Alcool : pourquoi les politiques prohibitionnistes sont toujours une hypocrisie<!-- --> | Atlantico.fr
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Bonnes feuilles

Convaincu que l'alcool enrichit bien plus de vies qu'il n’en détruit, François Monti décortique les échecs des différentes politiques prohibitionnistes. Les catastrophes économiques et sociales de l’interdiction du gin dans l’Angleterre du 18e siècle auraient dû servir d’exemple. Pourtant, les États-Unis suivront le même chemin avec les mêmes conséquences. En France, si l’Absinthe s’attire les foudres des bien-pensants pour de prétendues raisons de santé publique, son interdiction sera finalement causée par les visées guerrières du gouvernement au début de la guerre de 1914. Extrait de "Prohibitions", Les Belles Lettres Editions (2/2).

François Monti

François Monti

Contributeur de différents blogs littéraires, François Monti s'est spécialisé dans l'histoire des cocktails et spiritueux. Il collabore actuellement à Ginger Magazine et à Havana Cocteles.

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Se pencher sur la prohibition totale ou partielle de l’alcool dans trois pays différents, c’est être frappé par les points communs. Crainte légitime quant aux effets de l’alcool gonflée par les réformateurs pour arriver à leurs fins, mépris des pauvres, racisme, fanatisme religieux, volonté d’affirmer la puissance de la communauté sur l’individu… Mais le plus frappant est qu’une décision d’interdiction n’a jamais été prise dans le souci du bien-être sanitaire des citoyens et que l’abrogation n’a jamais été passée pour rendre un peu de liberté aux individus. L’État a toujours été poussé à l’action par un besoin pressant d’argent, par une crise, qu’elle soit économique ou politique. La prohibition est toujours une hypocrisie. Les raisons affichées sont toujours mauvaises.

Les leçons tirées de l’étude des prohibitions de l’alcool sont valables pour la prohibition d’autres types de produits. Mais il ne faut pas croire que l’alcool est hors de danger. Pour l’OMS, l’alcool est un des trois axes prioritaires de la santé publique. L’Union européenne met en place des stratégies pour lutter contre l’alcoolisme, la consommation des mineurs, etc. C’est pour la santé ! On sait où cet argument nous mène. Alors que le citoyen de l’Union européenne, et ce dans quelque pays que ce soit, consomme aujourd’hui nettement moins d’alcool qu’il y a cinquante ans – sans même parler d’il y a un ou deux siècles –, la réglementation qui entoure le négoce de l’alcool ne cesse d’être durcie. En France, la loi Évin encadre très strictement la publicité, à un point tel que certaines marques n’accordent pas l’accès à leurs sites aux internautes qui se déclarent français, ce qui a des implications sur la circulation de l’information. On peut aussi voir des choses absurdes : par exemple, un documentaire sur des hooligans néo-nazis polonais où le seul message d’avertissement est incrusté sur une scène où on les voit boire de la bière (« L’alcool est dangereux pour la santé ») plutôt que sur une scène de ratonnade. Les taxes ne cessent de monter et peuvent atteindre en France plus de 80 % du prix de vente, entre droits de consommation par hectolitre d’alcool, TVA et Sécurité sociale. Pour justifier cette somme démente, on nous rappelle régulièrement le coût social de l’alcool en général et de l’alcoolisme en particulier. Comme si on luttait contre l’alcoolisme en augmentant les prix ! Aux mêmes causes, mêmes effets : au XIXe siècle, plus les taxes étaient élevées, plus on trouvait d’alcool dénaturé. De nos jours, les producteurs répondent en diminuant le titre alcoolique de leurs spiritueux afin de passer dans une catégorie aux taxes plus réduites. Vermouths au niveau du vin, bourbons qui perdent cinq degrés… Le mécanisme est pervers : l’alcool est un formidable transmetteur de goût. Perdre quelques degrés, c’est souvent diminuer la qualité de votre marque. Ce n’est pas un hasard si les pires gins disponibles dans le commerce titrent à 37, 5 plutôt qu’à 40°. Une fois de plus, en voulant inciter les gens à moins consommer, on les pousse vers de produits de moindre qualité. On punit ainsi ceux qui ont moins de moyens et les producteurs – souvent petits – qui ne sont pas disposés à sacrifier la qualité sur l’autel des coûts. La Sécurité sociale est l’équivalent contemporain des justifications prohibitionnistes du début du XXe siècle. À l’époque, votre corps appartenait à l’État et l’alcool vous empêchait de vous reproduire, de travailler efficacement et, s’il le fallait, d’accomplir le sacrifice suprême à la guerre. De nos jours, boire est un acte d’égoïsme que nous facturons à la collectivité qui paie nos traitements médicaux. Pourtant, on pourrait répondre cyniquement, comme l’ont fait certains à propos du tabac, que le buveur a deux mérites : il paie plus d’impôts et meurt plus jeune.

