme s’annoncent encore plus graves. En effet, les taux d’intérêts à long termes sont nuls, voire négatifs, il sera donc de plus en plus difficile de garantir l’épargne dans la durée car la rémunération des compagnies d’assurances ne sera plus en mesure de couvrir les défaillances. C’est la sécurité financière des ménages qui est alors compromise. D’autre part, le rendement de l’épargne est trop faible sur la durée pour compenser sa principale raison d’être : assurer la santé et le logement une fois en retraite. En effet, les coûts de l’immobiliers et de la santé augmentent à un rythme sans commune mesure avec la rémunération de l’épargne. Les épargnants seront dans l’incapacité de rattraper la hausse des prix et donc atteindre leurs objectifs d’épargne. 

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