C’est toujours la santé qu’invoque le gouvernement français à l’automne 2012 lorsqu’il augmente les taxes sur la bière afin de renflouer les caisses de la Sécurité sociale. Il s’agissait, selon le ministre du Budget de « rendre ces produits moins attractifs pour les jeunes » puisque la bière serait le produit choisi par cette catégorie de la population. Cette manoeuvre est transparente : comme à la grande époque de la lutte contre l’absinthe, le lobby du vin marque la politique française. Le vin, pourtant principal alcool consommé en France, n’est pas un problème. Viser la bière et les jeunes, c’est s’attaquer à un produit qui a moins de poids et à une population qui n’a pas les moyens de se défendre. Comme en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle, comme en France en 1915, comme aux États-Unis en 1919. En vérité, si les taxes sur l’alcool montent non seulement en France mais aussi dans d’autres pays occidentaux, c’est tout simplement à cause de la crise. Les États ont besoin d’argent frais et brandissent la santé publique comme excuse. Taxer un vice est bien moins impopulaire qu’augmenter la TVA. Mais où s’arrêtera-t-on ? Si une consommation en chute libre depuis un siècle n’a pour conséquence qu’un plus grand opprobre légal, l’alcool deviendra- t-il le nouveau tabac ? Aujourd’hui, les marques d’alcool jouent la carte de la consommation responsable. « Boire moins mais mieux. » Le message est louable, mais dans quelle mesure ces entreprises ne sont-elles pas en train de jouer le rôle d’idiots utiles des partisans d’une plus grande sévérité ? En soulignant ainsi les dangers de l’alcool, ne leur donnent-elles pas du grain à moudre ? De fait, la responsabilité du consommateur, invoquée continuellement par les gouvernements et les organismes officiels, n’est qu’un leurre : on va sans cesse dans la direction d’une plus grande déresponsabilisation. Qu’il s’agisse de forcer les cafetiers à vous faire souffler dans le ballon quand vous sortez de leur établissement, d’augmenter les taxes ou de diminuer la publicité directe et indirecte, cette reprise en main n’a qu’un seul sens : l’État sait ce qui est bon pour vous. C’est la vieille chanson : une catégorie de la population s’arroge le droit de dire aux autres ce qui est bon et bien. Eux-mêmes n’en ont pas besoin : ils le savent mieux que vous. Infantilisant.

Traiter l’alcool comme un problème, c’est considérer que la consommation maladive ou non responsable, fait d’une minorité, justifie le contrôle toujours plus strict de la consommation de l’ensemble de la population. Plus qu’une prise de position sanitaire, c’est une prise de position morale. Dans les années 1960 et 1970, les femmes ont affirmé que leurs corps leur appartenaient. La politique vis-à-vis de l’alcool nous renvoie curieusement le message inverse : notre corps ne nous appartient pas. C’est inacceptable. Sans victime, pas de crime. Si l’on ne nous accorde pas la responsabilité de nos choix et de nos actes, il ne saurait y avoir de liberté.

Extrait de "Prohibitions", François Monti, (Les Belles Lettres Editions ), 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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